volonté de partir et désir d
Abdoulaye Wade : volonté de partir et désir de rester
Soumis aux pressions contradictoires de demandes politiques hétérogènes, Abdoulaye Wade ne dispose plus de repères qui lui permettent de s’orienter. Force est de reconnaitre que, pour une personne du quatrième âge, l’exercice est difficile. Entre la volonté de partir pour préserver la paix au Sénégal et le désir de rester dans une tentative de se faire succéder par son fils et assurer la sécurité de sa bande de prédateurs, le choix est cornélien.
Autrefois siège d’une institution, le Palais de la République est devenu aujourd’hui un laboratoire d’idées politiques où des apprentis sorciers en communication et en politique politicienne redoublent d’efforts pour imaginer toutes stratégies possibles afin de garantir à Abdoulaye Wade un troisième mandat, conscients qu’ils sont que le Conseil constitutionnel, dans ses dispositions actuelles, n’est pas prêt à valider sa candidature.
Qu’on puisse nous servir successivement en 48 heures un séminaire de juristes prétendus pour justifier cette candidature et un sondage BVA qui lui accorde 53 % des intentions de vote, non seulement traduit le péril qu’il y a en la demeure, mais relève aussi et simplement d’une autre de ces stratégies à dimensions multiples pour préparer psychologiquement les Sénégalais à un coup de force électoral ; ceci cinq mois seulement après un historique sursaut du peuple Sénégalais le 23 Juin 2011, pour venir à bout du projet de reforme constitutionnelle instituant l’élection d’un président et d’un vice-président.
L’initiative de ce séminaire répondait à un souci exclusif : influencer le Conseil constitutionnel qui, ils le savent bien, mesure la portée historique d’une décision qu’il devra prendre et dans quelques semaines tranchera de manière objective en dehors de tout intérêt partisan et au profit du Sénégal. Et ce n’est pas la corbeille de minces arguments développés par ce panel qui y changera quelque chose.
Quiconque observe aujourd’hui de manière attentive le paysage politique sénégalais se rendra compte qu’à l’évidence, le sondage BVA commandité par Abdoulaye Wade et ses acolytes ne reflète en aucune manière la réalité de ce paysage et le sentiment de la majorité des Sénégalais, sur un troisième mandat du président sortant.
La publication de ce sondage, né d’un pur calcul politique et payé à coups de milliards, répond à un simple souci : préparer d'ores et déjà les Sénégalais à l’idée d’une victoire de Wade au premier tour après que le Conseil constitutionnel, mis aux ordres, validerait sa candidature et qu’une répression féroce s’abatte sur toutes les manifestations ou protestations. Les menaces d’Ousmane Ngom, à cet égard, sont assez révélatrices.
Faire du Parti socialiste la deuxième formation politique après le Pds constitue une autre dimension de la stratégie de Wade. Elle consiste d’abord à diviser davantage Bennoo Siggil Senegaal au profit du Ps afin de favoriser une candidature plurielle dans cette entité, ouvrant ainsi la porte à une manipulation des élections pour proclamer Wade vainqueur au premier tour. Le dernier élément de ce plan sera d’inviter le Parti socialiste à un partage éphémère du pouvoir pour rétablir le calme en cas de troubles. Le reste, on le devine facilement.
Des intentions de vote des Sénégalais, si une élection présidentielle transparente devait se tenir aujourd’hui avec Abdoulaye Wade comme candidat légitime, nous pouvons affirmer avec certitude qu’il recueillerait au mieux 26 % des voix au premier tour. Pas un pourcentage de plus. Cela, ses gourous du Palais le savent. Le projet avorté de reforme constitutionnelle instituant l’élection du président et du vice-président au suffrage universel direct avec introduction d’un quart bloquant au premier tour n’est pas très loin de nous et prend sa source dans ce constat.
Nous commanditons aussi des études de ce type, cependant très sérieuses ; et à la différence de Wade, non pas pour les rendre publiques mais pour nous en servir comme instrument exclusif de campagne.
En conclusion, Wade et ses stratèges se tromperaient lourdement en ignorant la détermination profonde qui anime aujourd’hui le peuple sénégalais uni dans la défense de sa patrie et son honneur, déterminé à faire face à toute tentative de violation de sa Constitution, de hold-up électoral et de dévolution monarchique du pouvoir. Y en a marre ! Tout simplement.
Alors, Messieurs de la Cour du roi, déroulez-en une autre. Cette stratégie ne passera pas. Et il n’est pas tard pour bien faire.
Moussa SIGNATE, Rewmi-New York
Blocage du choix du candidat de Bennoo : entre déni d’objectivité et illusion unitaire
L’avènement de la démocratie représentative a généré le principe aristocratique de l’élection à travers le phénomène de la représentation politique. La sélection des catégories dirigeantes est, de nos jours, incontournable dans les modes d’accès aux positions électives de pouvoir. De ce point de vue, l’élection présidentielle suppose la désignation de candidats. Au Sénégal, les partis politiques ont le monopole de l’encadrement des candidatures aux élections, malgré un réveil des candidats indépendants. Aujourd’hui, les partis sont devenus des entreprises politiques et leur principal but est la conquête pour l’accès au pouvoir, vu l’intensification de la compétition.
En cela, la difficulté de choix d’un candidat qui se manifeste dans la coalition Bennoo Siggil Senegaal (BSS) s’inscrit dans une logique de positionnements sous-tendue par des enjeux électoraux importants. Pourquoi la commission dite de facilitation n’arrive pas à trouver un consensus autour du choix du candidat de Bennoo ? Comment se désigne le candidat d’une coalition électorale dans les démocraties modernes ? Le Sénégal tente-t-il de théoriser une exception à travers la technique de vote pour désigner le candidat de Bennoo ? N’est-on pas là dans un cas d’école qui s’apparente à un déni d’objectivité dans la mesure où les membres même de ce comité de facilitation et l’opinion publique savent quel est le parti le plus représentatif et électoralement plus expérimenté au sein de Bennoo ? Cette candidature de l’unité et du rassemblement est-elle réalisable, et pourquoi ce fétichisme qui l’entoure ? Le Ps et l’Afp n’ont-ils pas perdu trop de temps avec ce schéma ?
Autant d’interrogations qui posent la problématique de la dégénérescence des coalitions électorales. En d’autres termes, les regroupements de partis portent en eux-mêmes les germes de leur propre décadence. Mais les sciences sociales étant iconoclastes, il est toujours important d’apporter des précisions terminologiques sur l’usage des mots pour éviter certaines confusions. C’est pourquoi l’on pourrait comprendre ici par déni d’objectivité, le refus de l’objectivité dans l’arbitrage des candidats à la candidature à partir des dix critères élaborés par Bennoo.
1. Le fétichisme de la candidature de l’unité
Après l’élection présidentielle de 2007 marquée par la défaite de l’opposition, le premier indice de rassemblement de cette opposition a été d’appeler au boycott des élections législatives de la même année. Ce boycott réussi avec un taux de participation avoisinant les 30 % a dopé l’opposition à s’inscrire davantage dans une dynamique unitaire. C’est dans cette perspective que les Assises nationales ont été créées pour trouver un cadre de mobilisation, mais aussi d’entretenir un dialogue inclusif sur les problèmes de la société sénégalaise.
Cette unité s’est électoralement manifestée lors des élections locales de 2009 où cette coalition électorale Bennoo Siggil Senegaal a pu remporter la quasi-totalité des grandes villes du pays. L’option de ce regroupement de partis a été de reprendre la même stratégie d’alliance pour la présidentielle de 2012. Pourtant, l’analyse électorale exclut toute démarche visant à envisager toutes les élections de la même façon. En d’autres termes, l’élection présidentielle ne saurait être analysée de la même façon que les élections législatives ou les élections locales. Même si, du point de vue sociologique, on peut relever dans le comportement électoral une adhésion à la dynamique unitaire Bennoo, force est de reconnaître que cette fétichisation de la candidature unique ait installé les partis membres de cette coalition dans un piège.
Si les coalitions électorales constituent, de nos jours, des stratégies d’alliances très prisées en termes de résultats électoraux, la faisabilité de la candidature de l’unité et du rassemblement a commencé à se manifester dès l’élection des exécutifs locaux en 2009. Les principales forces politiques qui pouvaient s’imposer pendant ce moment de choix de la candidature de Bennoo étaient naturellement le Ps, l’Afp et l’Apr. Si l’on porte un regard sur la distribution des positions de pouvoir dans les localités gagnées par cette coalition et les figures politiques dirigeant ces partis. Cette hypothèse de la candidature unique a été rejetée par certains partis comme l’Apr qui a défendu les candidatures plurielles. Certains militants de partis de Bennoo ont aussi manifesté leur désaccord à la candidature unique.
S’il y a eu une obstination sur la candidature unique qui est devenue la candidature de l’unité et du rassemblement, c’est qu’on a essayé de faire croire à l’opinion que seule cette formule constituait la panacée pour réaliser un changement en 2012. Pourtant, la science politique enseigne qu’aucune élection n’est gagnée d’avance. Si l’on n’a pas encore une photographie des candidats en lice, la fétichisation d’une formule de candidature devient un grand piège, car s’inscrivant dans une posture idéaliste. Curieusement, le nombre de partis membres de la coalition est souvent évoqué sans que l’on s’interrogeât sur le poids électoral de ces formations politiques. Ainsi, vouloir proposer un vote reposant sur le principe, un parti = une voix, semble plus qu’absurde. Ce procédé paradoxal met en relief la réalité de la représentativité des partis au sein de Bennoo et les liens affectifs entre certains leaders qui portent cette proposition.
En outre, le multipartisme intégral adopté en 1981 a généré au Sénégal une catégorie politique étiquetée de ‘partis cabines téléphoniques’. C’est là où on peut lire et comprendre avant d’adopter une posture de fétichisation de la candidature unique qui ne fait que montrer une distanciation par rapport à la réalité. Ce qui soulève d’autres interrogations. Le contentieux entre le Ps et l’Afp, né le 19 mars 2000 et intensifié par le réquisitoire de Niasse contre le bilan des socialistes lors de sa Déclaration de politique générale en tant que Premier ministre, est-il réellement vidé par ces deux partis ? Le départ de Niasse du Ps en 1999 n’était-il pas un prétexte pour tenter de réaliser ses ambitions présidentielles annonciatrices d’une impossible entente avec Tanor sur une candidature de coalition ? Le PS qui est le parti majoritaire de la coalition accepterait-il de brader son électorat à Niasse qui dirige un parti moins représentatif et qui a contribué à sa perte du pouvoir en 2000 ? Autant de questions qui mettent un bémol dans cette fétichisation de la candidature de l’unité et du rassemblement et qui demandent de chercher à comprendre les interactions qui se nouent au sein de cette coalition.
2. Sociologie d’un milieu de positionnements politiques
Il faut considérer Bennoo comme un cadre explicatif de la territorialisation de la compétition politique. Dans cette coalition hétéroclite, on relève, du point de vue structurel, deux grandes formations (Ps et Afp) et d’autres fortes personnalités constituant ce qu’on a communément appelé le Pôle de Gauche. En effet, la sociologie des partis permet de rendre compte de leur organisation et de leur fonctionnement internes, autrement dit la ‘territorialisation’ de leurs fonctions de représentation politique. Elle répond aussi à l’intérêt de saisir la diversité spatiale des formes d’implantation et d’organisation des partis. Loin d’une approche marxiste qui consisterait à considérer la taxinomie des partis comme correspondant à celle des classes sociales, il faut partir d’un point de vue wébérien selon lequel les partis sont principalement des associations ayant pour but de procurer à leurs chefs le pouvoir. Il s’agit de montrer que si les partis ont cet objectif, il faut s’interroger sur les dépositaires de ce pouvoir.
C’est aussi un déni d’objectivité que de vouloir contester la meilleure représentativité du Ps par rapport aux autres partis de Bennoo. Si les tenants de cette thèse du refus de voir la réalité écartent la référence aux résultats de l’élection présidentielle de 2007, les résultats des élections législatives de 2001 et les mobilisations récentes des partis sur le terrain constituent des preuves sans équivoque ! La sociologie de l’espace Bennoo met également en lumière des affinités construites depuis l’adolescence de certains leaders au lycée, c’est-à-dire des relations de promotionnaires. Cette posture émotionnelle ou affective n’altère-t-elle pas toute logique d’objectivité ? On peut alors comprendre certaines prises de positions aux allures de dictature soviétique.
De plus, certains de ces promotionnaires s’inscrivent plus officieusement dans une continuité de lutte contre le retour du Ps au pouvoir. Si dans les démocraties modernes, la culture politique accepte le principe de l’alternance au pouvoir, est-il juste, voire démocratique de refuser un retour du Ps aux affaires si ce parti présentait un projet crédible aux Sénégalais ? Pourtant, dans d’autres aires géographiques comme les Usa et la France, ce sont des partis qui ont perdu le pouvoir qui parviennent à le reconquérir. C’est une des vertus du suffrage universel créé depuis 1848. Paradoxalement, c’est là où l’on peut relever certaines failles de la culture politique dans beaucoup de pays africains.
Dans cette course à la désignation du candidat de Bennoo, les petits partis se satellisent en réalité autour des grandes formations politiques, notamment le Ps et l’Afp. Il s’agit de positionnements pour tenter d’influencer le choix du candidat de l’unité et du rassemblement. Dans cette perspective, toutes les formes de manœuvres et de manipulations inimaginables sont permises. L’idée de procéder par vote pour la désignation du candidat de Bennoo illustre cette situation alors que le consensus est la règle de prise des décisions dans cette coalition. Tout cela explique les jeux d’intérêt qui existent et qui peuvent se traduire même par une forme interne de clientélisme politique. Sous ce rapport, on constate un essai de théorisation d’une exception aux expériences modernes de désignation d’un candidat d’une coalition électorale.
3. Le rejet du critère de représentativité : le sacre d’un déni d’objectivité
La désignation du candidat de Bennoo a fait l’objet d’une élaboration de dix (10) critères. Un comité de facilitation composé de cinq (5) membres a été constitué pour essayer de trouver un consensus en rencontrant même les directions des deux partis, c’est-à-dire le Ps et l’Afp. Mais, malgré tout, ce candidat peine à émerger entre deux fortes personnalités aux carrures d’hommes d’Etat. A travers cette procédure, l’on assiste à une tentative de théorisation d’une forme singulière de choix d’un candidat d’une coalition dans la mesure où, dans toutes les démocraties au monde, l’expérience montre qu’une telle candidature se construit toujours autour du parti majoritaire.
Objectivement, le candidat investi par le Ps, parti majoritaire de Bennoo, doit conduire cette coalition à l’élection présidentielle de 2012. Alors pourquoi tergiverser sur ce qui correspond à la réalité politique ? Pourquoi établir des critères de sélection sans pouvoir départager les prétendants ? Immanquablement, les dix critères établis départagent aisément les deux concurrents au sein de Bennoo. D’ailleurs, cela a amené certains observateurs à qualifier cette situation de complot contre le Ps dont on veut utiliser son électorat majoritaire sans vouloir le mettre devant. N’est-ce pas aussi faire montre de la politique de l’autruche que de vouloir rejeter le critère de représentativité alors que ce sont des voix qui font gagner une élection ?
Bennoo va-t-il vers la dislocation, c’est-à-dire l’option de candidatures plurielles encadrées et limitées ? Peut-on sauver aujourd’hui l’unité de ce qui reste du Bennoo originel ? Certes, le capital symbolique de confiance collectivement accumulé dans le cadre d’un mouvement est important. Car l’action politique s’exerce de plus en plus au nom d’un groupe et à partir des ressources symboliques de ce groupe vu l’intensification de la compétition politique dans les démocraties représentatives. Toutefois, l’intérêt du poids électoral d’un parti dans une coalition est de créer une dynamique, au-delà de l’entrepreneur indépendant. En cela, le capital politique généré par un parti dans sa tradition électorale est une donnée importante en matière d’analyse électorale.
Les faits qui se manifestent montrent que seul un improbable désistement peut apporter une solution. Mais est-ce possible ? Certains évoqueraient même l’idée de droit d’aînesse entre les deux prétendants. Ce qui serait de l’ordre de la pure fiction ! En réalité, on occulte souvent la posture du candidat en direction de la campagne électorale. La convocation des mobilisations politiques des partis de l’opposition au cours de ces dix (10) derniers mois mettent en scène deux leaders qui ont été plus en contact avec leur base et les populations : il s’agit d’Ousmane Tanor Dieng et de Macky Sall. Niasse a-t-il fait autant de tournées au niveau de sa base au même titre que Tanor, c’est-à-dire treize (13) régions sur quatorze (14) ? Cela n’est pourtant pas négligeable, car cette fréquence sur le terrain a l’intérêt de présenter Tanor et Macky comme étant déjà dans leur habit de candidats à la présidentielle de 2012. Ces tournées permettent aussi de tester la capacité de mobilisation projetant la représentativité de l’homme ou de la femme politique. Si l’option de la candidature plurielle s’impose, les petits partis dans Bennoo devront bien réfléchir sur leurs alliances car leur chance serait de s’allier avec le parti le plus représentatif pour une éventuelle redistribution des cartes en cas de victoire. En substance, ne peut-on pas dire que ces difficultés observées dans la construction de la candidature de l’unité et du rassemblement mettent en lumière l’illusion unitaire de Bennoo ?
Abdou Rahmane THIAM, Docteur en Science politique
Mettre en berne l’Etat du Sénégal serait-il une ligne d’horizon de la Majorité et du contre pouvoir avant février 2012 ?
Il s’agit, ici, de freiner, avant que le catastrophisme politique ne se développe, les exactions qui résultent de certaines pratiques politiciennes ayant cours, maintenant, au Sénégal. Affrontements et confrontations physiques sont, en somme, des épiphénomènes qui dérangent la Nation Sénégal où la réserve et la retenue restent, sans conteste, des vertus cardinales. Or, le recours à certaines épreuves physiques démontre, malheureusement, l’incapacité des challengers à recadrer le jeu politique. Et confirment l’impuissance de la majorité, du contre pouvoir et du pouvoir à bien encadrer leur rapport avec la règle du juste milieu.
Cependant, l’avenir n’est guère en péril. Parce que les populations ne suivent, dans aucun cas, ceux qui ne veulent que trop garder leur nez sur le guidon. Pourquoi pouvoir et contre pouvoir estiment-ils que la confrontation physique resterait l’unique voie ?
« Persévérer dans son être », en refusant toute mutation, favorise l’installation du chaos dont les effets débouchent, souvent, sur la déconfiture méthodique de l’ordre citoyen. Cet ordre qui ne doit reposer, essentiellement, que sur le patriotisme, le consensus. Et non sur la force.
Des hommes politiques estiment, contre toute attente, que le recours à l’affrontement physique devient la seule pédagogie qui aide à modifier, en leur faveur, les rapports de force politiques. Or, cette approche, dans le fond comme dans la forme, est proscrite en démocratie qui prescrit l’expression du plus grand nombre, sans pression.
Matraquage par voie médiatique, démonstration de force par affrontement physique, dérèglement de l’éthique et diktat des moralités variables sont les nouveaux ingrédients utilisés pour vaincre en politique. Alors que, là, convaincre reste l’unique loi.
Vaincre en politique exige une méthodologie qui permet de convaincre sans fracture, sans traumatisme et sans violence. Mais la règle, de nos jours, pour gagner en représentativité ou en légitimité ne vise plus une offre programmatique, une prospective citoyenne, un encadrement judicieux de la pratique de la démocratie. Elle ne repose plus que sur l’ostentation, l’activisme, le situationnisme et l’opportunisme. L’ère des corneilles et des corbeaux est née depuis janvier 2011.
Comment ne fonder un pré combat politique que sur un recours à la violence ?
Désormais ce sont la jeunesse et les femmes qu’on entend offrir à la violence et qui serviront, sans éthique, de chair à canon ou qui s’afficheront, de manière suicidaire, chaque fois qu’il s’agit d’un affrontement physique.
Le Sénégal ne se limite, guère, au pré positionnement électoraliste. Mais se préoccupe, particulièrement, de son futur, de celui de sa jeunesse, de ses femmes.
Pensons à créer des conditions d’une existence décente. Car les forces de destruction déciment, sans mesure, les peuples dépourvus de paratonnerre citoyen.
Soyons des hommes d’action et non de réaction.
La réaction installe, dans un pays, un déficit d’action ; y développe une impasse stratégique. Et ne promeut, contre toute attente, que des apprentis sorciers aveugles aux valeurs, allergiques à l’éthique et incapables de relever le moindre défi.
D’ailleurs, Dakar a failli basculer dans le désordre du fait de certains acteurs qui ne cherchent que l’affrontement physique pour des causes illicites.
Thiès devient le lit du désordre et de la confusion, Bambey s’engage dans la même logique.
Pourquoi le recours à la chirurgie chaude dans un pays où le règne de l’ordre, de l’hospitalité et du patriotisme aura toujours prévalu ? Que faire de l’enseignement des guides religieux ?
Il s’agit de savoir les raisons qui seraient à la base du délitement de l’autorité de l’Etat dans un pays où la déconcentration gagne du terrain, où la décentralisation avance et où la médiatisation évolue.
Le désordre qui se développe, sans arrêt, dans la Nation, la pratique de la démocratie qui se précarise et la vulnérabilité de l’Administration interpellent le pouvoir, la Majorité et le contre pouvoir. Avant que l’absence de hiérarchie n’installe la République dans des eaux troubles.
Pourquoi de hautes autorités, des élus et des dirigeants de mouvements politiques estiment-ils que, désormais, se crêper les chignons devient un moyen licite de lutte politique ?
La contorsion, la transgression et la non communication ne sont plus de saison dans le contexte politique né après l’Alternance 2000. Mais janvier 2011, comme une surprise, aura favorisé l’escalade de la potentialisation de l’affrontement et de la confrontation physique. Or, les musculaires ne devraient, en aucune façon, être des protagonistes en politique. Et, surtout, en démocratie.
Notons le fait que le recours extrême à la violence est, maintenant, assimilable à une autre forme d’irrédentisme. Car cette épidémie qui persiste depuis janvier 2011 mérite une thérapie. Avant que son développement ne dépasse les limites.
Aujourd’hui les musculaires se substituent aux forces de l’ordre. Les leaders du contre pouvoir ont, tous, des gardes du corps recrutés parmi les gros bras. Les autorités ne connaissent plus les limites du dédoublement fonctionnel. Et sont protégées quand elles se déploient dans des actions privées. Cette confusion devrait être endiguée. Parce que le responsable politique qui n’exécute pas une action publique ou qui se déploie dans une action à caractère privé ne devrait, sauf erreur, jouir des avantages octroyés au titre des attributs de fonction officielle.
Une normalisation et une moralisation des comportements des acteurs du contre pouvoir et de la Majorité deviennent, dans une totale mesure, une urgence.
Ce rétablissement de la normalité contribuera, de façon effective, à la réduction de l’escalade des légèretés menant vers la naissance de certains abus. Générateurs de frustrations poussant à qualifier, avec raison, l’attitude du pouvoir consistant à consolider l’impunité.
Oui, l’impunité, cette tare nouvelle au Sénégal. Le peuple condamnera, avec fermeté, toute forme de proscription qui soit de nature à développer l’ampleur des inégalités pouvant provoquer le feu dans la maison. Par ailleurs, sans plaider pour un quelconque report, sommes-nous prêts, dans ce contexte social, à aller aux élections ? D’où notre appréhension à penser que l’Etat risque d’être mis en berne.
Wagane FAYE
Professeur d’Anglais
Coordonnateur des Cadres du F.A.P
Expert Associé à CARED Afrique
E-mail : ngenbale@hotmail.fr
Cette nouvelle culture de la célébrité au Sénégal!
Parachevant un travail universitaire qui porte sur l’analyse de pratiques sociales souterraines à l’œuvre dans la société sénégalaise, nous avons été particulièrement dérouté ces dernières semaines par la mise sur agenda médiatique de ce qui nous a semblé être des faits divers, des petits scandales promus à l’oubli faute de dénonciation publique sérieuse.
Cette médiatisation a été surtout observé via une presse populaire voire quelques chaines de télévision privées. Cette forme de célébrité est nous semble-t-il une résultante implicite de la promotion d’une « culture du loisir ». Pour le dire autrement, la disposition qu’ont les médias d’imposer et d’user des « stars » en toute circonstance est représentative à notre avis, de l’implantation d’une « culture du loisir », d’une société du divertissement, d’une société qui remanie ses idoles.
Le sociologue français, Edgar Morin parlait déjà en 1962 d’une montée d’une « culture du loisir », d’un « éthique du loisir », aujourd’hui cette donne s’est accentuée en se conjuguant avec d’autres transformations plus profondes des sociétés contemporaines (impact des échanges transnationaux, transformations voire hybridation des cultures nationales, formation de nouvelles identités, etc.). Nous analysons ces contenus médiatiques comme une « représentation mythique » (Eric Macé, 2006) de ce qu’il convient d’appeler le temps des nouvelles féminités. Cette célébrité célèbre en effet des personnages féminins, ceci n’est pas étonnant si l’on accepte un temps soit peu que la visibilité des femmes dans la presse populaire/people en ligne et les magazines locaux reste tributaire d’images stéréotypées (présentation de la femme en tant que séductrice derrière un corps érotisé et sexualisé, bref la « culture du paraitre » devient une condition pour élire celles que les médias rendent visibles …).
Pour le dire comme Eric Macé, dans leur visibilité publique, ces personnes semblent « engager moins leur compétence que leur personnalité » (Eric Macé, 2006) . Prenons pour exemple les cas de ces « figures » suivantes: les mannequins Adja Diallo, Adja Ndoye, Maty Mbodji, Sokhna Aidara et Gabriel Goudiaby qui vient de rejoindre le peloton, les danseuses Mbathio Ndiaye, Dada Pathial, Aida Dada, Ndéye Guéye, Oumou Sow, les « tassoukat » Ndiollé Tall et Ngoné Ndiaye Guéweul et la liste est loin d’être exhaustive. Ces faits qui ont attiré notre attention procèdent par une médiatisation très forte pour ne pas dire un matraquage médiatique de ce qu’on pourrait nommer des peoples à l’américaine dans le pays des marabouts. Ce qui saute à l’œil c’est ce recyclage permanent des mêmes personnages, qui nous reviennent chaque fois sur une nouvelle formule. Pour illustration, citons la sommaire guerre médiatique entre le directeur de publication du magazine Icône, Mansour Dieng et Adja Diallo.
Quelques jours auparavant, elle était avec le mannequin Maty Mbodji au centre d’une polémique autour d’une grosse somme d’argent qui serait acquise de manière douteuse en Guinée. La danseuse Mbathio Ndiaye mise en cause dans une supposée affaire de grossesse, ce qu’elle a d’ailleurs démenti publiquement via une chaine de télévision privée. Cette même Mbathio était citée avant dans une histoire de vol de portable. On pourrait encore multiplier de tels exemples. Ces peoples ou ces « idoles de consommation » (Lowenthal, 2006 [1961]) font vendre et participent au déplacement des canevas classiques de la valorisation sociale déjà entamé par les lutteurs, elles sont mises en avant, elles sont promues comme référence, elles sont visibilisées à l’extrême.
D’aucuns me diront sans doute que la mission de la presse populaire ou people est de mettre à nu et de rendre public les turpitudes avérées ou pas de nos stars locales. Mission que nous ne récusons pas. Par ailleurs, ce qui a motivé notre courte observation c’est non pas la production d’une dichotomie entre celles qui méritent le statut de célébrité et celles qui ont accédé à une célébrité non méritée ou encore une célébrité scandaleuse. Ce qui intéresse ici c’est plutôt la reconfiguration des instruments médiatiques, de la gestion des mœurs, des sensibilités morales, des habitudes de jugement lorsque le dispositif normatif est mis à l’épreuve par certaines pratiques.
Ce sont ces reconfigurations générales même qui ont permis à la culture de la célébrité de prendre ses aises dans la société sénégalaise. Des faits qui en effet relevaient de la transgression sont aujourd’hui banalisées en rentrant dans les mœurs. Nous ferons cette observation même en dépit d’un possible rappel à l’ordre de ceux qui sont appelés les « entrepreneurs de morale ». Il convient aussi de souligner qu’il existe des différences souvent subtiles mais réelles entre les termes de star, célébrité, people, vedette mais nous tairons ce débat théorique ici car ce qui nous intéresse c’est la médiatisation recyclée de quelques personnages locaux.
Pourtant cette distinction a bien besoin d’être évoqué dans le contexte sénégalais où on fait très souvent ce mélange des genres en élevant n’importe quelle personne au rang de star ou de vedette. Ce qu’il faut savoir des différences entre star et célébrité c’est que tout le monde peut devenir célèbre, il suffit juste de passer par un canevas qui peut être la parenté (célébrité par connexion), par les médias, par les scandales ou encore par le talent, les performances. Or pour être star, il faut un renouvellement, une confirmation reconnue par tous du talent, de la performance. Si c’est cela être star on en retrouve bel et bien au Sénégal dans les milieux de la chanson notamment dans le Mbalax, le théâtre populaire, la politique, la religion, etc. *
Ces stars citées sont là mais aujourd’hui on les voit très peu dans les médias (figure traditionnelle de la star qui est inaccessible). Par contre les célébrités créées par les médias sont hyper-visibles, elles meublent notre vie quotidienne par leurs frasques, la mise en scène de leurs vies privées sur la base de compilation d’informations qui paraissent plus complaisantes que vérifiées (souvent les informations concernant ces célébrités ne sont soumises au crible de l’esprit critique). Leur célébrité serait sans doute vaine s’il n’y avait pas un public qui lit de telles informations, qui s’intéresse à ce qu’elles font. Chose utopique sans doute car la société sénégalaise demeure une société très friande de potins, surtout quand ceux–ci mettent en cause des personnes connues. Les célébrités fascinent sans aucun doute : les jeunes filles aimeraient ressembler au mannequin, son habillement, ses goûts sont contemplés avec envie, les hommes fantasment sur le corps du mannequin, ou encore sur les déhanchées érotiques de la danseuse. Ces personnages hissés au rang de célébrité via les médias, peuvent être prises dans une configuration double : soit elles ne contrôlent plus leurs images (la rançon du succès !).
Celles–ci se trouvent entre les mains de paparazzi ou encore d’acteurs d’une surenchère des faits sensationnels pouvant faire vendre. Cependant, l’existence de paparazzi au Sénégal est à relativiser contrairement à d’autres pays tels que la France, les USA où les pratiques de ces photographes particuliers font partie intégrante de la vie des célébrités. N’empêche en parcourant la presse en ligne nous entendons souvent parler du paparazzi désigné sous le sobriquet « Chon ». Dans cette première logique, elles sont médiatisées et font vendre sans vraiment le chercher.
L’Autre possibilité, c’est l’instrumentalisation consciente des médias pour paraître et apparaître en vue d’obtenir une visibilité publique. Nous pouvons penser ici qu’elles utilisent les médias pour être visibles, asseoir une certaine popularité Dans ce dernier cas, on ne peut pas s’empêcher d’entrevoir une éventuelle complicité, une conspiration entre les célébrités et les journalistes qui livrent de telles informations. La narration des faits ou des scandales mettant en cause les célébrités se construit souvent sur des régimes de révélation ambigus. Une grande place est alors accordée à l’information allusive où le lecteur est invité à un constant jeu de devinette pour comprendre l’information donnée.
Awa Diop Barro
Doctorante en sociologie, Université Bordeaux 2.