de l’échiquier
Le véritable pion de l’échiquier
Près de quatre mois après le vote de la loi instituant le poste de Vice-président, aucun visage n’est encore collé à la fonction. Au début, les libéraux présentaient ce poste comme une urgence pour assister un Président débordé qui en avait besoin malgré le premier ministre et en dépit de la pléthore de ministres. Aujourd’hui, après l’avoir fait passé dans la constitution, les promoteurs du poste de vice président en parlent de moins en moins en attendant, sans doute, que le chef décide d’en reparler à nouveau en fonction de la conjoncture politique.
Dans deux contributions parues dans le courant du mois de mai 2009, nous avions donné notre avis sur cette vice-présidence qui participerait plus de calculs politiques que de recherche quelconque d’une efficience au sommet de l’Etat.
La modification constitutionnelle ayant conduit au poste de vice-président a finalement porté sur l’article 26 de la constitution qui dit entre autre que le Président «peut être assisté d’un Vice-président qu’il nomme après consultation du Président du Sénat et du Président de l’Assemblée nationale, pour une durée ne pouvant excéder celle de son mandat. Il met fin à ses fonctions dans les mêmes formes. Le Vice-président remplit à la date de sa nomination, toutes les conditions posées à l’article 28. Il occupe, dans l’ordre de préséance, le deuxième rang. Il satisfait aux conditions posées par l’article 38 ».
Le terme « peut-être assisté » signifie aussi en bon français « peut ne pas être assisté ». C’est un choix laissé à la convenance du chef.
Si depuis le vote de cette loi, le Président semble moins pressé pour sa mise en œuvre, c’est sans doute parce qu’il est entrain de revoir ses pions sur l’échiquier du moment.
Justement un pion a été lancé récemment avec l’annonce d’une candidature pour 2012. L’effet de foule recherché n’a pas eu lieu et, les populations ont répondu à cette annonce par une indifférence lourde de sens. Annoncer une candidature à 83 ans et à plus de deux ans de la présidentielle de 2012 a paru bizarre dans un pays en crise. Certains y ont vu un bluff parce que sans doute pensent-ils que 83 ans n’est pas un âge de travail actif et d’ambition. C’est plus un âge de bilan que de continuation d’une œuvre. La raison n’aurait sans doute pas recommandé cette annonce de candidature mais, il est certainement des raisons que la Raison ignore. L’annonciateur avait dit qu’il ne voyait pas un sénégalais capable de lui succéder. Sans doute est-il dans ces mêmes certitudes.
Une chose est sure : l’annonce prématurée cache une intention. Est-ce une annonce pour neutraliser les prétendants internes au PDS, le temps de mettre sur orbite le candidat caché connu ? Est-ce un ballon lancé pour perturber la démarche consensuelle de l’opposition Bennoo Siggil Senegaal ? Est-ce une réelle volonté d’aller coûte que coûte à la candidature de trop ?
Au-delà des calculs et des annonces, les observateurs qui prennent le pouls du pays profond savent que le régime actuel est impopulaire dans les cœurs des sénégalais et que l’alternance à l’alternance est quasi inéluctable en 2012. Les libéraux aussi savent que dans une élection en règle, ils risquent de connaître une désillusion historique. Les sénégalais, au-delà de la crise et du rejet des attitudes de certains leaders libéraux, n’acceptent pas la trop forte implication de la famille présidentielle aux affaires publiques. Le principal enjeu de la présidentiel de 2012 semble être celui-là de l’encrage d’une république.
Autre annonce-ballon-sonde : la suppression du deuxième tour. Le Sénégal qui vote depuis 1848, ne mérite pas et n’acceptera pas en 2012 un mode tronqué au premier tour de transmission du pouvoir.
En 2012, le devoir moral recommande de laisser une nation libre de faire son choix démocratique à deux tours. Les calculs politiques (aux antipodes de l’élégance démocratique) de ceux là qui doivent tout avec un grand T au chef (et même souvent leur premier emploi salarié !) seront inacceptables et ne feront qu’installer le pays dans une logique d’exacerbation des conflits politiques avec une issue incertaine pour tous. Nous devons garder intact le plus petit dénominateur qui nous est commun et qui s’appelle Sénégal.
En déplaçant les pions de l’échiquier entre vice présidence votée-gardée, annonce de candidature et, demain peut-être suppression du deuxième tour, les « mouvants de la présidence » doivent méditer ces deux exemples venus du Sud de l’Afrique.
En 1999, Rolihlahla Mandela dit Nelson, sans attendre l’avis de l’ANC, avait refusé à 81 ans le mandat de trop.
En 2004, la Swapo en Namibie avait dit non et obtenu gain de cause face à la volonté de Sam Nujoma père de l’indépendance de faire le mandat de trop à 75 ans.
D’ici 2012, les libéraux ont largement le temps d’épargner au peuple une autre gifle qui ne fera que ternir d’avantage l’image d’un Sénégal qui a perdu du galon démocratique depuis 2000.
Question : y a-t-il dans la mouvance présidentielle un esprit libre qui saura dire un non audible ?
Car en vérité, le peuple seul véritable pion de l’échiquier a déjà bien dit un non audible et, il n’attend que le rendez-vous de 2012 pour passer de l’audible à l’urne.
Mamadou NDIONE
Mandione15@gmail.com