Non, deux fois non Monsieur le Président de l
Non, deux fois non Monsieur le Président de la République !
A l’occasion des 10 ans de l’alternance, le président de la République a accordé une interview au groupe de presse appartenant à Youssou Ndour. Cette interview s’inscrit très certainement dans la droite ligne de la série d’entretiens accordés à la presse nationale sénégalaise. Il faudrait s’en féliciter. Car faudrait-il le rappeler, le président Abdoulaye Wade est d’abord et avant tout, le président des Sénégalais. Elu par eux et redevable uniquement à eux. Aussi, avons-nous écouté avec attention l’interview et retenu deux choses :
En premier lieu, au moment où certains médias prédisaient l’ouverture prochaine de la Télé futurs médias (Tfm), Abdoulaye Wade vient de prendre à contre pied tous les devineurs des intentions présidentielles. Contrairement à ce qui était distillé ça et là, le président de la République campe sur ses positions. Tfm n’est pas près d’avoir son autorisation d’émettre. La raison avancée ? De sources présidentielles, les fonds ayant permis la mise sur pied de la Tv proviendraient de l’étranger. Pour cette raison, elle n’émettra pas. Il s’agit là d’un argument qui peut paraître simplement ahurissant et invraisemblable pour tout citoyen profondément soucieux de l’équité et de la bonne marche de notre nation.
Supposons, comme le dit le président de la République, que Youssou Ndour ait sollicité des partenaires étrangers pour renforcer son groupe de presse d’une télévision High-Tech. Où se trouve le mal ? Quelle loi de notre arsenal juridique interdit qu’une entreprise, quelle qu’elle soit, recourt à des financements étrangers ? Où est-ce que cette interdiction est-elle écrite ? Dans un Etat démocratique et moderne, ce qui est ou devrait être le cas pour le Sénégal, tout ce qui est interdit est écrit et consultable à loisir ; d’où l’expression éculée : ‘Nul n’est sensé ignorer la loi’.
Et justement, en ce qui concerne la presse, les choses sont claires, grâce à la Loi n°96 - 04 du 22 février 1996 relative aux organes de communication sociale et aux professions de journalistes et techniciens. Elle stipule en son article 4 : Aucune personne physique ou morale de nationalité sénégalaise ne peut être propriétaire ou détenir la majorité du capital de plus de trois organes de communication sociale. Les personnes physiques ou morales de nationalité étrangère ne peuvent être propriétaires ou détenir la majorité du capital que d’un seul organe de communication sociale.
Qu’est-ce qui, dans cette disposition, justifie le blocage de Tfm ? Question subsidiaire : Pourquoi le président de la République ne s’applique-t-il pas ce qu’il veut imposer à un de ses administrés ? Ne nous a-t-il pas promis une chaîne de télévision panafricaine appuyée par des moyens étrangers ? Le premier magistrat du pays se doit d’être exemplaire en toute circonstance, s’il veut être crédible et respecté.
Dernière précision pour clore ce chapitre : comment l’Etat du Sénégal finance-t-il tous ses grands projets ? Comment l’Apix et l’Anoci - pour ne citer que ces deux agences - ont-elles fait pour faire sortir de terre ces belles routes dont nous sommes si fiers et dont le président de la République ne manque jamais l’occasion de rappeler qu’elles ont transformé le pays ? Evidemment que beaucoup d’argent étranger a été mobilisé pour la réalisation de ces projets. Alors, le jeu n’en vaut-il pas la chandelle ?
Au moment où des chaînes étrangères, financées par des capitaux étrangers diffusent leurs programmes dans notre territoire, pourquoi des chaînes sénégalaises, même avec des capitaux étrangers, n’auraient-elles pas le droit d’émettre? Tout cela ne me paraît pas bien libéral. Pour notre indépendance et notre ancrage dans le cercle des nations émergeantes, autant la fermeture des bases militaires françaises est un acte à saluer autant le blocage de Tfm est injustifiable.
En deuxième lieu, le président de la République nous dit sans sourciller que son fils, M. Karim Wade, est le meilleur financier de ce pays. Qu’il attend que quelqu’un vienne lui prouver le contraire. Nous savons, grâce au président de la République, que son fils a été salarié dans une grande banque londonienne où il était le seul Noir. Voilà ses états de services. Mais Tutu Agyare (un Ghanéen) qui travaillait à Ubs à Londres, en même temps que Karim Wade, ne compte-t-il pas ? Tidjane Thiam, un Ivoirien d’origine sénégalaise, est aujourd’hui à la tête de Prudential, la deuxième plus grande compagnie d’assurances au monde. Pourquoi ne pas lui faire illico presto un passeport sénégalais et en faire un ministre de la République ? Quid du phénoménal Moctar A. Fall ? Managing Director & Head of Debt Capital Market for Emerging Markets JP Morgan merging Markets à New York, il a été cité par le Black Enterprise parmi les 75 Noirs les plus influents dans le secteur financier américain en 2005. Les exemples peuvent être multipliés à souhait.
Nous attendions de Monsieur le Président de la République plus de hauteur et de considération de ce que nous sommes. Aujourd’hui, plus aucun cadre africain ne cherche à être le premier ou le seul Noir dans… Les temps ont changé et nous devons changer avec. Nous n’avons plus le loisir de nous gargariser d’être le premier Noir. La nouvelle génération d’Africains cherche tout simplement à être parmi les meilleurs.
Par ailleurs, le président sait-il que le fait de dire que son fils est le plus fort en finance ne veut absolument rien dire ? Il y a tellement de branches dans la finance (entreprise, marché, projet, taux de changes, dérivés, quants, actions, obligations, leverage buy out, private equity, banques, système d’assurance, etc.), que personne ne peut tout maîtriser dans ce domaine. Pour cet employé de la City, combien d’autres Sénégalais dans cette même City de Londres ? Ubs, (l’ancien employeur de M. Karim Wade) est certes un grand établissement, mais n'est certainement pas le plus prestigieux.
Cacherait-on à Monsieur le Président de la République qu’il y a des Sénégalais qui travaillent dans l’institution de référence qu’est Goldman Sachs et des mastodontes tels que JP Morgan, Hsbc, Barclays, Bank of America Merrill Lynch ou Bnp Paribas ? Des Sénégalais qui détiennent exclusivement le passeport sénégalais et aucun autre. Ce qui les rend d’autant plus méritants. De même, combien de Sénégalais ont occupé et continuent d’occuper les plus hautes responsabilités dans des institutions aussi respectables que la Bad, la Boad, la Banque mondiale…? Alors une seule question, Monsieur le Président : Quels sont les diplômes et l’expérience professionnelle dont M. Karim Wade est le seul Sénégalais à pouvoir se prévaloir en matière de finance ? Nous pensons naïvement qu’un individu est meilleur que les autres - dans un domaine précis - lorsqu’il détient quelque chose que les autres n’ont pas. A Londres, Tunis, Paris, Washington et Dakar, nous connaissons des Sénégalais, hautement qualifiés dans la finance et qui gèrent des sommes colossales qui leur ont été confiées par des ‘Toubabs’, à considérer que cela soit gage de compétence. Monsieur le Président de la République, en matière de finance, demandez à votre entourage s’il connaît des Sénégalais aussi compétents sinon plus que Karim Wade. Vous seriez surpris de voir la longueur de la liste si cet entourage vous répondait en son âme et conscience, sans crainte de perdre ses avantages liés à quelques positions.
Abdou Khadre LO D.G Primum Africa Consulting
P s : Nous ne sommes pas actionnaires dans le groupe Futurs médias, n’appartenons à aucune chapelle politique et n’avons de haine pour personne. C’est tout simplement notre devoir de citoyen que de tirer la sonnette d’alarme à chaque fois que nous avons le sentiment que la ligne rouge est franchie.