mutinerie électorale
CHRONIQUE DE BABACAR JUSTIN NDIAYE
Le virtuose n'est pas l'orfèvre
La décision du Conseil des ministres du 24 mai dernier, conférant le statut régional aux anciens départements de Kafffrine, Kédougou et Sédhiou, a provoqué un haut-le-corps chez les spécialistes de l'aménagement du territoire. Et laissé pantois bien des experts de la décentralisation.
L'étonnement des observateurs avertis ne préface nullement l'apologie du jacobinisme d'Etat dont le chant du cygne a été entonné au Sénégal depuis 1972, par une politique de décentralisation méthodiquement et constamment approfondie. Du reste, Napoléon, lui-même, père du Code civil et de la Préfectorale, formula l'avis que voici : « On peut gouverner de loin, mais on ne peut administrer que de très près ».
Donc vivement que la Décentralisation, avec son lot de découpages et de redécoupages, prévale et prospère. A condition que les restructurations constituent une valeur ajoutée pour les pouvoirs déconcentrés et leurs animateurs. Mais chose fâcheuse : le Président Wade balkanise plus qu'il ne décentralise l'espace national. A la manière de la cigogne qui, en voulant embrasser son petit, l'éborgna.
L'érection en cascade de nouvelles entités territoriales, toutes dotées de statuts nouveaux – après la provincialisation avortée des premières heures de l'alternance en 2000 – démontre que Wade évolue avec plus de bonheur dans les marais des partis ou coalitions de partis que dans les méandres du domaine de l'Etat. En un mot, le Président est un virtuose de la politique et non un orfèvre de l'Etat dont il est le chef.
Le découpage – dépeçage fraîchement opéré (après les changements de statut de Matam, Ranérou et Koungheul) morcelle à l'excès les superficies et éparpille à outrance les potentiels régionaux. Plus sévère encore, il altère les atouts. Ainsi, le Conseil régional de Tambacounda sombrera vite dans un coma budgétaire c'est-à-dire une existence végétative grâce au biberon de l'Etat central ; tandis que des élus inflexibles du futur Conseil régional de Kédougou auront une marge de négociations et normalement une arme fiscale fort opportune, pour trouver auprès des sociétés minières implantées dans l'extrême sud est du Sénégal, les royalties nécessaires à l'essor de la nouvelle région.
Cependant, une analyse brutale mais non moins pertinente de la soudaine promotion administrative de Kédougou, suggère que le vide démographique (111.000 habitants, soit 1/ 7ème du Sénégal Oriental) et le déficit de cadres locaux pour bien assumer les compétences dévolues ou partagées, favoriseront une régionalisation au rabais et son corollaire : la main basse de l'Etat central sur le fabuleux pactole minier.
A l'échelle de Kaffrine, les inconvénients seront légion. En dehors du précédent et dangereux péché originel qui a consisté, pour un gouvernement, à satisfaire une doléance présentée sous une forme quasi-insurrectionnelle (marche populaire et grève de la faim) – telle a été l'attitude des habitants de Koungheul pour décrocher la départementalisation – la nouvelle entité aura pour unique vocation, de régionaliser le dénuement, comme les régimes socialistes socialisaient, hier, la misère dans certains pays africains.
Quant à Sédhiou, elle sera logée un peu moins à la même enseigne, grâce aux terres fertiles du Pakao, à l'instar des hectares qui s'étalent à perte de vue dans la zone de Séfa que convoitent des investisseurs italiens démarchés par un responsable du Mfdc désireux de mener de front, et la négociation et le développement. L'épopée du Primoca, encore fraîche dans les mémoires, autorise bien des espoirs. Même si le sous-équipement patent appelle un concours prolongé de l'Etat. Bref, allonger la liste de nouvelles régions fatalement sous perfusion budgétaire de l'Etat, ce n'est point un acte probant de décentralisation. C'est plutôt, la pérennisation de la tutelle la plus asservissante : celle des finances publiques.
C'est clair que Wade n'a pas l'exclusivité des créations de régions supplémentaires. Le fait pouvant être dicté par le gonflement démographique, l'apparition de nouvelles richesses, les impératifs de planifications économiques et /ou militaires etc. En 1984, le duo Diouf – Collin avait, dans un contexte de séparatisme armé et galopant, cassé la Casamance en deux. Et dans une double optique de rééquilibrage spatial et psychologique, on avait fendu en deux parts (Fatick et Kaolack), l'ancienne région du Sine Saloum. Le dessein sous-jacent était de sécher la sédimentation du séparatisme dans la tête des Casamançais, y compris, par le bannissement de la terminologie « Casamance » dans les correspondances administratives et les discours officiels. Une mesure d'exorcisation qui est aujourd'hui tombée en désuétude, sans au préalable, atteindre son objectif d'éradication du virus indépendantiste.
La réorganisation administrative d'envergure du territoire doit obéir à un Plan directeur assez durable ; et non à un schéma en caoutchouc dont l'élasticité permet d'envelopper et d'épouser tous les contours des calculs politiquement féconds. En d'autres termes, on ne restructure pas un territoire, par définition, réceptacle du développement, à la petite semaine ...électorale. Des décisions si lourdes de bouleversements, baignent mal dans une conjoncture électorale qui leur donne plus un parfum de séduction qu'un air de sérieux.
Mais les habitudes ont la peau dure. Wade a initié le vote militaire qui – contrairement au sénat – n'a jamais figuré dans le programme du Pds, de 1974 à 2000. Et comme toujours, les improvisations – même calculées – restent improductives en matière de gouvernance : la mutinerie...électorale a été observée dans les garnisons le week-end dernier.
L'Etat si vital et si étouffant est, en vérité, notre talon d'Achille. Son culte comme son mépris, retentit sur la gouvernance. Pour le décideur, il s'agit donc de bien positionner le curseur entre la nécessité des changements et la vitalité des équilibres.
Babacar Justin Ndiaye