A PAPATE
Le fils à patate
Souleymane Jules Diop Jeudi 26 Nov 2009
« A la liberté de provocation,
répond la liberté d’objection »
Bernard PIVOT
Les bien-pensants nous accuseront de parti-pris. Mais comment ne passer sous un silence convenu, ce qu’il est advenu d’appeler « le cas Karim Wade » ? L’homme le plus puissant du Sénégal après son père est passé à l’Assemblée nationale le corps haletant, calé sur son discours, servant à ceux qui l’écoutaient, catastrophés, du « messieurs les mémorables députés ». On lui posait une question, il commençait par son discours. Une remarque gentille, il finissait par son discours, butant sur chaque mot qui lui paraissait sophistiqué. Une demande qui n’était pas prévue, son cousin député arrivait avec « le ministre d’Etat vous répondra par écrit ».
Le budget de son ministère à peine ficelé, le fils à patate venait d’engager l’Etat du Sénégal dans une option d’achat de six Airbus, pour un montant de plus de 300 milliards de francs Cfa. Jamais déclarés dans aucun budget, jamais annoncés devant la représentation nationale. Au milieu de son parler frénétique où Oussouye se retrouve dans le département de Bignona, il a quand même trouvé de la place pour Bara Tall et son mauvais tronçon. Pour descendre l’entrepreneur, tout avait été minutieusement préparé : des diapositives qui devaient accabler l’entrepreneur et prendre l’audacieux. Il s’en est quand même trouvé téméraire parmi les députés, pour lui rappeler que si Bara Tall nous a fait une mauvaise route avec 7 milliards, son Anoci nous a fait un tunnel suintant de partout, pour 8 milliards. A court d’argument, le fils impétueux du président de la République s’en est remis à l’entrepreneur Aliou Sow, pour dire que l’ouvrage n’avait pas encore été réceptionné. Du jamais vu ! Mais le « ministre d’Etat » avait déjà dit de ce tunnel qu’il était « en-deçà des normes ». Ce que je trouve tout de même désopilant, c’est qu’il n’ait rien dit sur les 26 milliards de la route de Matam, détournés au profit de l’Anoci pour des villas présidentielles qui n’ont jamais vu le jour. Bara Tall nous a fait une mauvaise route avec 7 milliards, il est traduit devant la Justice. Karim Wade fait disparaître 26 milliards avec ses sombres affairistes, rien ne lui arrive. Tous ceux qui évoquent ces manquements sont vilipendés et jetés en pâture à l’opinion. Si ce n’est pas là un privilège de naissance, dites-nous ce que cela rassemble. Alors que la lumière n’est pas encore faite sur ces 26 milliards, il s’en est allé discrètement négocier un prêt pour cette même route au Koweit. Souleymane Ndéné Ndiaye a déjà indiqué à l’opinion nationale ce qu’il était dans cette délégation : un accompagnant. « Il faut demander au ministre d’Etat Karim Wade, c’est lui qui maîtrise cette affaire », a prudemment répondu le Premier ministre. On fait disparaître de l’argent d’une main et on va emprunter en notre nom de l’autre pour le remplacer. L’on peut comprendre qu’il se soit trompé sur son fils, comme sa bonne foi l’a souvent induit en erreur. Mais à ce point, Abdoulaye Wade ne peut plus ignorer ce que son fils est, un médiocre.
Ce qui pose un problème chez Karim Wade, ce n’est pas sa totale ignorance. C’est la toute puissance qui l’accompagne. Il n’avait jamais gagné dans un seul bureau de vote, on le prédestinait patron du Pds. Il n’avait jamais géré une municipalité, on le préparait à la présidence du Sénégal. Or, si sa méconnaissance du pays ne lui en coûte qu’à lui, sans méconnaissance de l’Etat, elle, nous en coûte, et comment ! Quand je l’ai entendu déclarer le 23 octobre dernier, que les pèlerins seraient traités cette année comme des VIP, je me suis dit « quelle occasion de faire taire les critiques ! Il va nous faire oublier que l’année dernière, l’Etat s’était engagé à traduire la nébuleuse Zam-Zam devant les tribunaux, sans suite ». Mais il n’y a aucun domaine qui échappe à l’incompétence de Karim Wade. On se rappelle les déclarations pompeuses qu’il nous avait faites sur ses infrastructures hôtelières « cinquième génération » ! Trois de ces promoteurs, qui ont acquis des terres valant plusieurs milliards de francs dans des conditions douteuses ont pris la fuite. Il déclarait au mois d’octobre que cette année, ceux qu’il appelle « les hôtes de Dieu » seraient traités comme des VIP. On connait la suite réservée à nos pèlerins. Il en est ainsi de ses engagements concernant les salariés de la défunte Air Sénégal. Au point que je trouve légitime la préoccupation des nombreux responsables de son parti qui l’ont vu à l’œuvre : mais est-il donc capable de quelque chose ? Rien mes chers, rien. C’est un ignare encostumé. Il avait l’air si fier dans son « deux boutons » anglais, qu’on était tenté de lui poser la pérruque. Après le Gorgui show, nous voilà engagés sans aucun répit dans le gosse-bi show.
Nous en rions, mais c’est une mince consolation, à côté de l’énorme désastre qu’il cause à ce pays. Des générations entières devront payer la facture de ses errements. En quelques années, des centaines de milliards ont été engloutis dans des projets bidon qui visaient à le présenter comme le sauveur du pays. L’avenir du Pds est lui-même hypothéqué par l’entêtement de cet homme à vouloir se faire un jour monarque du Sénégal. Tous ceux qui y valaient quelque chose ont été humiliés, piétinés, écartés pour lui faire la place, alors qu’il n’a jamais pris la carte de ce parti. L’acte le plus dégoûtant restera sans doute la modification de la Constitution, l’instrumentalisation de l’Institution parlementaire pour écarter et humilier Macky Sall. Ils ont donné un destin national, Dieu soit loué, à un homme qui n’en rêvait pas. C’est ce qui me fait penser que ce pays, derrière sa molle couche de corrompus, a des ressorts moraux cachés. Il n’aime pas l’injustice. De Mamadou Dia à Macky Sall, en passant par Djibo Kâ, tous ceux qui ont souffert de la loi du plus fort ont été portés par les Sénégalais au rang de héros. Ils les abandonnent quand ils retrouvent leurs pantoufles. Cette règle, malgré les vicissitudes de l’histoire, n’a jamais été démentie. Par ces temps d’angoisse existentielle et de souffrance morale, c’est une bonne raison d’espérer.
Karim Wade avait l’avenir devant lui, et son père derrière. Il a maintenant l’avenir derrière lui, et son père devant. Celui qui est là n’a été qu’une marionnette qui aura tenté sans succès de dominer toute la scène. Par la menace ou par l’argent comme il sait le faire, en achetant tout sur son passage. Il a fait Sopi TV, figurez-vous, et cela ne lui a pas suffi. Il a voulu acheter la 2Stv pour 20 milliards, après avoir marchandé Wallf-TV, sans gêne. Tous ceux qui disent non à cette tentation totalitaire sont mis au pain sec. Pour transmettre le pouvoir à son fils, Abdoulaye Wade n’a pas tout essayé. Il s’est tout permis.
SJD
Auteur: Souleymane Jules DIOP