Le présent de notre cinéma
Lettre ouverte au président de la République du Sénégal
Le présent de notre cinéma suscite bien des interrogations. Et période ne peut être plus sombre que celle que nous traversons actuellement, période caractérisée par le néant tant au niveau de la production que de la distribution.
Comment va le cinéma sénégalais ? Il va mal ! Très mal même ! Au point que les cinéastes croupissent dans la misère, ne sachant où donner de la tête malgré les promesses des autorités.
Or, le changement intervenu le 19 mars 2000 avait suscité au niveau de tous les secteurs de la culture un énorme espoir. Malheureusement, depuis lors, nous sommes au regret de dire aux autorités gouvernementales que nous cinéastes sénégalais, n’avons constaté que des effets d’annonce sans suites heureuses.
Depuis l’avènement de l’Alternance, la kyrielle de remaniements ministériels n’a point épargné le département de la Culture. Depuis 2000, le ministère de la Culture a connu une instabilité notoire.
L’arrivée d’une dizaine de ministres de la Culture , en l’espace de 10 ans, y a beaucoup contribué, quand on sait qu’il faut à chaque nouvel arrivant une durée de six mois minimum pour s’imprégner des dossiers laissés par son prédécesseur.
Comment notre secteur peut-il avancer, vu cette léthargie et ce retard accusé par les uns et les autres et où il n’y a plus de continuité ni de suivi conséquent des dossiers laissés par les prédécesseurs ?
Par ce manque de stabilité dans ce secteur culturel, les accords avec les bailleurs de fonds sont perpétuellement remis en cause par absence de visibilité. Cela remet en cause la continuité et la concrétisation des multiples projets culturels qui font que ces bailleurs ne nous prennent pas au sérieux.
La situation actuelle pose crûment la prise en compte de l’émergence de l’initiative privée dans le secteur culturel et la nécessité d’une évolution majeure dans son administration et son accompagnement stratégique au Sénégal. L’ensemble des professionnels de la culture veut avoir la capacité de créer des œuvres et de les mettre à la disposition de la population.
Mais la capacité d’aller dans ce sens est remise en cause, par suite de l’inexistence d’une volonté politique forte et déterminée à accompagner les nombreuses initiatives. En aidant à construire une infrastructure de production et de distribution et à définir les politiques allant dans ce sens, les gouvernants joueraient pleinement leur partition. Les nombreux changements opérés ont masqué l’incapacité des politiques à définir et engager une telle démarche.
Au sud du Sahara, le cinéma sénégalais occupait la première place tant sur le plan de la quantité que de la qualité. Malheureusement tel n’est plus le cas depuis une bonne décennie déjà …
A notre sens, si le cinéma de notre pays a perdu son lustre d’antan, c’est parce que notre association ne fonctionne pas comme elle devrait. C’est pourquoi, pour retrouver notre crédibilité, des cinéastes se sont engagés dans la reconstruction des structures de l’association et de ses activités en barrant la route aux prédateurs, aux cinéastes «finis professionnellement».
La léthargie du cinéma sénégalais est due principalement à l’incompétence de ses dirigeants qui ont montré leur limite, préférant voyager tout le temps, sacrifiant sur l’autel de leurs ambitions le bon devenir de ce secteur cher aux cinéastes.
La direction de la cinématographie, malheureusement, sommeille dans une profonde léthargie. Nous méritons une direction plus dynamique qui devrait consentir ses efforts à l’émergence d’un cinéma nouveau dont l’objectif essentiel sera de placer les activités cinématographiques et audiovisuelles dans une dynamique de développement de par sa pratique et son marché en vue de bâtir un secteur équilibré par rapport aux segments de la chaîne de l’industrie cinématographique et de l’audiovisuelle, créateur de richesses, et finalement avec le mouvement global d’intégration économique et d’échanges culturels au plan régional et mondial.
Ceux qui prétendent insuffler une nouvelle dynamique pour le rayonnement du 7e Art ne brillent que pour leurs intérêts égoïstes et malsains et il nous faut des hommes capables, compétents et moralement irréprochables susceptibles de porter les ambitions du secteur auprès de l’Etat afin de l’amener à respecter ses engagements et promesses, pour que notre pays le Sénégal retrouve enfin sa place dans l’échiquier cinématographique africain.
Nous avons comme l’impression que dans ce pays, notre cher Sénégal, il faut être magouilleur, corrompu, malhonnête, grande gueule pour être mieux vu sur l’autel du nationalisme et de la compétence. Ce que nous demandons, c’est simplement une volonté politique. On ne peut pas parler de développement sans la culture.
Lors de l’hommage rendu à feu Sembene Ousmane, en juin 2008 à la Place du souvenir par l’Etat sénégalais, le Président Abdoulaye Wade avait annoncé avoir mis, pour le développement de l’industrie cinématographique, la somme d’un milliard de francs Cfa à la disposition du ministère de la Culture.
Nou s, professionnels du secteur, n’avons jamais vu la couleur de cet argent qui n’a nullement servi au développement de notre cinéma qui sommeille toujours, à ce qu’on sache. Nous sommes aussi capables, nous artistes cinéastes, de manifester comme le font les autres corps de métier pour crier notre ras-le-bol et notre mécontentement vis-à-vis du pouvoir dit de l’Alternance, mais c’est la noblesse de notre art qui ne nous le permet pas. Nous croyons avoir affaire à des gens civilisés qui respectent leur parole.
Mais, dorénavant, nous utiliserons les médias pour dénoncer les travers du système pour nous faire entendre.
Pourquoi la mise en place du fonds de l’industrie cinématographique tarde à voir le jour depuis son annonce ? Parce qu’il n’y a pas de volonté politique tout court. Pour y arriver, devons-nous souhaiter la réalisation «de l’alternance de l’Alternance» ?
Le Comité pour la redynamisation de l’Association des cinéastes et des activités cinématographiques