« J’AI MAL À MA CULTURE »
Absent de mon pays depuis quelques dizaines d’années, j’avais retrouvé un Sénégal culturel qui me torturaient à plus d’un titre. Un Sénégal culturel que je n’osais pas assumer de front tant l’angoisse qu’il avait suscitée en moi m’accompagnait partout dès mon retour. Et tous les soirs, les espoirs grands, je priais d’y trouver une solution, les yeux encore grands ouverts. En vain. Et pourtant, une nuit, bien calé au centre de mon lit, le miracle d’une évasion du temps et de l’espace se produisit en mon sommeil profond constellés de rêves. Des rêves qui, une fois affublés de leurs corollaires, sans être une panacée souveraine, pouvaient être un début de nos solutions culturelles africaines, sénégalaises en l’occurrence.
Dakar 2009 ! Cinquante années après les Indépendances, je me retrouvai brusquement au centre de la seule salle de spectacles à peine digne de ce nom au Sénégal : le théâtre à la moquette célèbre, en permanence élimée et humide, totalement décalée du temps depuis des lustres. Et je ne pus m’empêcher de revoir le Théâtre National Daniel Sorano construit sur un terrain vague qui appartenait à la Cathédrale de Dakar et inauguré par le Président Léopold Sédar Senghor le 17 juillet 1965… Baptisé « Esplanade de la Radio » à l’occasion de bals en plein air au début des années 50 avec les ensembles de passage de Joséphine Baker, Chiquita Serrano ou Los Matecoco… Et mon rêve, continuant de plus belle, je me fis béat à l’annonce de l’émergence rapide d’un futur « Grand Théâtre National de Dakar » en cours de construction, véritable joyau architectural issu de la coopération sino-sénégalaise…
Et je me mis à rêver à d’autres théâtres sans luxe particulier mais plus spacieux et plus populaires, avec des capacités de plus de 1 800 places qui seraient destinés à nos banlieues et régions… Comment imaginer que le fameux Dakar culturel n’avait pas une seule salle destinée aux soirées dansantes et que les organisateurs étaient obligés de louer à grands frais certains hôtels luxueux de la place qui excluaient de fait la grande masse obligée de se replier vers les boîtes de nuits qui restaient la seule alternative ? Et apparurent alors dans mon rêve tous ces projets dont seule l’histoire dans les siècles à venir sera le témoin de leur bienfait s’ils allaient jusqu’à à leur terme : après la Porte du Millénaire et de la Place du Souvenir, avaient déjà été harmonieusement érigés dans mon imaginaire un Musée des Civilisations Noires, un Palais de la Musique, un Monument de la Renaissance Africaine, un Parc Culturel, une Bibliothèque Nationale et des Archives Nationales…
Et je devins le prisonnier bienheureux d’une ivresse qui ne me donnait de chance autre que de refuser de sortir de la profondeur de mon assoupissement.
Et ce fut alors l’occasion pour moi de mieux comprendre pourquoi cette frénésie, revisitant le secteur du théâtre sénégalais qui dans un passé encore récent allait au plus mal, le public lui préférant des séries de TV étrangères, mexicaines, brésiliennes, colombiennes et depuis peu hindoues… Nous avions été bien loin des débuts difficiles mais tellement heureux de nos insouciances des « Tréteaux Sénégalais » de Robert Fontaine, des pièces comme « Chaka » de Léopold Sédar Senghor ou encore « La Décision », dirigées de main de maître par les précurseurs Cheikh Aliou Ndaw et plus tard Mamadou Diop, tous de ce même Théâtre National Daniel Sorano.
Et dans mon songe, je vis la renaissance du théâtre sénégalais gonflé par une industrie audiovisuelle mondiale devenue demandeuse à souhait avec la prolifération des chaînes de TV par le fait d’investisseurs qui en avaient enfin compris tout l’intérêt et lui avaient redonné toutes ses lettres de noblesse. Le Sénégal exportait désormais ses productions audiovisuelles partout jusqu’en Asie, une fois doublées en français, en anglais, en mandarin et dans toutes les langues parlées du continent africain. L’exotisme aidant, avec l’effet désormais dit « OBAMA », la demande de produits d’origine noire était devenue le must du must… Des salles de projection avaient réapparu au plus profond du pays. Un bureau national du cinéma industriel sénégalais à qui les autorités avaient fourni tous azimuts du matériel de production digital gérait cette manne impromptue et leur immeuble rénové, flambant neuf en plein Dakar trônait, qui prouvait de son bien-être enfin retrouvé. Et les objets d’art ou instruments de musique tels que le « djembé », le « sabar » et le « tama » exportés par bateaux complets s’imposaient partout, grâce à une politique voulue d’un Ministère d’État à la Culture mais sans contenu superfétatoire, non affublé des appendices des Langues Nationales devenues un important département revêtu d’un vrai contenu pédagogique.
La Francophonie avait été rendue au Ministère des Affaires Étrangères, le prétexte de la langue unique française servant davantage à une géopolitique entretenue savamment par le biais d’une communauté linguistique de plus en plus avérée face au mandarin qui avait pris depuis peu le dessus sur l’anglais, talonné de près par le Français par je ne sais quel tour de magie.
Et ce fut la fin de cette miniaturisation du rôle du Ministère de la Culture au Sénégal, qui était issue des dispositions des années 90 qui considéraient que la culture n’était plus un secteur vital qui méritait qu’on en fît un des domaines de concentration de l’aide française. Et dans ce nouveau Sénégal, redevenu enfin la terre de Culture que le monde entier lui connaissait, une détaxation touchait tous les produits culturels. Pour les spectacles vivants, hormis le droit d’auteur inaliénable, versé en temps et en heure, les taxes municipales iniques dans le contexte africain avaient disparu. Et la location des lieux de spectacles était devenue symbolique ou gratuite, suite à une décision historique suscitée par le Ministère d’État à la Culture. Et cette situation avait engendré une nouvelle race d’entrepreneurs de spectacles et des emplois que l’on n’aurait jamais pu imaginer dans un secteur qui sans moyens véritables avait toujours été considéré à tort comme budgétivore. Toute l’Afrique accourait chaque week-end à Dakar et les hôtels ne désemplissaient plus.
Et les artistes du monde entier faisaient la queue pour être programmés au Sénégal. Et l’industrie phonographique n’y avait pas échappé, les machines de pressage de Cd et Dvd, les instruments de musique, les studios d’enregistrement, la sonorisation de puissance, les effets et lumières de scène, les podiums ne payaient plus de taxes quelconques ni droits de douane. Ceux qui souhaitaient en faire une diffusion à partir du Sénégal bénéficiaient d’une protection particulière. Dans la foulée tous les produits d’imprimerie avaient bénéficié davantage de facilités depuis cette aubaine inouïe.Et les produits musicaux légaux avaient ainsi retrouvé leur véritable place, enfin réhabilités et loin des prix scandaleux de 1000F CFA, destinés à l’origine à tuer dans l’œuf la concurrence pirate bradée à la sauvette, mais devenue industrie établie quasi-officiellement.
Et les Sénégalais avaient recommencé à acheter des produits légaux à leur véritable valeur. Cela me rappela en effet que mon magasin Musicafrique, sis à l’époque à l’avenue William Ponty, vendait des disques vinyles à 2 500FCFA/3 000FCFA en… 1970, avant la dévaluation du franc CFA, soit 5 000 à 6 000 FCFA de nos francs actuels… il y a donc bientôt 40 ans ! Comment l’imagerie populaire avait-elle donc pu imposer dans les esprits que le Sénégalais n’avait pas les moyens de s’acheter des produits légaux considérés comme de luxe ? Et un organisme de lutte contre la piraterie aux pouvoirs étendus avait anéanti en quelques mois l’essentiel des produits phonographiques pirates.
À l’instar des produits pharmaceutiques illicites annihilés en moins de trois mois grâce à une réelle volonté affichée, solide et dure d’un syndicat de pharmaciens conscients et volontaristes, d’un premier Ministre rudement interpellé et même d’autorités religieuses complices bien malgré elles. Par cette voie, l’Université de Dakar, véritable nid de pirates, le marché Sandaga, et toutes les villes de l’intérieur avaient été nettoyées grâce à la volonté du Ministère d’État à la Culture et des artistes enfin conscients que leur véritable et seul ennemi était là, tapi dans l’ombre.
Et une décision de la Cedeao condamna avec force l’importation par centaines de containers chaque année de Cd et Dvd pirates par le Pakistanais Kalwani et ses sbires et sous-fifres africains avec la bienveillance depuis un quart de siècle d’autorités complices et complaisantes de certains pays bien connus et répertoriés, voisins du Sénégal.
Et un nouveau mode de distribution des produits musicaux commença dorénavant à assurer des volumes de ventes encore inégalées jusqu’à présent en Afrique par la vente online initiée par quelques privés soutenus au début par l’État Sénégalais. Ainsi, un artiste sénégalais débutant, basé à Kaolack ou Kaffrine, distribué online, en très peu de temps, avait soudain autant de chance de voir ses œuvres achetées à travers le monde que ses aînés dans le métier à Paris, New York, Saint Louis ou Shangaï… L’application d’une véritable loi semblable à celle d’Hadopi, avait été obtenue au Sénégal, qui consistait à punir de peines sévères les internautes qui s’adonnait au repiquage sauvage en ligne.
Et je voulus me réveiller afin de m’assurer que ce paradis culturel existait bien quelque part sur terre, dans mon pays, mais le rêve était tellement fort et beau, que je ne courus point de risque et m’y installai à nouveau pour y passer le reste de la nuit.
Et je vis des organismes érigés grâce au Ministère d’État à la Culture, gérer la retraite des artistes, créer des assurances-vie à à l’avantage de ces derniers. Un centre de suivi médical ultra moderne avait même été créé, financé par les retombées rapides et heureuses de toutes ces initiatives. Et une journée nationale du droit d’auteur avec forte sensibilisation des populations qui étaient les premières responsables sans le savoir des méfaits de la piraterie, était au programme. Celles-ci reconnurent tout le mal qu’elles avaient, sans le savoir, infligé longtemps aux artistes. Désormais, on avait honte de posséder un produit musical qui n’était pas revêtu de l’hologramme du Bureau du Droit d’Auteur qui en garantissait la licité. Des récompenses et « awards » étaient décernés aux artistes les plus méritants, et même les moins connus et espoirs qui y avaient tout autant droit avec des bourses d’études à la clé.
Et les concours de poésie, de danses, et de chants avaient lieu à qui mieux-mieux dans tous les quartiers qui rivalisaient de génie et de savoir-faire, tout comme l’édition des livres qui avait supplanté depuis quelques temps la lecture virtuelle sur le net. La libre circulation des artistes dans le monde entier avait été votée et adoptée à l’unanimité d’abord par l’Union Africaine, puis par l’Union Européenne, aussitôt suivies récemment par les Nations-Unies. Un Passeport Artistique International avait fait son apparition et du fait de ces facilités, aucun artiste africain n’était plus tenté par l’aventure ambiguë de l’émigration clandestine en raison des conditions obtenues dans leur propre pays.
Et l’Afrique étant devenue le fer de lance de la nouvelle dynamique révolutionnaire des industries culturelles mondiales. Des banques avaient même profité de l’aubaine, les porteurs de dread locks n’étant plus considérés d’entrée comme des parias ou des pestiférés par les établissements financiers. Un artiste sénégalais s’était présenté à une élection importante, l’avait remporté haut la main, prouvant ainsi que la culture pouvait mener à tout, ouvrir toutes les portes et être un pouvoir face au pouvoir car porteur de voix sans limites puisque non affublé d’un manteau politique, ethnique ou religieux autre que l’art lui-même. Donc digne du respect et à plus d’un titre, et hautement méritoire à cet égard. Depuis quelques instants, je sentais déjà un réveil difficile annoncer le bout de mon précieux voyage. Mon retour sur la planète terre fut presque violent lorsque j’appris par mon radio-réveil qu’il y avait un rebondissement dans le conflit larvé qui avait éclaté entre le Bureau Sénégalais du Droit d’Auteur et la TV Wal Fadjri… Que certains artistes avaient pris fait et cause, les uns pour leur institution, les autres pour le media concerné. Et mon cauchemar recommença…, mon cœur saigna pour ma culture, et j’eus infiniment mal pour elle.
Mais l’espoir aidant, je me mis à me promettre de vous retrouver à travers ces lignes sur d’autres sujets qui interpellent quotidiennement le plus profond de notre cher Sénégal culturel…
Daniel CUXAC,
Expert Événementiel
worldentertainmentorganisation@gmail.com