La face d'un pouvoir injuste
Karim Méga Watt
Souleymane Jules Diop Jeudi 7 Oct 2010
« Tous les hommes ont mêmes droits.
Mais du commun lot, il en est qui ont plus
de pouvoir que d’autres. Là est l’inégalité »
Aimé CESAIRE
Samuel Amet Sarr est un homme abominable. Pendant six ans, ce natif de Banjul nous a nargués avec ses boutons de manchette dorés, ses bas de soie d’Ecosse et ses binocles en titane. Il faisait peu cas des souffrances qu’il nous causait et réagissait avec mépris à nos complaintes. Il se contentait souvent de bâillements dédaigneux, alors qu’il vivait de l’argent du contribuable. Qu’il comprenne donc que je ne peux pas m’apitoyer sur son sort. Je lui ferai toujours porter la responsabilité de nos biens perdus, de nos équipements détériorés, de nos parents abandonnés dans les hôpitaux, de nos enfants morts dans les crèches, de ce jeune homme de Grand Yoff consumé par les flammes alors qu’il s’éclairait à la bougie. Et quand l’occasion se présentera de vous faire juger devant nos tribunaux, nous n’y manquerons pas, mon cher Samuel. Laissez-moi vous le dire.
Ce disant, il nous faut nous accorder sur une chose, si nous ne voulons pas voir nos espoirs se dissiper. La responsabilité de ce monsieur, qui n’avait rien dirigé qui ressemble à un ministère, est entière. Je le concède. Mais elle n’est pas totale. Celui qui vient de le remplacer au ministère de l’Energie partage la responsabilité de tous les dérapages économiques que nous avons connus jusqu’ici, y compris en matière d’Energie, puisqu’il a occupé le poste de conseiller financier du président de la République. Je le dis parce que nous nourrissons l’espoir que tous les moyens seront mis à la disposition de Karim Wade pour qu’il réussisse, nos problèmes sont d’avance réglés. Il ne sert à rien d’entretenir une telle espérance. Ceux qui attendaient « la plus belle Corniche d’Afrique de l’ouest », dixit Karim Wade, ont eu la même mésaventure. A ce jour, certains ouvrages qui ont coûté plusieurs milliards n’ont pas été réceptionnés. Les tunnels sont inondés d’eau, alors que certains promoteurs hôteliers qui avaient bénéficié de nombreux privilèges ont pris la fuite. Quand la gestion de Farba Senghor a été décriée au Transports aériens, le génie est arrivé, toujours avec les promesses pompeuses et les formules ronflantes. Les travailleurs attentent toujours les engagements qui avaient été pris par Karim Wade. La nouvelle compagnie Sénégal Airlines, annoncée depuis un an, n’a pas encore vu le jour. L’aéroport de Diass, bouclé et financé, avait été lui aussi finalisé dans la tête de ce brillant ingénieur, qui voyait déjà un avion y prendre son envol en 2009. Tous ces projets ont été de grands gouffres financiers autour desquels règne la plus grande opacité. Quand on ajoute à ces échecs patents sa cuisante défaite électorale de cette même année, on peut bien demander à Abdoulaye Wade de qui il veut se moquer, pour affirmer que son fils est le plus compétent des sénégalais. Faire tenir la mystification est une question de vie ou de mort, et c’est ce qui explique ce recours abusif à la méthode Coué. Il était persuadé qu’à force de se convaincre que son fils est le meilleur des hommes, il finirait par contaminer nos esprits. Que Karim Wade ait pu séduire quelques âmes sensibles à l’argent est un fait. L’incorrigible Modou Kara s’est senti en demeure d’exiger sa nomination comme vice-président. Mais ses états de service ne laissent pas l’ombre d’un doute. Il nous faut maintenant souffrir de la suffisance du père, de l’ignorance du fils et de l’incompétence des deux.
Le pays tout entier rougit sous l’affront, mais Abdoulaye Wade ne se sent point gêné. Sur les ruines de la République fondée par Mamadou Dia et Senghor, il veut ériger un royaume. Le magicien, comme dirait Marx, ne sait plus dominer les puissances infernales qu’il a lui-même évoquées. Il est devenu un figurant dans son propre spectacle, réduit à des missions de représentation à l’étranger.
Que ce projet diabolique découle de la folie d’un homme ou d’un plan mûrement réfléchi n’a plus aucune importance, il faut l’arrêter. J’ai averti ici, sans jamais être entendu, qu’il faut en finir avec Abdoulaye Wade avant qu’Abdoulaye Wade n’en finisse avec nous. Si nous le laissons agir, nous serons autant que lui comptables devant l’histoire et devant les autres peuples qui nous observent. Or, sur ce point, les élites défaillantes se défaussent sur le peuple ou sur les journalistes pour échapper à leurs responsabilités. Au lieu de s’en prendre au fauteur, on s’en prend à celui qui le montre du doigt. Le despotisme d’Abdoulaye Wade ne doit plus servir d’alibi à notre consentement. Si nous voulons regarder demain nos enfants et petits enfants sans baisser la tête, il nous faut faire face aujourd’hui au danger qui nous guette. Il faut que notre détermination soit à la mesure de son abnégation. S’il échoue, il ne pourra pas éviter la prison à son fils. S’il réussit, nous ne pourrons pas éviter l’humiliation. Or, nous ne pouvons sacrifier notre honneur pour le bonheur de son fils.
Abdoulaye Wade n’est sans doute pas insensible à l’image qu’il laissera à l’histoire. L’homme qui appartient désormais au passé est même obsédé par son avenir, chose curieuse. S’il tient tant à se faire remplacer par son fils, c’est aussi parce qu’il est obsédé par son héritage et le jugement implacable que les générations futures porteront sur sa présidence. Les monuments qu’il construit, les immeubles qu’il achète, les chantiers qu’il ouvre sont autant de marques qu’il veut laisser aux générations futures. Quels que soient les moyens utilisés, il pense que la fin les fera oublier.
Il est étonnant qu’un homme de la stature d’Abdoulaye Wade se méprenne sur un sujet aussi important. Dans quelques années, ces ponts et autoroutes qu’il s’efforce de laisser comme la marque de son passage sur terre seront détruits et remplacés par d’autres. Son monument sera déboulonné et venu au poids comme de la vieille ferraille. Il ne nous restera du wadisme que son papyrus indéchiffrable, Un destin pour l’Afrique, qu’aucun intellectuel sérieux n’a jamais commenté.
Les hommes qui ont marqué l’histoire n’ont rien construit. Ils ont laissé leur nom à la postérité par leur posture morale. Jésus Christ et Mohamed n’ont rien inventé, rien construit. On peut même dire d’eux qu’ils ont eu une vie peu enviable, contestés au sein de leurs communautés. Si nous les vénérons et admirons des hommes de la trempe de Gandhi et Mandela, ce n’est pas tant pour ce qu’ils ont réalisé que par leur engagement moral. Leur héritage traverse les âges parce qu’il est immatériel. Il n’est donc pas périssable. Senghor ne nous a pas laissé grand-chose comme héritage matériel. Il a émis avec Césaire, une simple idée qui a traversé les décennies et fait sa réputation de grand humaniste à travers le monde, la Négritude. Il nous a donné la fierté qu’Abdoulaye Wade tente de nous enlever. Chose encore plus importante, il nous a laissé quelque chose d’imaginaire et de presque fictif, un Etat. Mais c’est au nom de cette mystique de l’Etat que des milliers d’hommes se réveillent tous les jours pour donner un sens à notre existence. Si nous le laissons périr, nous périssons.
SJD
Karim Wade : La face d'un pouvoir injuste
‘Je ne souhaite pas voir un membre de ma famille dans l'Administration et il doit en être de même pour vous’ (George Bush-père, donnant l'ordre de marche de son gouvernement en 1988)
Jamais, dans l'histoire des Etats modernes, le fils d'un chef d'Etat en exercice ne s'est vu attribuer des fonctions aussi larges que celles entre les mains de M. Karim Wade. Face à lui, même les enfants de Saddam Hussein, célèbres pour leur cruauté, auraient fait pâle figure. En cela, l'alternance politique intervenue au Sénégal en l'an 2000, en plus d'avoir transformé un rêve doux en long cauchemar pour le peuple de ce pays, restera dans les annales de l'histoire comme l'accoucheuse d'une injustice sans pareille. Qui est suffisamment grave pour justifier que les Sénégalais, de quelque bord qu'ils soient, se mobilisent afin de mettre fin à ce qui n'est plus qu'une forme guignolesque de mal-gouvernance. Dès lors, résister n'est plus une option, c'est une obligation...
Je vois tout de suite les préposés à la défense de Wade-junior sortir du bois pour voler à son secours. L'agrégation de quatre postes ministériels clés entre ses mains, diront-ils, n'est que la sanction de son mérite personnel. Ces laudateurs habitués à le placer sur un piédestal ajouteront que ces nominations ne sont pas inédites au Sénégal. Non sans avoir quelque part raison. Parce que le fruit était dans le ver depuis que le premier président du Sénégal, Léopold Sédar Senghor, avait fait appel à son neveu Adrien Senghor dans son gouvernement. Se retourner dans sa tombe en ce jour marquant le 104e anniversaire de sa naissance face aux dérives du Sénégal actuel ne suffira pas à effacer le remords qui doit l'habiter. Et que partage son successeur, Abdou Diouf, qui, de son exil parisien, ne peut manquer, lui aussi, de reconsidérer les raisons l'ayant poussé à solliciter les services technocratiques, pourtant reconnus, de son frère Magued, dans sa propre équipe.
Mais comparaison, comme on le sait, n'est pas raison. Et les défenseurs de Wade-junior auront toutes les peines du monde à convaincre quelque personne lucide que les cas de figure se ressemblent. Le mauvais précédent institué par ses prédécesseurs ne peut justifier le népotisme extrême dont fait montre Abdoulaye Wade à l'égard de son fils. Parce que l'alternance signifiait faire autrement, en mieux. Or, dans le cas d'espèce, c'est la caricature, le pire, qui se produit. Au point que nous sommes désormais en plein dans une République banania proche de celles naguère instaurées par de lugubres personnages comme Bokassa et Idi Amin Dada. Imputables à celui que, faute de mieux, on est contraint encore d'appeler président du Sénégal, les actes posés en faveur de ce fiston tranchent nettement avec ce que l'on a connu et, du reste, dénoncé, dans les pratiques népotiques du passé. Surtout qu'à leur décharge, les deux premiers chefs de l'Etat ont aussi prouvé leur capacité à respecter les normes étatiques, notamment à travers l'exemple d'un Abdou Diouf, que l'on peut certes combattre pour d'autres raisons, mais qui n'a pas, pour donner cet exemple, mêlé son fils, Pape Diouf, dans la marche des affaires publiques. Et pourtant, ce banquier émérite, diplômé des prestigieuses universités de Georgetown et Columbia, aurait pu brandir des arguments solides pour jouer les matamores sur la scène nationale... Dans la même logique de la décence républicaine, ceux qui connaissaient les enfants de Senghor, en particulier Philippe, gardent d'eux le souvenir de citoyens effaces, sociables et sans prétention.
Pourquoi diable un Abdoulaye Wade qui a placé son combat politique lorsqu'il était dans l'opposition au service de la promotion des valeurs démocratiques, s'est-il laissé entraîner dans la multiplication de provocations au risque d'exposer dangereusement son fils à la vindicte populaire ? Serait-ce qu'il est victime de l'adage selon lequel Dieu rend fou celui qu'il veut perdre ?
On se perdrait en conjectures à vouloir dénouer l'écheveau inexplicable que représente le cas Karim Wade dans le Sénégal d'aujourd'hui. A défaut de certitudes, mon sentiment profond face à l'injustice qu'il a fini d'incarner, c'est de penser que nous sommes confrontés à un phénomène relevant d'un déphasage sociologique complet. Nul n'a besoin d'être un spécialiste des cultures sénégalaises pour comprendre que, dans nos sociétés, le père a plutôt tendance à mettre ses enfants au labeur, à tout faire pour les transformer en hommes, durs à cuir, pas à les cajoler. Or, cette impuissance paternelle de la part d'un homme plutôt habitué à brimer les enfants d'autrui, et tout ce qui se trouve sous son empire politique, interpelle tous les sociologues, psychanalystes et autres spécialistes des sciences humaines.
Est-ce parce que le fils Wade a volé au secours du père quand, financièrement, il ne voyait plus la queue du diable qu'il se sent à ce point redevable ? L'argument ne tient pas dans la mesure où le même homme n'a pas hésité une seconde à trahir ceux qui l'ont aidé, y compris dans les moments les plus sombres où il redoutait un affrontement avec Moustapha Niasse au second tour de l'élection présidentielle, et il sait de quoi je parle !
Le syndrome dont il est question peut s'expliquer par le fait que M. Karim Wade ne connaît pas ce pays. Sinon, il n'aurait pas continué à narguer un peuple traînant désormais ses poches vides, ses traits amortis et son angoisse existentielle en bandoulière. Ainsi poussé dans ses derniers retranchements, ce peuple peut, à tout moment, se montrer violent. Les limites de la décence étant franchies, une étincelle suffirait à mettre le feu aux poudres.
Mais, si près de l'abysse, le fils de Abdoulaye Wade qui semble ne pas avoir d'oncle, comme on dit dans la tradition wolof, se laisse bercer dans les douceurs d'une ascension vers les cimes - en route vers le sommet, avez-vous dit ? - avec les encouragements d'une camarilla de profitards sans foi ni loi lui faisant croire que le Sénégal cesserait d'exister sans lui, sans sa science, sans son brio. Ceux qui ont vécu plus longtemps que lui, au Sénégal, connaissent le parcours de nombre de ces conseillers et autres défenseurs du Prince. La plupart d'entre eux portent des vestes usées à force d'être retournées. Les plus intrépides ont même osé prendre leur plume pour le présenter, dans ces mêmes colonnes, en messie. Ce qu'ils ne lui ont pas dit, c'est qu'au moins l'un d'eux, au moment où l'assassinat de Me Sèye faisait rage dans le pays, il y a quelques années, était en première ligne pour exiger que la peine de mort soit rétablie afin qu'elle soit appliquée à son propre père qu'ils tenaient pour responsable de ce meurtre abject.
Qu'on soit bien clair : à titre personnel, je n'ai rien contre M. Wade-junior. Je me souviens même l'avoir vu me suivre un jour après une séance avec son père dans son bureau présidentiel où je n'avais pas hésité à lui cracher mes vérités sur la mal gouvernance naissante alors dans le pays. ‘Vous êtes le seul à lui dire la vérité’, m'avait-il soufflé, avant de le confirmer devant un témoin plus tard. Je n'avais pas bien perçu le renard qui se cachait derrière ces accents de... sincérité.
Comment pouvais-je imaginer autrement ce jeune homme effacé, donnant l'air d'être timide, que j'ai connu quand il trottinait encore dans le salon de ses parents au Point E dans les années 1980 ? La vérité, c'est qu'il a changé radicalement après avoir sans doute longtemps masqué son jeu. Le nouveau Karim n'est plus le même que celui du temps où son père savait, au volant de sa petite 205 beige, venir lui-même trouver, à Paris, ceux qu'ils considéraient comme des amis, mais qui n'étaient en réalité que des échelles dont il se servait pour arriver à ses fins. J'en faisais partie...
Brutalement propulsé dans les arcanes du pouvoir d'Etat après avoir longtemps été tenu en marge dans les pays africains où les attentes d'audience étaient longues, le Karim qui déploie sa boulimie peut, quelque part, relever d'une pathologie justiciable d'une analyse médicale. Ce n'est pas impossible qu'il soit victime, sans le savoir, des ravages du pouvoir d'Etat. A moins qu'il n'ait soudain pris conscience de la gravité des actes posés par le régime de son père, dont nul n'ignore qu'il n'échappera pas à une reddition sans états d'âme, ni appel, des comptes quand le soleil se lèvera sur la nuit noire qui s'est abattue sur le Sénégal, pas seulement par la faute d'une Senelec sans jus ni ressources pour faire face aux besoins énergétiques modernes de notre pays.
Paradoxe des paradoxes : je me surprends même parfois à avoir de la pitié pour ce pauvre garçon car, sans qu'il s'en rende compte, il est devenu l'otage des prédateurs qui n'ont pour souci que de se remplir les poches, quitte à se distinguer au palmarès des scandales en tous genres. Sait-il que demain, quand s'ouvrira le Nuremberg sénégalais, le procès de l'alternance, ces sangsues qui le dévorent, disparaîtront de sa vue. Seul, alors, il fera faire face aux juges, pendant que de vrais criminels, grands détourneurs de deniers publics, qui pensent avoir réussi leur opération de blanchiment politique, en quittant le navire, se baladent dans les mouvements citoyens, font dans la néo-opposition, ou se posent en... recours, après avoir profité de sa naïveté.
Désormais lancé dans une mortelle fuite en avant, Karim doit savoir qu'il n'est plus qu'un homme déjà dans la mire de la colère d'une très importante couche de la société sénégalaise, pour ne pas dire de la majorité des Sénégalais. Avec un père qui ne sait plus où donner de la tête, il semble être incapable, lui aussi, de prêter oreille aux voix véridiques qui existent partout dans ce pays où la dignité a encore un sens. N'ayant rien à tirer de lui, ces voix, dont le seul souci est de voir le pays aller de l'avant, lui auraient au moins conseillé de pousser son père à mettre une sourdine à son projet inacceptable de dévolution monarchique du pouvoir en sa faveur, ou à cesser de lui donner, comme dans une collection de trophées, tous ces titres ministériels, qui finissent par dégager l'image d'une alter-farce à ce qui était censé être une alternance politique majeure.
Hélas, dans le temps du partage des dépouilles, beaucoup parmi ceux qui devaient jouer le rôle de sentinelle de la bonne gouvernance sont allés à la soupe Wadienne. On en trouve partout, à commencer dans le club des dirigeants d'organes de presse invités pour faire les éloges du fils, de ceux qui trouvent normal que le 'propriétaire' du Sénégal se permette de leur donner des terrains publics, au sein des cadres de l'administration sommés de lire leurs textes selon la volonté du chef, dans les cercles de chefs religieux vénalisés, de celui des acteurs socio-culturels sans créativité et qui n'osent pas souligner l'inutilité à ce stade du festival des arts africains. Les patrons d'entreprise au service de sa majesté et les mouvements féminins soudoyés par la parité s'ajoutent aux compromissions qui ne se comptent plus à la grande joie d'un Abdoulaye Wade qui observe combien la plupart de ceux qui se prosternent maintenant à ses pieds, étaient pour la plupart ses ennemis d'hier.
Même si elle est devenue moins enthousiaste, une grande partie de la communauté internationale est aussi à ranger dans cette catégorie de complices, de collabos. Nul ne peut, en effet, comprendre que les institutions financières internationales, celles privées, bi et multilatérales continuent de trouver normale cette gestion familiale d'un Etat que l'on se plaisait pourtant à saluer comme un modèle démocratique. Non ingérence dans les affaires d'un Etat souverain, diront-elles ! La posture de l'autruche ainsi adoptée volera le jour où le pays se retrouvera dans des tensions aux conséquences incalculables.
Le fait que Karim Wade ait accepté de se faire attribuer, en plus de tous les titres qu'il détient, le ministère de l'Energie, est précisément le type de mesure capable de déclencher le feu. Dans ce pays, dans nos propres familles sénégalaises qui comptent des docteurs en énergie diplômés des plus grandes universités du monde, les ignorer pour resservir un fils qui n'a pas fait ses preuves procède plus que d'une cécité politique et sociétale. C'est une insulte à l'intelligence sénégalaise.
Il n'est pas impossible que Karim Wade y fasse des miracles. Que sous son autorité, la redescente du Sénégal vers l'âge de la bougie soit arrêtée, et que les milliards si continuellement déclinés dans les discours se traduisent en actes quantifiables dans le quotidien des Sénégalais. Mais non seulement qui trop embrasse mal étreint, mais ce jeune homme que Wade veut nous imposer est encore trop tendre pour ce pays de Ndiadiane Ndiaye. Ses dents de lait se fracasseront sur le socle des réalités d'un peuple qui n'a plus d'option en dehors de cette ardente obligation qui lui incombe de sauver son destin en l'extirpant d'une patrimonialisation gâteuse.
Adama GAYE Journaliste et Consultant sénégalais. adamagaye@hotmail.com
Bye-bye Sam-Fuel, et bon débarras !
Telle une dent cariée qu’il faut extraire d’urgence de la gencive infectée de la République, le départ tant attendu de Sam-Fuel, qui jouait jusqu’ici le rôle de ministre de l’énergie, est enfin effectif. Wade le chirurgien, après des années d’hésitation, est finalement passé à l’acte : il a tout bonnement inséré, avec une bonne dose d’anesthésie, un implant à même d’abriter la « prothèse » Karim, qui refait surface dans un nouveau dossier, celui de l’énergie, alors qu’il tarde à faire décoller « Sénégal Airlines », dont le premier vol, après plusieurs mois de report, était prévu pour le 1er septembre 2010.
Wade et son fils avaient prémédité leur coup
Si c’était une pièce de théâtre que Wade et son fils ont voulu écrire, on peut dire que tous les deux sont passés à côté, pour avoir dévoilé au public la clé de l’intrigue, qui n’a rien à voir avec celle de « la petite erreur » qui avait tenu en haleine la salle de l’hémicycle. A peine les Sénégalais ont-ils commencé à se réjouir du départ du très « hospitalier » Samuel Sarr, qu’ils apprennent par le canal du même informateur, que c’est l’omniprésent fils du président qui lui succède au département de l’énergie, devenue la « zone érogène » d’un régime aux abois. A deviner que cette diversion de plus vise en partie à faire oublier le rôle que Sam-Fuel a joué dans l’achat du terrain à New York par l’Etat du Sénégal. Ce départ avait aussi pour objet, de présenter le rejeton des urnes comme l’incontournable Zorro de l’économie, le sauveur, car chez Wade, le hasard n’existe pas. Tout est calculé, scénarisé, voire prémédité.
Vers la résolution problèmes d’énergie au Sénégal ?
Depuis sa cuisante défaite au soir du 22 mars 2009, Wade a cherché à tout prix à placer son fils sur le devant de la scène politico-médiatique, par la petite porte bien sûr. Devant les retouches infinies du gouvernement, on peut supposer que celui qui a signé le décret limogeant l’« oncle Sam », pourrait ne pas être Abdoulaye Wade lui-même, mais son fils. Mais peu importe, car cela n’a aucune espèce d’importance. Pourvu que Sam-Fuel débarrasse le plancher. Que Wade en soit l’auteur ou pas, on peut se réjouir de ce « limogeage » qui en fait n’est que la gratification et la promotion du désormais ex ministre de l’énergie appelé à d’autres fonctions. Parce que ce qui intéresse les Sénégalais, c’est d’abord de retrouver le courant électrique dans les meilleurs délais, et d’être édifiés sur la destination qu’on empruntée les centaines de milliards soi-disant investis dans l’énergie depuis l’évènement de l’alternance, une manne financière qui ne peut être passée pour pertes et profits. A moins que ces milliards soient planqués quelques part, pour être mis à la disposition de la « prothèse » Karim, qui aura toute la latitude pour rétablir l’énergie dans les foyers et mettre fin au calvaire des Sénégalais. Qu’en est-il des responsables de la mort du jeune Abdoulaye Wade Yingou, victime de la répression policière lors d’une marche contre les coupures d’électricité ? Dans quelles juridictions traduire les responsables de l’énergie qui sont les seuls à avoir causé la mort de trois bébés la semaine dernière dans une crèche à Ziguichor ? Voilà les véritables questions sur lesquelles interpeller Iba Der Thiam et Imam Mbaye Niang.
Pour en revenir à Sam-Fuel, sa « petite erreur » a été d’avoir sous-estimé jusqu’où le président non officiel des Sénégalais, est prêt à aller, dans sa course folle à la tête d’une république qui ne veut pas de lui. Devant la recrudescence des émeutes de l’énergie, Wade était contraint d’opérer un choix : sacrifier son mandat à lui, ou sacrifier un ministre à la fois impopulaire et embarrassant : il a opté pour le second. Si la préméditation de ce « limogeage » se confirmait, on devrait s’acheminer dans les jours à venir vers la fin des délestages, un calvaire que Wade et son entourage ont sciemment programmé et imposé aux Sénégalais, dans le seul but de dérouler leur plan de succession monarchique. En attendant, bye-bye Sam-Fuel, et bon débarras !
Momar Mbaye
mbayemomar@yahoo.fr
http://mbayemomar.over-blog.net
L’alternance et la décentralisation ou les tentatives puériles et fantaisistes de domestication ou de déstabilisation des collectivités locales
Dans le domaine de la gestion des collectivités locales, l’alternance a fini de montrer ses véritables limites ; limites ayant les traits d’une réelle tare congénitale. Depuis 2000 les différents actes essentiels posés par le régime dit de l’alternance confortent cette analyse. On peut citer à titre d’exemple la dissolution par voie de mesure générale des organes des collectivités locales et la mise en place en lieu et place de délégations spéciales. Et aujourd’hui quatre autres exemples sont venus s’ajouter à ce décor macabre. Il s’agit des tentatives de musellement du conseil municipal de Thiès par le Préfet, celles de déboulonnement du Président du conseil régional de Diourbel, Monsieur Oumar SARR, la dissolution de certains conseils municipaux échappant à l’emprise de Wade et le « différend foncier » entre Wade et le conseil municipal de la Ville de Dakar.
En matière de décentralisation, le régime dit de l’alternance qui nous a habitués à se targuer d’avancées multidimensionnelles de toute nature brandies en guise de réalisations et de bilan, ne saurait exhiber une seule mesure fondamentale à son actif. Pour illustrer ces propos et avant d’aborder les quatre problèmes soulevés ci-dessous, nous allons faire un survol historique du processus de décentralisation au Sénégal. Ceci pour monter que dans ce domaine tout a été fait avant 2000.
Dans le domaine de la décentralisation, le Sénégal a engrangé une vaste, riche et profonde expérience. Déjà en 1778 Saint-Louis avait un maire nommé. Il faudra attendre 1872 pour voir les premières communes (Saint-Louis et Gorée), suivies de Rufisque en 1880 et de Dakar en 1887. Ces communes constituaient ainsi « les quatre vieilles communes » régies par la loi française du 05 avril 1884. Ensuite il y’eut des communes mixtes (20 communes entre 1904 et 1932) régies par les décrets du 31 décembre 1891 et du 04 décembre 1920. Enfin intervient la loi française n° 55-1489 du 18 novembre 1955 ; loi qui apportait deux innovations majeures :
- Erection de cinq communes mixtes en communes de plein exercice : Kaolack, Thiès, Louga, Ziguinchor et Diourbel.
- Institution de communes de moyen exercice disposant d’un conseil municipal élu et d’un maire nommé.
Après l’indépendance, toutes ces communes sont érigées en communes de plein exercice (33 au total après l’intégration de Gorée à Dakar). Ces communes restaient régies par la loi française du 05 avril 1884 jusqu’en 1966 consacrant l’avènement du Code de l’Administration communale (loi n° 66-64 du 30 juin 1964).
Après ce véritable parcours du combattant faisant du Sénégal le champion de la décentralisation en Afrique, le mouvement connut deux étapes majeures :
- 1972 : intégration des zones rurales non communalisées dans le processus de décentralisation avec la création des communautés rurales ;
- 1996 : réforme de la décentralisation avec la création de la région, la première génération de transfert de neuf domaines de compétence et la substitution du contrôle de légalité au contrôle de tutelle.
Malheureusement aujourd’hui cette riche expérience est menacée de toutes parts et risque si l’on n’y prenne garde de voler en éclats du fait de l’immixtion dans ce domaine de la "politique politicienne" animée par ces autorités de l’alternance.
Le cas du Maire de Thiès
A Thiès, c’est le Préfet du département qui bloquait le fonctionnement de la collectivité pour obliger le conseil municipal à constater l’empêchement du maire en détention préventive. Pourtant c’est ce même préfet qui faisait preuve d’excès de zèle pour monter sa "proximité" avec l’ancien Premier Ministre jusqu’à être surnommé le "Boy Idy du commandement territorial". Concernant ce cas précis, c’est ce même Préfet himself qui se "fendait" en communiqués à longueur d’antenne et à longueur de colonnes de journaux pour poser des actes de reniement de cette proximité. Nous ne nous attarderons pas sur l’aspect moral de cette mutation-reniement mais nous pensons que dans ce domaine le strict respect de la loi est le seul choix à faire. Peut-être qu’il doit sa promotion (il est l’actuel Gouverneur de la Région de Thiès) a cette intransigeance.
Pourtant, le préfet ne pouvait s’appuyer sur une quelconque disposition du Code des Collectivités locales (CCL) pour justifier et fonder son exigence. L’article 143 du CCL qu’il n’a cessé de brandir, à tort, lui est défavorable de part en part. Celui-ci stipule qu’en « cas de révocation, de suspension, d’absence ou de tout autre empêchement, et sous réserve des dispositions de l’article 144 alinéa 2 du présent code, le maire est provisoirement remplacé par un adjoint dans l’ordre des nominations et, à défaut d’adjoint, par un conseiller municipal pris dans l’ordre du tableau ». A ce niveau la première chose à noter est l’existence d’un vide juridique en ce qui concerne l’empêchement du maire :
- le CCL ne précise pas l’organe habilité à statuer sur l’empêchement du maire ;
- il ne précise pas non plus les situations réelles du maire à partir desquelles l’organe habilité pourrait valablement statuer.
Sur le plan juridique le régime de l’empêchement, à l’image de celui de l’absence est strictement balisé par toute une procédure. L’empêchement n’est pas une notion subjective soumise à la seule appréciation de Monsieur le Préfet de Thiès. C’est une notion éminemment objective ; elle est par conséquent mesurable dans le temps et dans l’espace.
Concernant par exemple le Président de la république, l’article 42 de la Constitution précise que « la démission, l’empêchement ou le décès du Président de la République sont constatés par le Conseil constitutionnel saisi par le Président de la République en cas de démission, par l’autorité appelée à le suppléer en cas d’empêchement ou de décès ». On ne peut être plus clair. Concernant le président du conseil régional, l’article 64 du CCL est aussi clair. Il indique qu’en « cas de décès , de démission acceptée, de révocation, de suspension, d’absence ou de tout autre empêchement dûment constaté par le bureau (souligné par nous) et sous réserve des dispositions de l’article 65 alinéa 2 du présent code, le président est provisoirement remplacé par un membre du bureau dans l’ordre des nominations et à défaut, par un conseiller régional pris dans l’ordre du tableau ». A ce niveau le problème ne se pose pas. Le CCL donne compétence au bureau de constater l’empêchement du président du conseil régional.
Pour ce qui concerne la commune, le CCL est muet sur l’organe habilité à prononcer l’empêchement du maire. Et même si le CCL donnait compétence au conseil municipal, celui-ci n’aurait d’injonction à recevoir d’une quelconque autorité. Il ne serait même pas obligé de le faire si la loi ne l’y oblige pas expressément.
Et Monsieur le Préfet ne cessant, dans cette affaire, de descendre de charybde en scylla arbore le manteau de politicien et déclarait, sans ambages, à la radio que s’il y avait autant de problèmes dans cette affaire, c’était parce que le 1er adjoint au maire est une militante de la LD/MPT. Sous l’ère Senghor ou Diouf, ce préfet serait immédiatement relevé de ses fonctions.
Monsieur le Préfet aurait dû revoir ses leçons de "gestion des collectivités locales" à l’ENAM. En effet, comment peut-il solliciter une seconde lecture pour la simple et unique raison que la délibération est signée d’après ses dires par une personne n’étant pas habilitée (il parle du second adjoint au maire). Monsieur le Préfet, un acte pris par une autorité incompétente est nulle, de nullité absolue. En plus la personne signataire d’un tel acte doit être sanctionnée. En réalité si le préfet l’a renvoyé en seconde lecture, c’est parce qu’il sait que cette délibération ne renferme aucun vice. L’autorité qui l’a signée est habilitée à travers la délégation de signature qu’elle a reçue et ceci en conformité avec l’article 112 du CCL. N’est-ce pas la même personne qui signait toutes les délibérations du conseil ? Pourquoi avoir attendu cette situation pour lui refuser ce pouvoir ? En réalité, Monsieur le Préfet était une simple boite à lettres ou un "cachet d’approbation" lorsqu’Idrissa SECK était Ministre d’ Etat ou Premier Ministre.
Le cas du Conseil régional de Diourbel
Au niveau du Conseil régional de Diourbel, l’alerte rouge avait été donnée et c’est toute la gotha libérale mais surtout néo-libérale farouchement anti-Idy qui s’est mobilisée avec un seul objectif en bandoulière : faire payer le Président du Conseil régional d’avoir assumé une amitié. Ne pouvant s’appuyer sur aucune disposition du CCL, ils redoublent d’ingéniosité en vue de mettre en œuvre des stratégies de blocages du conseil ; blocages devant déboucher à la dissolution de l’organe et la mise en place d’une délégation spéciale. Et pour cela pas moins de trois ministres de la République (avec à leur tête celle chargée, à l’époque, de la décentralisation). Le ridicule ne tue vraiment pas sous l’alternance. A croire que les autorités de l’alternance ignorent tout de la décentralisation. Messieurs de l’alternance, les collectivités locales constituent des personnes morales de droit public au même titre que l’Etat et les établissements publics. Elles contribuent de ce fait au développement national en gérant des affaires locales (différentes des affaires nationales) à l’aide d’organes locaux (différents des organes déconcentrés) et à partir de moyens locaux (différent du budget national). Cette délimitation fait que l’Etat ne doit pas, en dehors des prescriptions de la loi, s’immiscer dans la gestion des collectivités locales. Comment un esprit sensé peut-il, dans une situation normale et sur la base d’intérêts bassement partisans, œuvrer pour la dissolution d’un organe élu d’une collectivité locale et son remplacement par des fonctionnaires ?
Et d’ailleurs à ce niveau, ils doivent revoir leur copie. L’article 52 du CCL qui était à la base de leurs manœuvres dispose que « lorsque le fonctionnement d’un conseil régional se révèle durablement impossible (souligné par nous), sa dissolution peut être prononcée par décret, après avis du Conseil d’Etat ». Et ça il faut le prouver. Le fonctionnement de l’organe doit être impossible et ceci devrait être durable, le tout sous la surveillance du juge administratif en amont (son avis est requis) et en aval (il traitera des recours pour excès de pouvoir contre l’acte administratif de dissolution). Ce qui n’aurait pas été gagné d’avance dans un Etat de Droit.
Faisant fi de toutes ces considérations, Me Wade a pris la mesure de dissoudre le Conseil régional par décret n° 2005-1253 du 23 décembre 2005 (JORS n° 6270 du samedi 25 mars 2005).
Mahmoud Amar, Juriste, mamar111@live.fr