S’interdire le monopole total du sens par une
S’interdire le monopole total du sens par une quelconque religion Par le Professeur Khadiyatoulah FALL
M. Khadiyatoulah Fall est professeur titulaire à l’Université du Québec à Chicoutimi où il dirige la Chaire de recherches interculturelles et chercheur sénior au Centre interuniversitaire et interdisciplinaire Celat (Université Laval, Université du Québec à Montréal, Université du Québec à Chicoutimi). Dans ce texte qui suit, M. Fall analyse les principaux faits qui ont retenu son attention durant l’année 2009.
Tout d’abord une décennie décevante
J’aurais préféré répondre à une question qui situe ma lecture dans une séquence de presque 10 ans. C’est-à-dire entre 2000 et 2010. Quelle lecture faire de nos dix dernières années ? Nous sommes rentrés en 2000 dans le XXIème siècle avec optimisme, ce que montre d’ailleurs la relecture de plusieurs quotidiens internationaux de janvier 2000. Avons-nous gardé ce sentiment d’optimisme ? Mon impression est que nous avons un souvenir amer de la décennie qui a été marquée par l’ère Bush, l’autoritarisme de Poutine, l’Irak, l’Afghanistan, la souffrance du peuple palestinien, la tragédie du World Trade Center, une crise économique mondiale qui devenait la bonne conscience de l’inaction de beaucoup de gouvernements, les entorses aux conventions internationales au nom de la lutte contre le terrorisme, la montée de l’islamophobie et des défaillances éthiques remarquées un peu partout dans la gestion des Finances publiques.
Que retenir de 2009 ?
Que penser de 2009 ? Ce n’est pas une année qui m’impressionne. Mais pour reprendre l’expression heureuse d’un journaliste, 2009 est quand même une année à ne pas oublier. Je retiens quelques événements.
L’année de la micro-messagerie électronique Twitter.
Une révolution importante dans la micro-messagerie électronique avec l’envahissement de Twitter dans la communication Web. Même si c’est en 2006 que Twitter fait son apparition, c’est 2009 qui voit sa consécration et qui l’installe comme un réseau puissant de circulation rapide de l’information et surtout de réseautage. Déjà en 2008, Obama avait éprouvé la force communicationnelle de Twitter mais son exploitation contestataire lors des élections iraniennes de cette année en a montré le potentiel démocratique mais également l’a dévoilé comme un outil de contournement de la censure et de la mainmise de la presse traditionnelle sur la diffusion et l’orientation de l’information.
Obama : une voie et des valeurs pour l’avenir.
Un événement qui annonce, qui prépare, qui préfigure un futur d’espoir avec l’arrivée au pouvoir de l’Afro-américain Barack Obama. 2009 est à retenir parce que c’est une année qui se ferme avec un message d’espoir. Je retiens 2009 par ce qu’il annonce avec le nouveau leadership mondial du président des Etats-Unis, Barack Obama.
Déjà, en quelques mois de gestion de son pays et d’implication dans l’espace international, il lui est décerné le prix prestigieux du Nobel pour la paix. On a dit, à juste titre, que ce prix est celui d’un encouragement pour motiver davantage Obama à réaliser ce qu’il annonce plutôt qu’un prix qui récompense ce qui a été fait. Ce qui est demandé à Obama, c’est d’être alors autant message que messager. C’est-à-dire que l’histoire le révèle crédible et qu’il soit une véritable incarnation des idées et des valeurs qu’il défend pour aider à reconstruire un espace mondial qui a été déstabilisé sous Bush et qui demande une diplomatie de dialogue, une diplomatie d’écoute respectueuse des autres États, de respect des différentes croyances religieuses, particulièrement de l’Islam et également d’une diplomatie de vigilance dans la protection internationale de la démocratie.
Un quotidien étranger a illustré le parcours de cette décennie 2000/2010 par une illustration fort éloquente : un être humain qui tombe du haut du World Trade Center en flammes le 11 septembre 2001 et l’assermentation en 2009 de Obama. Une image d’horreur qui suscite l’indignation et un flash sur l’entrée en politique de Obama, un homme de convictions et de valeurs, un homme qui porte l’espoir. Une action qui l’inscrira dans l’histoire : l’audace d’une réforme de la Santé qui accorde une assurance médicale à plus de 30 millions d’Américains, la plupart issus de la communauté noire.
Chronique d’une mort annoncée : l’appel au dialogue/concertation.
2009 ouvre la voie, si les leaders internationaux répondent à l’appel de Obama, à la restauration d’une culture de la confiance et du dialogue, valeur déterminante dans la gestion équilibrée des sociétés humaines. C’est la nécessité d’instaurer ce climat de confiance et d’écoute qui avait amené Obama à dire lors de son assermentation : « Il will listen specially when I disagree ». C’est là la promesse d’être dans une disponibilité d’écoute, dans une disponibilité à rehausser la capacité d’écoute lorsqu’il n’est pas d’accord. Dans son discours d’Oslo, il confirmait cette posture : « c’est dans les temps difficiles qu’il faut honorer nos idéaux... pas seulement quand c’est facile ». Je renvoie à l‘affirmation de Obama à s’inscrire continuellement dans une modalité de concertation pour exprimer mon regret que 2009 n’ait pas vu la tenue du dialogue/concertation tantôt lancé par l’opposition, tantôt lancé par le pouvoir. 2010 porte le défi d’un investissement réciproque et responsable de tous les acteurs politiques et sociaux afin que les dossiers chauds qui vont interpeller notre avenir démocratique puissent se débattre dans la sérénité et la transparence. Car des dossiers difficiles seront des enjeux importants de la vie politique sénégalaise.
Le défi de la compréhension et du respect du sacré des uns et des autres
Un autre défi qui attend le monde et le Sénégal est celui de l’éducation pour le développement de sociétés de plus en plus aptes à la discussion et au dialogue rationnel et respectueux dans un contexte de pluralisme, de diversité des croyances, des cultures, des identités et des conceptions de la bonne vie. 2009 s’achève dans notre pays avec ce qui peut paraître pour l’analyste comme l’expression d’une difficulté à garantir des espaces de dialogue entre l’État et les différentes religions.
2009 se termine avec l’impression que nous avons de la difficulté à nous comprendre dans nos différences religieuses et confrériques. L’avenir nous demande d’aller au-delà du « prêt à penser » qu’est l’expression galvaudée de tolérance qui amène à croire que dire le mot est l’actualisation de la chose. La tolérance n’est pas synonyme de l’indifférence. La vraie tolérance demande de se respecter dans la compréhension et dans le frottement mais également dans l’engagement à ériger un espace public commun dans lequel chacun puisse s’inscrire. Nous avons un défi dans l’avenir, défi que doit assumer l’éducation : le défi de la compréhension et du respect du sacré des uns et des autres dans un espace ouvert à différences conceptions du monde malgré la prégnance historique de quelques religions.
Pour une laïcité ouverte
Même si on dit que le Sénégal est un État laïc, j’éprouve un malaise à promouvoir pour l’avenir un régime de laïcité intégrale. La laïcité intégrale ne débouche-t-elle pas sur l’imposition d’une vision du monde définie principalement par les conceptions des athées et des agnostiques ?
Les religions sont des institutions de transmissions de valeurs fortes qui peuvent s’asseoir à la table de la démocratie et contribuer positivement et durablement au vivre ensemble harmonieux.
Nous avons le défi de l’éducation à une laïcité ouverte, c’est-à-dire une laïcité qui n’occulte pas les religions mais qui s’interdit de reconnaître le monopole total du sens par une quelconque religion et qui soutient qu’une société s’ancre dans une pluralité de sens qui puisent aussi dans les traditions, dans la littérature, dans l’esthétique, dans la philosophie, dans les sciences...
Il faut se méfier d’une société qui tente d’imposer un seul rapport au sens, un seul rapport au religieux. Nous risquons alors de tomber dans l’endoctrinement.
Le Monument de la renaissance
Il a été, en cette fin de 2009 et en ce début de 2010, un référent social, c’est-à-dire un objet de discours de grande circulation qui a suscité maintes polémiques.
Nous sommes en plein dans le débat sur le statut des œuvres d’art dans une société et sur celui des usages politiques du passé. La question posée me semble être : les systèmes de valeurs promus par une œuvre d’art et ceux d’une société sont-ils indépendants ou non ? Peut-on évaluer une « esthétique monumentale » sans considérer sa valeur politique (symbole national, symbole panafricaniste, symbole universaliste, symbole d’autoglorification), sa valeur morale (femme plus ou moins dénudée), sa valeur théologique (prise en compte des sensibilités religieuses) et sa valeur financière (coût, légitimité des dépenses par rapport à d’autres usages) ?
Le débat actuel me semble légitime dans une démocratie. Une démocratie a besoin de la reconnaissance, de l’acceptation mais aussi du dépassement des conflits symboliques.
Le vrai débat n’est pas autour de la qualité esthétique du monument. Le monument est-il esthétiquement anachronique dans un contexte contemporain lorsque l’on connaît le travail esthétique de Jochen Gert qui fait des monuments de commémoration qui disparaissent dans la terre ou l’esthétique d’un Hans Haacke qui produit des installations anti-mégacorporations, anti-étatiques comme Germania (1993) à Venise ? Je ne saurai répondre. En effet, la Statue de la liberté à New York est très néo-classique, avec un poids allégorique. Le Christ de Rio ne casse pas esthétiquement et pourtant 100 millions d’internautes l’ont retenu parmi les 7 merveilles du monde.
Le Monument de la renaissance est là. Nous n’allons pas le détruire. Il continuera de susciter des conflits symboliques. Le monde noir cherche à asseoir des repères identitaires, à construire, à protéger des lieux de mémoires. S’il est un souhait à faire devant le fait accompli, c’est que le monument puisse susciter une grande émotion nationale et internationale d’identification, une valeur de rassemblement et qu’il sache transcender, comme le Christ de Rio, les polémiques de départ et s’imposer comme une icône dans l’affirmation et dans la montée en puissance du monde noir. C’est bien l’histoire qui validera la pertinence ou non du monument. S’il doit s’effondre, ce ne sera pas par son gigantisme mais par son échec à capturer les imaginaires, à entretenir le souvenir et à mobiliser pour un futur de dépassement. S’il doit s’effondre, c’est parce qu’il n’aura pas été contemporain d’un Sénégal économiquement aussi musclé et sain que les personnages du monument. C’est bien l’histoire qui dira si le président Abdoulaye Wade a eu raison ou non. Rendez-vous dans quelques années.