ATTENTION !!!
Permettez-moi de commencer par vous relater l’histoire de La Grenouille et la Marmite telle qu’elle m’a été racontée.
«Imaginez une marmite remplie d’eau froide dans laquelle nage tranquillement une grenouille. Le feu est allumé sous la marmite, l’eau chauffe doucement. Elle est bientôt tiède. La grenouille trouve cela plutôt agréable et continue à nager. La température grimpe. L’eau est maintenant chaude. C’est un peu plus que n’apprécie la grenouille, ça la fatigue un peu, mais elle ne s’affole pas pour autant.
L’eau est cette fois vraiment chaude. La grenouille commence à trouver cela désagréable, mais elle s’est affaiblie, alors elle supporte et ne fait rien. La température continue à monter jusqu’au moment où la grenouille finit tout simplement par cuire et mourir, sans jamais avoir fait quelque chose pour s’extraire de la marmite.
Pourtant, si la même grenouille avait été plongée directement dans l’eau à 50 degrés Celsius, elle aurait immédiatement donné le coup de patte adéquat qui l’aurait éjectée aussitôt de la marmite…»
Moralité : Lorsqu’un changement s’effectue d’une manière suffisamment lente, il échappe à la conscience et ne suscite la plupart du temps aucune réaction, aucune opposition, aucune révolte, rien… jusqu’à ce qu’il soit trop tard.
Et maintenant regardons-nous dans la glace et avouons-le, nous sommes comme cette grenouille qui est morte, victime de son adaptation au danger. Par peur de la douleur et des ennuis, nous avons plus tendance à s’habituer à l’injustice qu’à réagir. Pourtant, notre Etat de droit n’a jamais été autant éprouvé et nos vies n’ont jamais été aussi menacées.
Un groupe vient de se constituer pour préparer un nouveau viol constitutionnel : la suppression honteuse du second tour de l’élection présidentielle, un acquis démocratique pour lequel Me Wade, opposant, s’est beaucoup battu et sans lequel il n’aurait jamais accédé au pouvoir suprême car ayant été devancé en 2000 par le candidat Abdou Diouf au premier tour des élections. L’idée est insultante et choquante, l’acte est lâche et perfide ! Enième complot dans le machiavélique dessein de rester au pouvoir avec ou sans la volonté du peuple délégant et qui va être saupoudré d’arguments triviaux et fallacieux qui cachent mal le manque de fair-play et d’esprit chevaleresque de leurs défenseurs. Cette forfaiture n’est plus du domaine de la politique, même dans sa forme la plus hideuse mais relève simplement du banditisme. Et même pire, car les brigands ont des pratiques que la morale réprouve mais nouent entre eux des pactes de fidélité à leur parole, accomplissent leurs promesses et leurs engagements, acceptent de perdre des combats et de mourir dans l’honneur et la dignité ; ils peuvent être imbus de foi et respectueux de principes.
La loi fondamentale dont le respect par l’Etat est nécessaire pour la reconnaissance légitime de son autorité, est victime de plus d’une quinzaine d’assauts répétés, en moins de dix ans, sans grands frais pour leurs auteurs. Imaginons seulement que six de ces nombreux tripatouillages se soient effectués au même moment : l’augmentation du nombre de députés, la suppression du quart bloquant, le quintuplement de la caution des candidats à la Présidentielle, le retour du Sénat puis celui du Conseil économique et social et enfin l’augmentation de la durée du mandat présidentiel. On se serait inquiété de notre forte propension à rester dans l’expectative, l’indolence, l’apathie et la passivité, si un soulèvement populaire ne venait pas sanctionner la trahison de la volonté des citoyens exprimée librement en janvier 2001 à travers le vote par voie référendaire de la Constitution. C’est parce que ce changement constitutionnel en profondeur s’est fait de façon progressive, qu’on ne mesure pas toujours son ampleur et s’en accommode.
Parallèlement, nous mangeons et étudions de moins en moins bien, dormons de plus en plus mal, manquons davantage de confort et souffrons plus de maladies ; notre niveau de vie s’est fortement détérioré. Le Sénégal est devenu un haut lieu d’inspiration pour les auteurs de polars et de films d’horreur : le vol, les crimes odieux, la drogue, les enlèvements, l’infanticide, les viols collectifs, l’inceste, les grèves de la faim et les immolations par le feu peuplent la vie quotidienne. Nous basculons dans un processus d’insécurité, de dégénérescence, d’aliénation et de déshumanisation. Il se signale également comme carrefour de la prostitution, de l’immigration clandestine, de la délinquance et de la mendicité juvéniles, comme une terre de misère qui condamne ses fils au suicide et à la clochardisation. La majorité d’entre-nous est dépourvue du minimum nécessaire pour vivre décemment.
Au même moment les populations doutent de plus en plus de la probité morale et de la sincérité de leurs dirigeants et perdent confiance aux institutions avec l’arrogant train de vie de certains hauts responsables, l’injustice sociale, la corruption, la malversation, le clientélisme, le népotisme, le favoritisme, le bâillonnement de la Justice et la soumission du Parlement, la restriction des droits d’expression et de manifestation ; elles sont de plus en plus nombreuses à être déçues, frustrées et écœurées par ces pratiques répugnantes et immondes. Elles sont aussi gagnées par la colère parce qu’elles ont l’impression que leurs problèmes ne sont jamais résolus mais différés juste pour avoir un peu de répit. Octobre 2008-Septembre 2009 : le même spectacle dans les rues et quartiers de Dakar de pneus brulés, de policiers armés de grenades lacrymogènes et pour les mêmes motifs, des manifestations de rue contre les délestages et coupures d’électricité. Chaque période d’hivernage, les mêmes images poignantes «d’hommes-grenouilles» pris en otage dans des eaux pluviales nauséabondes qui pataugent, sautillent dans des sacs de sable et se débattent désespérément avec leurs pelles et leurs seaux pour ne pas être engloutis par le déluge ; ils ont de plus en plus le sentiment d’être laissés pour compte.
Ce feu allumé sous nos pieds et qui couve, porteur de tous les dangers d’instabilité et de chaos, pose deux termes d’une alternative : s’engourdir, supporter les brûlures et se laisser consumer par les flammes ou réagir en s’opposant à l’arbitraire et en défendant nos droits à des conditions d’existence humaines. Les pyromanes mettent le feu mais meurent souvent calcinés parce qu’ils ne contrôlent ni la vitesse ni la direction du vent.
Abdoulaye BADIANE - Professeur d’Economie au L.S.L.L / abadja2@yahoo.fr