Des grades et fonctions anachroniques perturb
Des grades et fonctions anachroniques perturbent l’Université sénégalaise !
L’année universitaire sénégalaise démarre encore par des débrayages et des grèves. Les enseignants de la faculté de Lettres et Sciences humaines de l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad) sont revenus de leurs vacances (si tant est qu’ils en avaient) pour refuser d’organiser les examens d’octobre tant que les sommes dues ne sont pas payées. La faculté de Sciences de la même Université a embouché la même trompette et n’a jusqu’ici pas encore démarré ses cours. L’Université de Thiès, qui est en grève illimitée, n’échappe pas à la règle. Celle de Ziguinchor menace de ne prendre aucun nouveau bachelier cette année faute de place. Ne parlons pas de l’Ecole polytechnique de Thiès (Ept) ou de l’Universitaires de Bambey (Ub) qui pataugent toujours dans des difficultés insurmontables. A l’Université Gaston Berger aussi, la rentrée est perturbée. Mais ici, cela est du fait des grades et fonctions anachroniques qu’on n’arrive pas à actualiser. En effet, les autorités académiques et politiques ont du mal à respecter leurs engagements relatifs à la réforme des titres académiques. Et cette question est en train de rallier toutes les universités.
A - Normes anachroniques
La loi n° 81-59 du 9 novembre 1981 portant statut du personnel enseignant des universités (modifiée par la loi n° 92-37 du 9 juillet 1992, la loi n° 94-76 du 24 novembre 1994, la loi n° 94-77 du 24 novembre 1994) est héritée, comme beaucoup d’autres lois du Sénégal, de la France. Elle était faite en rapport avec une division du travail universitaire reposant sur les professeurs qui étaient les seuls dépositaires du haut savoir. Alors, l’environnement scientifique se limitait à leur ombre. Ils constituaient les vecteurs et supports de connaissances. Mais quand les détenteurs du savoir se sont multipliés et que l’accès aux connaissances s’est élargi, cette norme de fonctionnement n’était plus adaptée. Elle est dépassée par les nouvelles façons de travailler à l'université. Les enseignements ne sont plus confiés à des savants omniscients entourés de leurs collaborateurs (assistants et maîtres-assistants) chargés de faire les petits boulots appelés Td, Tp ou Cours d'appoint, mais ils sont gérés par des équipes de formateurs ayant des profils complémentaires.
C’est pour cela que cette norme n’est plus, depuis 1984, en vigueur en France. Mais au Sénégal, alors que la structure actuelle du corps enseignant nécessite la révision de la loi en vigueur, les autorités ne font aucune preuve de diligence pour l’adapter.
B - Composition du corps des enseignants-chercheurs à l’Ucad et l’Ugb
Les projets pédagogiques de nos universités (de la première année jusqu’à la maîtrise seulement, le troisième cycle exclu) sont constitués à 70 % environ de cours magistraux. Et la loi actuelle dispose que seuls les professeurs et maîtres de conférences sont habilités à prendre en charge ces enseignements. Les autres, qui ne sont que leurs collaborateurs, ne peuvent que les accompagner et guider les étudiants pour une meilleure compréhension de ce qu’ils ont dispensé. Or, sur l’ensemble des enseignants, cette catégorie ne fait au plus que 30 % à l’Ucad et 43 % à l’Ugb. D’où le déséquilibre qui rend le système instable. Il est vrai que ce déséquilibre a duré et que les autorités s’y sont habituées. Cela n’empêche qu’en ce moment, il fallait s’y attendre, les enseignants de la catégorie inférieure, qui l’ont toujours subi, n’acceptent plus de fonctionner dans l’illégalité. Ce qui a lieu à Saint-Louis où le corps professoral est plus jeune et moins hétérogène que celui de l’Ucad. La différenciation des thèses et entre docteurs y est moins acceptée. C’est pourquoi les failles de la loi en vigueur y sont décelées et combattues plus qu’ailleurs.
C - Les dégâts causés par l’actuelle loi
En conservant l’ancien schéma de carrière des universitaires français, l’Etat sénégalais sous qualifie et dévalue ses enseignants-chercheurs. Surtout vis-à-vis de l’Hexagone, qui ne compte plus dans son académie plus de deux fonctions permanentes : celles des maîtres de conférences qui se chargent des activités pédagogiques à côté de celles des professeurs qui animent la recherche. Les deux fonctions pouvant être cumulées. Ceux qui les assument, ayant le même diplôme, partagent la catégorie A.. Le supplément de compétences est pris en charge dans la variation des classes administratives. Cela étant, personne ne peut dire aujourd’hui que la recherche française se développe moins que celle de nos pays. Que leurs universités en sont devenues moins valeureuses que les nôtres.
Continuer à qualifier des docteurs es philosophie d’assistants ou maîtres-assistants, alors qu’en France (pays qui forme 86 % de nos docteurs), ils peuvent être considérés, avec moins d’exigence en terme de publications, comme maîtres de conférences, voire professeurs, réduit dangereusement la compétitivité de nos universités et crée une pénurie artificielle d’enseignants supérieurs bien qualifiés et respectés dans les milieux académiques. Ce qui ne peut être sans abaisser le rang du Sénégal dans le classement des pays à potentialités scientifiques élevées.
En plus, faut-il savoir qu’il est impossible de concilier le schéma des carrières actuel avec le système de l’Union européenne (Licence Master Doctorat : Lmd) sans entamer la mobilité des étudiants qui sortent de nos universités. En effet, pour migrer d’un établissement à l’autre dans ce système, le diplôme seul ne constitue plus l’étalon ou la norme permettant d’apprécier la valeur scientifique. Un supplément au diplôme, constitué du projet pédagogique suivi par l’étudiant ainsi que de l’équipe qui l’a pris en charge, est nécessaire. Ce qui fait que les étudiants se différencient aussi par les qualités de leurs encadreurs. Ceux qui sont formés par des enseignants sans qualification connue ou standard (professeurs ordinaires et non ordinaires) passent plus difficilement d’une université à l’autre. On leur refuse même l’accès au troisième cycle dans bon nombre d’universités.
Ajoutons à ces dégâts, le schéma de carrière actuel, constitué de 31 échelons, 6 classes et 4 grades, non seulement épuise nos universitaires, brise leur élan, mais désoriente la recherche. Un enseignant sur trois passe d’un grade d’assistanat au grade magistral par année. Et, en moyenne, on arrive au grade de professeurs titulaires à l’âge de 52 ans alors qu’ailleurs, il est de 31 ans. Depuis que l'Université existe, le nombre de ceux qui ont plafonné dans la carrière est infime. Le compte des professeurs de classe exceptionnelle ne dépasse pas celui des doigts d'une main. Ce qui fait que la recherche est toujours orientée carrière. Après l’inscription sur la liste d’aptitudes aux fonctions de professeur titulaire, si on n’est pas arrivé à l’âge de la retraite, on ne pense qu’à aller se reposer au lieu de continuer à en faire. Cette qualification est devenue une finalité. Ce qui se constate dans la pauvreté de notre bibliothèque scientifique nationale, dans notre médiocre participation à la construction du savoir universel ainsi que dans la faible considération de nos académies.
Comme on le voit, pour régler ces problèmes, il urge de moderniser les règles de fonctionnement de notre Université. Sinon, elle ne pourra pas être dans l’académie mondialisée. Heureusement que tous les acteurs de l’académie sénégalaise sont convaincus de la nécessité de revoir la loi actuelle.
D - L’engagement du ministre chargé de l’Enseignement supérieur
L’Université sénégalaise se bat, depuis 2003, pour adapter son projet pédagogique au schéma européen dit Lmd. Ce qui ne peut se faire sans l’actualisation des textes qui régissent son fonctionnement. D’où la nécessité de revoir les grades philosophiques et professionnels qui y sont délivrés ainsi que les titres académiques que portent ses enseignants. A cette fin, ses acteurs ont mené toute la réflexion requise et ont fait des propositions permettant à celle-ci d’intégrer le système scientifique dominant. Et cela s’est fait en étroite collaboration avec les autorités académiques et politiques. Le ministre chargé de l’Enseignement supérieur, pour calmer l’ardeur des enseignants de l’Ugb l’année dernière, s’était engagé par écrit, avec un calendrier précis, à réaménager les titres académiques avant la fin du mois de juillet 2009. Pour ce faire, il avait mis en place un comité ad hoc, puis une commission technique chargée de lui proposer un texte consensuel à soumettre aux établissements concernés. Ce processus a abouti. Un texte, accepté par tous les plénipotentiaires des établissements du supérieur, fut trouvé et toutes les Assemblées (sauf celle de l’Ucad qui ne l’a pas encore examiné) l’ont adopté. Pour dire que le calendrier que l’ex-ministre avait proposé, peut bel et bien être respecté s’il y a de la volonté.
En tout cas, les universitaires qui se sont donné à fond pour obtenir une norme consensuelle, se sentent actuellement mal à l’aise face à leurs collègues du fait de cette discontinuité observée dans la gestion du dossier de la réforme. L’ex-ministre, le Professeur Moustapha Sourang, avait bien manifesté au Conseil interministériel sur la rentrée scolaire sa ferme volonté de respecter le calendrier qu’il avait proposé. Il disait avoir le feu vert de tous les établissements. Aussi, des directives avaient été données pour préparer un texte législatif qui achève le processus. Il serait maladroit de mettre encore les enseignants dans le doute et les pousser à s’agiter pour une question qui devait être dépassée.
Mamadou-Youry SALL Rapporteur de la Commission technique sur la réforme des grades