menace sur la cohésion sociale
Quand l’amateurisme tue l’Art et que la négociation menace la cohésion sociale
Une œuvre d’art n’a que deux finalités qui peuvent être distinctes ou agrégées : le beau et/ou l’utile et il arrive que cette dernière l’emporte sur la première. En tout état de cause, la perception correcte qu’on peut en avoir et qui n’est pas souvent évidente de prime abord, au risque de souffrir d’indifférence ou de rejet, en amont, doit trouver ses fondements dans l’Histoire, l’Ecologie, la Cosmogonie de l’audience cible et en aval également, elle doit être accouchée à la suite d’une analyse philosophique rigoureuse et convaincante.
L’érection du monument ou de la statue de la Renaissance africaine, par le tollé général qu’elle a suscité dans le pays, par l’ire qu’elle a provoquée chez les musulmans, par le débat vicié et vicieux qu’elle commence à soulever et les extrapolations qui en découlent, ne semble pas avoir obéi à ces règles et principes sociaux de base.
L’approche a été cavalière, maladroite, impertinente, la communication médiocre, l’idéal flou, l’esthétique douteuse au point qu’aujourd’hui, cette œuvre d’art est en passe de tuer l’Art et de noyer l’artiste mais plus grave, de menacer la cohésion sociale. La mauvaise communication, l’absence de concertation en amont pour une légitimation sociale et culturelle la plus large au niveau national surtout, l’absence de toute délibération sur la forme et le contenu, ont fait le lit à des interrogations, des supputations et des suspicions, alimentant un débat spécieux même s’il est de fond et qui peut même nous ramener à la nuit des temps, à l’époque de l’origine des espèces, sur la problématique et le sens de la civilisation humaine.
En effet, à travers les arguments des uns et des autres, une grande interrogation voire une interpellation sur tout ce que l’Homme, animal pensant, a produit en termes de progrès depuis son stade d’homo-sapiens jusqu’à maintenant, quand on sait que le sens étymologique de art, du latin «ars» ou du grec «technique», signifie d’abord aptitude ou talent dont une personne a fait montre pour produire quelque chose et qu’il y a eu glissement sémantique après pour confondre l’Art à l’œuvre d’art. Alors tout ce que cette créature du bon Dieu a pu produire, n’est-il pas objet d’art ? Représentation ou imitation de l’ordre divin ? Regardons de très prés les formes de nos marques de voiture, ne retrouvons-nous pas au-delà de leur fonctionnalité, les formes de bestioles, d’animaux qui vivent autour de nous ; n’y a-t-il pas de similitude entre Mercedes et sauterelles ou criquets, entre voitures Volswagen et coccinelles, Trains et mille-pattes ou scolopendres, gondoles et canards sauvages, avions et oiseaux, hélicoptères et libellules, Tgv et serpents à lunettes, chenilles excavatrices et scorpions, tracteurs et scarabées ?, etc.
Alors, un dilemme existentiel est là posé : d’un côté le bannissement par l’Islam de toute pseudo-représentation ou caricature d’êtres animés relevant de l’exclusivité divine et d’autre part la propension humaine à imiter, à créer mais surtout au progrès, au bien-être, à la sublimation ici bas du beau, du plaisir des sens, autrement dit les velléités de l’Homme, à vouloir dompter la nature au profit de ses désiderata.
Donc la question est suffisamment profonde, sérieuse voire grave puisqu’elle titille les fondements de notre existence d’Homme au plan politique, la finalité de la politique étant l’art de bien gérer la Cité, des principes philosophiques qui sous-tendent la connaissance, de croyances religieuses (les religions révélées ne reconnaissant qu’un seul Créateur, classent toute autre forme de création dans le domaine du profane ; or une de nos particularités par rapport aux créatures est bien la Foi, du modèle de société (la société humaine se différenciant des autres agrégats essentiellement par l’art et l’action) et enfin au plan culturel (la culture, au-delà d’une interaction raffinée et intelligente de tout le groupe repose sur des symboles). Dés lors, il faut aujourd’hui travailler à écourter le débat avant qu’il ne convoque d’autres sphères ou n’atteignent d’autres dimensions qui pourraient infléchir dans un sens ou dans un autre, notre trajectoire de développement.
Pourtant, il aurait fallu tout simplement user de tact sur le concept et opter pour le concept «musée» de la Renaissance africaine qui est plus dynamique, plus conforme à l’architecture interne et qui pourrait thésauriser tout le capital de productions intellectuelles, scientifiques et culturelles de l’Afrique ancienne et moderne, plutôt que «statue» qui est plus statique, plus symbolique que fonctionnelle. La nuance est de taille entre statue, mémorial, musée, monument, même si l’on peut accepter une plage de convergences, à savoir l’immortalisation du réel, du vécu. Il s’y ajoute qu’au-delà de la censure religieuse, l’acceptation d’une statue elle-même est très complexe car elle appelle une légitimation sociale, elle convoque au présent, le passé et/ou le futur et exige une délibération de l’individu tout de suite et sur pièce. C’est pourquoi, le coût, la forme, la fonctionnalité, la congruence avec le contexte économique et socioculturel du pays de cette statue de la Renaissance, n’ont pas tardé à préoccuper et à alimenter le débat. En outre devant cette statue, l’on ne se retient pas de se poser légitimement un certain nombre de questions : Quel Africain symbolise-t-elle ? Quelle Afrique en renaissance ? A-t-on idée de cette renaissance au vu de ce couple migrant vers où ? A l’appel des mirages de l’occident ? Pourquoi l’enfant n’est pas à califourchon sur le dos de la mère ou sur les épaules du père selon les us et non assis sur un bras (insolite non ?)
Il ne se dispute la nécessité pour un peuple d’avoir son histoire, de s’aménager des repères, de chercher à construire son identité, de préserver ses valeurs, son patrimoine, pourvu qu’on voue le même culte aux choses et aux sanctuaires, ce qui apparemment n’est pas le cas pour ce sanctuaire africain qui divise dangereusement aussi bien par la forme, le fond que la négociation sociale en cours. Que l’auteur et ses défenseurs ne s’y trompent pas, la négociation sociale sera âpre et difficile car les zones d’ombre restent nombreuses et puisque la statue est là, il faut la préparer méticuleusement, avec tact, quitte à remettre l’ouvrage sur l’établi.
wandiaye@gmail.com
professeur de lettres - Cité Soprim