Violence politique au Sénégal : Le règne dram
Violence politique au Sénégal : Le règne dramatique de l’impunité
Le vent de la déraison attise le feu dans un espace politique transformé en une arène de gladiateurs au sein de laquelle l’argument intellectuel s’efface et se scelle devant la furie de la haine viscérale que se vouent des acteurs d’un jeu, présumé noble, que rien ne permet plus, de nos jours, de qualifier de démocratique. La classe politique délaisse la culture du militantisme intelligent et loue les muscles saillants d’une population appauvrie par un système ultra-libéral dont le fil conducteur idéologique se trouve dans l’accentuation exponentielle du fossé entre couches sociales situées aux antipodes de la pyramide économique.
Le 22 décembre 2011, il y a eu mort d’homme parce que des nervis, armés jusqu’aux dents, ont attaqué les locaux de la mairie de Sicap-Sacré Cœur-Mermoz, occasionnant des déprédations matérielles importantes. A-t-on déjà oublié, parce que le scrutin présidentiel de 2012 s’approche, ou tout simplement ignoré que la mairie, centre d’impulsion de la gouvernance locale, démembrement essentiel de l’Etat pour son administration de proximité, doit jouir d’un respect de la part de tous les citoyens ? Auparavant, les nervis, à bord de deux voitures, ont fait un détour au domicile du Secrétaire général de la Ld/Mpt, parti politique membre de la coalition de l’opposition dénommée ‘Bennoo Siggil Senegaal’, pour le menacer devant des témoins ébahis. Le leader des Jallarbistes a été plusieurs fois ministre dans les régimes socialiste et libéral, député et vice-président de l’Assemblée nationale du Sénégal. En somme, un homme d’Etat qui mérite un respect déférent pour sa contribution exceptionnelle à la promotion et à l’approfondissement de la démocratie dans ce pays.
L’un des témoins, présent sur les lieux, a relevé l’immatriculation des voitures et est prêt à témoigner devant les forces de l’ordre. La Police nationale doit recueillir le témoignage de cet homme qui est prêt à assumer, en toute responsabilité, sa citoyenneté. Un mois auparavant, des nervis, armés et accompagnés de chiens de chasse féroces, ont rendu visite à Moustapha Niass et Ousmane Tanor Dieng à leur domicile. La Police nationale, présente sur les lieux, n’a pas procédé à l’arrestation des nervis, les laissant partir, calmement. Quand règne l’impunité. Passons sous silence les milliers de morts du naufrage du bateau le Joola, les ‘marteaux’ de Talla Sylla, l’agression sauvage de Alioune Tine par des jeunes de l’Ujtl identifiés, les morts de Malick Bâ (Sangalkam), des deux hommes de Fanaye, de l’étudiant Balla Gaye de l’Ucad, de Abdoulaye Wade ‘Yinghou’ (Yeumbeul)… La liste est loin d’être exhaustive.
Le régime de l’Alternance rime avec l’impunité totale octroyée à ses membres dans leurs actes publics, qu’ils soient délictuels ou opaques. Conséquence dramatique d’actes irréfléchis et immatures, Ndiaga Diouf, un nervi, ancien pensionnaire d’une école de lutte dont les agissements ont défrayé la presse à cause de l’immixtion de la politique en son sein, a trouvé la mort sur le chemin de la mairie de Sicap-Sacré Cœur-Mermoz. Abattu parce que pauvre et louant ses biceps à quinze mille francs Cfa (15 mille frs) soit vingt-deux euros (22 euros). Ndiaga avait 34 ans, sa mère, inconsolable, pleure sa perte profonde. Les commanditaires exultent de joie dans des meetings et leurs fils roulent dans de belles bagnoles aux marques prestigieuses, s’ils ne sont pas, tout simplement, pensionnaires de grandes universités occidentales ou américaines. Aux enfants des pauvres la guillotine, aux rejetons des riches la belle vie.
Suite à l’attaque de la mairie des SSCM, une vingtaine de blessés peuplent les salles de l’Hôpital général de Grand Yoff en quête de soins adéquats. Ils sont dans cet état parce que la légitime défense ‘privilégiée’ a agi en toute légalité devant la menace sérieuse brandie par des hordes sauvages payées par des despotes pour tuer la démocratie. Malgré leur témoignage, la machine judiciaire toussote et refuse de démarrer. Il est vrai que l’Etat, selon Max Weber, est ‘une entreprise politique de caractère institutionnel dont la direction administrative revendique avec succès, dans l’application des règlements, le monopole de la contrainte physique’. Mais, il faut ajouter au texte wébérien que la violence de l’Etat ne tend qu’à faire respecter la loi et il faut que le citoyen en soit convaincu pour l’accepter comme tel.
Pour le cas du Sénégal, l’Etat tend à se confondre avec le parti au pouvoir. Et les citoyens, en le percevant comme tel, lui dénient toute crédibilité et suspectent sérieusement son impartialité. Une impartialité impossible à atteindre du fait de la fonction que le président de la République occupe au sein du parti politique majoritaire. Il est vrai que cette possibilité est inscrite dans la Constitution en son article 38. Un article qui consacre un net recul démocratique, car portant atteinte à la conception d’un Etat impartial et d’une citoyenneté forte. Deux concepts juridiques et sociologiques qui œuvrent pour le rattachement direct des citoyens à l’Etat, limitant ainsi l’emprise des groupes et des communautés intermédiaires comme le parti, les regroupements religieux, etc.
A défaut, comme ce qui se passe sous nos cieux, le parti, en tant que partie d’un tout placé sous la responsabilité de l’Etat, gouverne en privilégiant ses intérêts spécifiques qui sont structurés autour de la farouche volonté de conserver le pouvoir par tous les moyens. Les réactions du président du Sénat, du Premier ministre et du ministre de l’Intérieur, tous trois personnalités influentes du Pds, suite à l’attaque de la mairie de Sicap Sacré Cœur Mermoz, sont éloquentes en ce qu’elles témoignent du parti pris délibéré des autorités étatiques d’orienter les enquêtes vers un sens donné, à savoir l’emprisonnement suivi de la liquidation physique de Barthélémy Dias et l’impunité à servir aux nervis et aux commanditaires dont tout le monde connaît les identités.
Un des commanditaires, identifiés par le témoignage des nervis, s’est volatilisé dans la nature avec armes et famille. Cet homme, un fidèle parmi les fidèles du ‘pape du Sopi’, a été élevé au grade de responsable de la sécurité, poste qu’occupait Meïssa Sall dont le seul tort est d’être une lumière là où les nouveaux maîtres du clan exigent une obéissance aveugle et ‘une exécution sans reproche ni murmure de l’ordre donné’. Meïssa Sall n’est pas de cet acabit. Il a quitté naguère les commissariats de Police au nom de l’idée élevée et juste de la justice sociale. Le commanditaire, qui a disparu, a reçu des ordres, il n’agit jamais seul, il en est incapable. Un chauffeur de taxi a suivi les deux voitures des nervis et les a vues entrer et s’arrêter dans le parking de la permanence Omar Lamine Badji, sise sur la Vdn. *(A Suivre)
Abdoulaye SEYE Journaliste