libéraux
Le festin des libéraux continue
Au lendemain du 17 juillet 2003, date de parution de Un opposant au pouvoir. L’alternance piégée ?, le ministre Habib Sy appelait publiquement à briser la plume de l’impertinent auteur. Apparemment, il a lamentablement échoué dans son funeste dessein. La plume d’Abdou Latif Coulibaly est plus alerte et plus vigoureuse que jamais. Le mardi 24 et le mercredi 25 juillet 2007, le journaliste d’investigation a respectivement publié à Dakar et à Paris, son cinquième livre : Loterie nationale sénégalaise : chronique d’un pillage organisé. Ce livre dénonce vigoureusement la gestion de cette société nationale, sous la houlette de son directeur général Baïla Alioune Wane. Un scandale de plus qui ne devrait cependant pas surprendre. Malgré la lourdeur des fautes que lui impute A. L. Coulibaly, sa responsabilité est secondaire par rapport à celle du Président de la République. Ce dernier a pris la décision gravissime de nommer sans état d’âme M. Wane à la tête de l’entreprise d’où il a été chassé il y a moins de trois ans, pour « en avoir maquillé les comptes ». Quoi de plus naturel donc que sa gestion soit celle que cloue aujourd’hui au pilori le courageux journaliste d’investigation.
Le Pr Bathily fait remarquer à juste titre que, pour grave que soit le scandale de la Lonase, il n’est que la partie visible de l’iceberg de la gestion bleue. La mairie de Dakar et toutes les autres collectivités locales, le fameux Pcrpe, la Sicap, le Plan Jaxaay, le Plan Reva, etc, sont certainement gérés de la même manière. La Cour des Comptes éprouve d’ailleurs d’énormes difficultés à se faire délivrer les comptes de gestion des collectivités locales dont les budgets sont carrément dilapidés.
Avec Me Wade à la tête du Sénégal, nos pauvres deniers seront toujours impunément malmenés. Avec cet homme, la corruption et les autres maux qui gangrènent sa gouvernance meurtrie ont de beaux jours devant eux. Ce qui fait le plus défaut chez Me Wade, c’est la volonté de lutter contre la corruption. A la limite, il l’encourage et l’entretient. C’est ce que je voulais illustrer à la page 206 du chapitre V de mon livre Qui est cet homme qui dirige le Sénégal ?, quand j’écrivais ceci :
« Pour ce qui est de sa volonté de lutter contre la corruption, elle n’a jamais été concrétisée. De ce point de vue, Me Wade tergiverse, louvoie, fait un pas en avant, deux ou trois pas en arrière. Il est d’ailleurs allergique au mot corruption. Il ne supporte pas qu’on lui en parle et s’emporte chaque fois que cela arrive. »
Nos amis du Forum civil qui en ont vécu plusieurs fois l’expérience, peuvent être mes témoins. Me Wade n’a jamais raté une occasion pour leur tirer copieusement dessus et les traiter de politiciens « cachés » ou « cagoulés ». Mais, comme il ne peut pas continuer de toujours nier l’évidence, les circonstances l’obligent parfois à admettre, la mort dans l’âme, l’existence de la corruption au Sénégal. Il joue alors sur les mots : « Il y a la corruption au Sénégal, mais le Sénégal n’est pas un pays corrompu. Et celui qui le dira, je l’attaquerai au tribunal. ».
A ce cinéma, parce que c’en est vraiment un, si on considère la suite qui est réservée à ces fanfaronnades, je rétorquais ce qui suit, aux pages 211-212 du même chapitre de mon livre (op. cit.) : « Des deux choses l’une : ou Me Wade prend de l’âge, ou il nous prend pour des demeurés. Il ne fera rien de ce qu’il promet ici. Considérons seulement le cas de l’IGE : cette structure de contrôle est logée au cœur de la Présidence de la République et placée sous la tutelle du Secrétaire général de la Présidence de la République Abdoulaye Baldé. Aucun de ses membres ne peut aller en mission sans que l’ordre lui en soit donné par le Secrétaire général qui délivre à l’occasion un ordre de mission. Quand c’est le cas, l’Inspecteur général d’État dépose un rapport à la Présidence de la République à la fin de sa mission. C’est là que se terminent ses prérogatives. Comment alors les inspecteurs généraux d’État peuvent-ils s’auto-mobiliser et se redynamiser en dehors de la tutelle ? On pourrait à la rigueur leur reprocher une certaine léthargie s’ils bénéficiaient d’une autonomie d’action, s’ils avaient la possibilité de programmer eux-mêmes des missions d’inspection et de les exécuter en toute autonomie, sans l’intervention de la tutelle. Ils ont vraiment bons dos, ces pauvres inspecteurs généraux d’État. »
Me Wade a donc fini de nous convaincre que, sous sa gouvernance, la corruption se portera toujours à merveille car il la considère comme quelque chose de normal. N’est-ce pas lui-même qui répondait, le plus naturellement du monde, à une question d’un journaliste sur les nombreux scandales qui n’épargnaient même plus la justice : « Ces scandales que l’ont dénonce sont une preuve de vitalité démocratique. Ils existent dans tous les pays. Ce sont des accidents de parcours qui finiront par être absorbés dans l’évolution du Sénégal. » Il faisait cette réponse devant des magistrats de haut rang, lors de la rentrée des Cours et Tribunaux de l’année 2006.
On ne doit donc raisonnablement rien attendre de cet homme en matière de bonne gouvernance. Pour autant, devrons-nous nous taire et laisser faire impunément des gens comme Baïla Alioune Wane ? Je ne le crois pas du tout. Nous devons, comme Abdou Latif Coulibaly, dénoncer et encore dénoncer les forfaits de la gouvernance nébuleuse de Me Wade. Un jour, quand la triste parenthèse du nauséabond régime libéral sera définitivement fermée, les livres d’Abdou Latif Coulibaly et d’autres compatriotes de bonne volonté seront certainement là pour servir de témoins. Ils seront surtout utilisés comme phares pour les hommes et femmes dont la mission sera de faire la lumière sur les scandales gravissimes qui ont jalonné la déjà trop longue gouvernance de Wade.
Mody niang, e-mail : modyniang@arc.sn