Wade, la candidature du bluff
Analyse des manœuvres politiciennes au Pds : Wade, la candidature du bluff
Génial en manœuvres politiciennes, moins doué quand il faut donner un niveau de vie honnête à ses compatriotes, le président de la République est en train de susciter la dernière chose à laquelle on doit s’attendre : sa candidature en 2012. Intoxication de première main, cette perspective vise plus terre à terre. C’est un chantage systémique sur les clans libéraux en guerre dans le Pds, mais aussi sur les mouvances ex-wadistes parties chercher un peu plus d’air ailleurs. Idrissa Seck dans le sac, Macky Sall est devenu le symbole de la résistance en même temps que l’instrument d’un renouveau wadien plus hypothétique. S’il met le pied au Palais, il est mort.
Par Momar DIENG
Lorsqu’un président de la République disgracié est en butte à des obstacles insurmontables parce qu’il n’est pas disposé à payer le prix politique nécessaire à leur éradication, qu’il doit composer avec un monstre de parti qui aurait été heureux de pouvoir jouer le rôle d’un mouvement de soutien de quartier, et que le facteur Temps est devenu une psychose existentielle pour lui, que lui-reste-t-il pour apparaître comme le maître du destin ? Recourir à la diversion comme méthode d’aveuglement général face à des réalités têtues ! C’est exactement le rôle assigné à des missi dominici ordinaires, en réalité de grands maures exfiltrés d’urgence de la grande tente présidentielle et dont le manque de spontanéité a constitué la première entorse au sérieux d’une opération de communication qui est une véritable esbroufe.
Aujourd’hui, ce qui doit être d’actualité, c’est moins l’impératif d’une déclaration de candidature du président de la République en activité que la prise en charge efficiente des difficultés autour desquelles s’organise le quotidien mortifère des Sénégalais. Après des vacances dorées aux environs du Lac Léman, là où ne se baladent que des célébrités milliardaires en euros/dollars issues des familles Scheufele, Fahd, Bertarelli, Kamprad, Hersant, Agnelli, Onassis, Prost, Rothschild, etc., un séjour impérial à Biarritz, pour ne citer que ce qui se sait, Me Wade a de la matière. Il a l’occasion de prouver à ses compatriotes qu’il est aussi génial dans la résolution des problèmes d’inondation, d’électricité, de pouvoir d’achat, etc., que dans sa propension à susciter des manœuvres qui lui permettent de passer du bon temps ici et ailleurs. Face aux complaintes attristées de ses compatriotes, la décence morale et républicaine exige qu’il sacrifie son temps (il n’en a pas beaucoup), ses capacités physiques (que l’on souhaite sincèrement intactes) et ses moyens financiers (que l’on dit plus ou moins amollis) à faire ce pour quoi les Sénégalais l’ont élu et réélu. C’est une attitude de «ngor» qui est attendue de lui, et pas de fuite en avant face à l’ampleur des tâches qui le font paniquer.
Idrissa Seck, un missionnaire fragilisE
Dans un autre contexte, et sous d’autres perspectives, la candidature d’un président de la République sortant relèverait d’une certaine normalité politique. Celle que Wade tente de faire passer aujourd’hui entre les canaux bouchés de la galaxie libérale pose tout le débat de la faillite politique et morale d’un homme trop tôt élevé au rang de messie qui, au moment où des milliers de femmes et d’enfants avaient la tête dans les eaux à Pikine, Thiaroye, Kaffrine, Saint-Louis, avait, lui, les pieds dans…l’eau. En réalité, Me Wade n’appréhende pas très exactement le niveau de souffrance et de martyre des populations du Sénégal. Il vit sa vie sur une autre planète.
Le caractère choquant d’une candidature qui ne dépassera pas le stade de la virtualité et qu’il aura du mal à porter se comprend autrement que par une volonté de trouver -enfin ?- des solutions aux grands maux du Sénégal. C’est un désir politicien de conservation du pouvoir à tout prix. Et à ce jeu, c’est un chantage systémique qu’il opère sur les principaux chefs de clans libéraux et apparentés. «Où vous venez avec moi et vous durez dans le pouvoir, où vous m’abandonnez et vous perdez tout.» Le raisonnement est lucide et sans appel : le Pds ne peut plus gagner une élection transparente au Sénégal. Fondamentalement, l’objectif du président de la République est donc de ressouder les bases sociales et militantes du Parti démocratique sénégalais élargi à des alliés au poids électoral aussi maigrichon qu’une demi-épluchure de banane. Mais ce scénario, Wade le veut en grande pompe car il cherche à frapper l’opinion en lui vendant le coup du retour en fanfare à «la maison du père» des grands responsables tentés par un ailleurs plus rationnel et moins familialiste. Cela s’explique : son discrédit est si indiscutable qu’il en est arrivé à transformer en «envoyé spécial» un autre grand estropié des manœuvres du Palais, Idrissa Seck.
Macky Sall,
le symbole espErE
Clairement, le maire de Thiès est le plus fragile de toutes les cibles de Wade. Et parallèlement, le plus réceptif aux sirènes du Président parce qu’en prenant goût aux mauvaises fréquentations du Palais, il ne dispose plus de cet espace d’opposition qu’il s’était forgé en dehors du pouvoir et grâce auquel il était arrivé deuxième à la Présidentielle de 2007. Une dégringolade que les élections locales de mars ont confirmée ensuite à travers les résultats des listes Rewmi. C’est ce syndrome traumatique symbolisé par un «ndogou forcé» à la Présidence que Macky Sall tient à éviter à son tour.
Moins établi et moins populaire que Idrissa Seck au moment de la rupture avec Wade, le maire de Fatick semble vouloir faire du simple refus d’apercevoir Wade le facteur déterminant d’une ascension politique personnelle, plus jamais tributaire d’une «constante» dont on connaît l’amour suprême pour le fils. S’il va au Palais, Macky Sall est un homme mort. Mais cette libéralité, Aminata Tall peut se la permettre, en attendant de voir venir. L’ex-patronne des femmes du Pds, plus frustrée qu’auto soumise à des convictions fortes, n’a ni appareil ni staff politiques capables de supporter son éclosion en dehors du parti présidentiel. Sa survie politique dépend ainsi en grande partie d’une alliance forte avec un courant d’opposition strictement hostile au président de la République et à ses alliés.
La candidature de Wade en 2012 ? C’est une grande intoxication qui vise à arrêter la grande saignée à laquelle le Pds se prépare en toute inconscience. Presque dans la fatalité ! L’offensive envers Macky Sall et Aminata Tall par l’intermédiaire de Idrissa Seck est une épée de Damoclès suspendue au-dessus des crânes libérales pour sonner l’alerte avant le grand déluge, si déluge il doit y avoir. Et Karim Wade, dans toutes ces histoires, où se cache-t-il, la tête de file de cette fameuse «génération de constructeurs» à laquelle le papa avait promis de remettre le flambeau ? Sous l’orage ! Ah Latif…
momar@lequotidien.sn