VRAI CASSE-TETE CONSTITUTIONNEL ?
DE LA RECEVABILITE DE LA CANDIDATURE DE Me WADE POUR UN TROISIEME
MANDAT : FAUX DEBAT POLITIQUE OU VRAI CASSE-TETE CONSTITUTIONNEL ?
Après avoir donné des dimensions politiques, toutes empreintes de
subjectivisme, à la controverse sur la lecture combinée des articles
27 et 104 de la Constitution du 22 janvier 2001, un débat qui a certes
des incidences politiques, mais qui interpelle au premier plan, du
point de vue de la théorie et de la technique juridiques, les
constitutionnalistes, voilà que ceux qui avaient voulu travestir un
échange fructueux d’idées au bénéfice exclusif de notre démocratie,
cherchent maintenant à « noyer le poisson » par une stratégie de
banalisation du débat sur la recevabilité de la candidature de
l’actuel Président à la présidentielle de 2012, qui, au final, se
révélera contre-productive.
En effet, le peuple sénégalais ainsi que les autres observateurs du
microcosme politique de notre pays sont dans l’attente du dépôt
éventuel de la candidature du Président Wade à la présidentielle de
2012 pour un troisième mandat, nonobstant la limitation à deux du
nombre de mandats du président de la République par la Constitution du
22 janvier 2001. Les regards se tourneront, tout naturellement à ce
moment là, vers les augustes juges du Conseil constitutionnel dont la
solution juridictionnelle ne manquera certainement pas d’enrichir le
répertoire de la jurisprudence constitutionnelle du Sénégal.
En attendant ce tournant décisif pour l’évolution de notre système
démocratique, certaines prises de position de thuriféraires et autres
flagorneurs sectaires du régime libéral, allergiques à toute pensée
différente de la leur, insensibles à l’esprit de la démocratie qui
repose sur la tolérance, ont désagréablement ramené ce débat au ras
des pâquerettes.
Fort heureusement, des citoyens indignés, de tous horizons, des
démocrates sincères et exigeants, ont répondu à ces « avocats du
diable » qui, au prix de mille et une contorsions et de coups de force
théoriques prétendument « constitutionnels », prenaient un malin
plaisir à dénigrer le prestigieux corps professoral des universités
sénégalaises, voulant justifier contre vents et marées la recevabilité
de la candidature du Président Wade.
(Voir M. Jupiter Tamsir Ndiaye « Avocats de courte robe, taisez-vous
SVP ! » http://www.seneweb.com/news/article/35056.php, M. Ibrahima
Diallo « Réponse à la contribution hideuse de M. le Ministre de la
jeunesse » http://www.nettali.net/Reponse-a-la-contribution-hideuse.html
et Tshong`s « Sénégal -Wade sur les traces de Tandja »,
http://batoto;blogspot.com/)
Néanmoins, ce débat sur la candidature de Me Wade aura eu précisément
le mérite d’avoir accordé les violons de presque tous les
universitaires constitutionnalistes sénégalais sur l’irrecevabilité
d’une troisième candidature du Président Wade, à partir du moment où
la Constitution sénégalaise du 22 janvier 2001 « a bloqué le nombre de
mandats du président de la République à deux »
[ V i d e o ] Abdoulaye Wade : « Je ne peux pas être candidat en 2012 »
http://www.seneweb.com/news/elections2007/article.php?artid=34953
Un tel consensus doctrinal est rare, voire exceptionnel en droit
constitutionnel, une matière qui, assurément, se nourrit
essentiellement de controverses doctrinales et théoriques.
L’objet de cette contribution vise précisément, au-delà de toute
polémique politicienne, à recentrer le débat pour le ramener à sa
seule dimension normative au regard des règles et principes
fondamentaux du droit constitutionnel qui, rappelons-le, a pour objet
d’encadrer les phénomènes politiques se produisant au sein de la
sphère étatique. On ne peut donc reprocher, de bonne foi, au
constitutionnaliste de se préoccuper de la politique qui est la sève
nourricière du droit constitutionnel.
Des arguments avaient été avancés pour infirmer la recevabilité ou, au
contraire, justifier le bien fondé, au regard des stipulations
pertinentes de notre charte fondamentale, de la candidature de Me
Wade. Il a été reproché aux théoriciens du droit public et de la
science politique de seulement vouloir, d’une part privilégier
l’esprit sur la lettre de la Constitution et, d’autre part, de
méconnaître le principe de la non-rétroactivité de loi conduisant à
exclure les sept premières années de la présidence de Wade du décompte
du nombre des mandats. Enfin, enfonçant des portes ouvertes, certains
ont tenté vainement d’opposer les professeurs de droit aux juges, en
posant la question, à vrai dire, impertinente de savoir s’ils ont le
même pouvoir d’interprétation.
Les développements qui suivent visent à démontrer, en dépit du degré
d’abstraction qui caractérise la démarche du théoricien, la
superficialité des arguments fallacieux visant à asseoir un
raisonnement dont les prémices théoriques ont été faussées dès le
départ.
L’esprit et la lettre de la constitution s’opposent à un troisième
mandat du Président Wade
Gloser sur un « troisième mandat » de Me Wade là où la charte
fondamentale n’envisage que deux mandats au maximum est une véritable
hérésie juridique ; l’esprit et la lettre de la Constitution du 22
janvier 2001 s’y opposent expressément. L’esprit et lettre sont les
deux enfants siamois de la Constitution. L’esprit commande la lettre
qui se lit à la lumière de l’esprit. Il est évident qu’une disharmonie
entre ces deux éléments peut exister si les termes de l’écrit ne sont
pas la traduction sans équivoque de la volonté du constituant, ce qui
apparemment semble être ici le cas d’espèce.
En effet, nul n’est besoin d’être un grand clerc pour comprendre que
l’esprit de la constitution de 2001 procède sûrement de la volonté du
constituant de la 3ème République du Sénégal de limiter le nombre de
mandats du président de la République, ceci dans le but d’éviter les
longs règnes qui conduisent inéluctablement à la sclérose du pouvoir
étatique et au blocage de l’alternance démocratique qui est
l’expression même de la démocratie.
Notre collègue le professeur Demba Sy qui a été un des membres
influents de la commission constitutionnelle mise en place par le
pouvoir issu de l’alternance démocratique du 19 mars 2000, avait sans
doute vécu l’ambiance et les stratégies politiques qui ont accouché de
l’actuelle Constitution qui régit le régime politique sénégalais. Sa
thèse de l’irrecevabilité de la candidature du Président Wade, fondée
sur l’esprit de la constitution, a été confortée par d’autres éminents
collègues et théoriciens du droit public dont MM. Ahmet Ndiaye et
Mounirou Sy qui, tous les deux, ont brillamment soutenu une thèse de
doctorat sur le contentieux constitutionnel. Ces collègues ont
prolongé l’analyse en interrogeant cette fois-ci la lettre même de la
constitution.
Contrairement aux « snipers » qui ont procédé à une lecture
superficielle des déclarations publiées dans la presse, les
constitutionnalistes ne se sont pas seulement limités à l’esprit de la
constitution. Dans une déclaration au quotidien Le Populaire (N° 3222
du Jeudi 19 Août 2010, page5), persistant dans notre conviction, nous
nous abstenions de nous situer «sur l’esprit de la Constitution qui,
comme en sont conscients ses initiateurs, repose sur une limitation de
la durée et du nombre de mandats du président de la République, pour
nous situer exclusivement sur le terrain de la lettre même de la
Constitution». En effet, l’article 27 pose sans équivoque la règle que
le mandat du président de la République dure 5 ans, mandat
renouvelable une seule fois, soit un maximum de 10 ans. L’article 104
est ainsi libellé : « Le président de la République en fonction
poursuit son mandat jusqu’à son terme.
Toutes les autres dispositions de la présente Constitution lui sont
applicables. »
Ainsi que nous tenterons de le démontrer dans les lignes qui suivent,
afin d’éviter une élection présidentielle sur la base de la nouvelle
Constitution, l’article 104 maintient le président de la République
qui était en fonction et l’autorise à continuer son mandat. Il s’agit
d’un mandat qui trouvera sa source dans la nouvelle constitution, même
s’il a été acquis sous l’empire de la Constitution du 7 mars 1963. La
dérogation prévue à l’alinéa 2 de l’article 104 est fondée sur le fait
que le premier président de la 3ème République va exercer un premier
mandat d’une durée supérieure à celle qui est constitutionnellement
autorisée. La lettre de la Constitution autorise ainsi le Président de
la République en fonction à exercer la charge présidentielle pendant
au maximum 11 ans, alors que si une présidentielle de dévolution de la
charge présidentielle avait été organisée conformément à la nouvelle
Constitution, le Président Wade ne serait resté au pouvoir que pendant
10 ans, le temps passé sous l’empire de la Constitution du 7 mars
n’entrant pas en compte dans la computation du délai.
Ce raisonnement s’appuie d’une part sur l’idée qu’une nouvelle
constitution marque le point de départ d’un nouvel ordonnancement
constitutionnel et, d’autre part, que le principe de la non
rétroactivité des lois qui ne vaut que pour les lois ne saurait
s’appliquer dans des conditions de droit commun à la matière
constitutionnelle.
2. La Constitution du 22 janvier 2001 marque une rupture par rapport à
l’ordonnancement constitutionnel antérieur et consacre le point de
départ d’un nouvel ordre différent.
En 2001, les nouveaux dirigeants du Sénégal s’étaient dotés d’une
nouvelle Constitution qui s’inscrivait à leurs yeux dans une logique
de la tabula rasa d’avec le système constitutionnel issu de la
Constitution du 7 mars 1963. Ce faisant, ils opéraient ainsi, sans
s’en rendre compte, une succession de régimes qui s'accompagne
toujours d'une nouvelle Constitution visant à marquer une rupture
d’avec le régime précédent et à consacrer les débuts d'une nouvelle
ère dans la vie de l'Etat. La nouvelle Constitution traduit alors une
rupture avec le passé et une projection vers l'avenir en faisant
figure de manifeste qui répudie certaines pratiques pour exalter des
valeurs nouvelles. Elle est donc le point de départ d’un nouvel ordre
juridique instauré sur les cendres de l’ordre juridique antérieur qui
va créer des institutions, lesquelles doivent être pourvues
conformément à la nouvelle Constitution.
Il faut avoir présent à l’esprit que la constitution est l’œuvre du
pouvoir constituant qui, ainsi que le rappelle Claude Klein, juriste,
ancien doyen de la faculté de droit de l’Université hébraïque de
Jérusalem, spécialiste du système politique israélien, « traite tant
du pouvoir d’édiction d’une norme particulière à savoir la
Constitution, c’est à dire du pouvoir d’édicter la norme la plus
élevée dans un système juridique, que du pouvoir de révision de cette
norme.” (Cf. Cl. Klein,Théorie et pratique du pouvoir constituant,
PUF, coll. Les voies du droit, 1996, p. 4). L’élaboration de la
constitution, œuvre du pouvoir constituant originaire qui est initial,
inconditionné et illimité, est un acte fondateur, alors que la
révision de la constitution qui est l’œuvre du pouvoir constituant
dérivé ou institué, intervient en cours d’évolution du régime
constitutionnel pour modifier la constitution dans les formes qu’elle
a prescrites. Comme on le voit, le pouvoir constituant dérivé qui est
institué, conditionné et limité, est chargé d’apporter des retouches à
la Constitution afin de l'adapter aux besoins de changement exprimés
par le régime politique.
Le pouvoir constituant originaire se situe ainsi en amont du processus
constitutionnel en ce sens qu'il est chargé d'élaborer et d'adopter la
Constitution avant de disparaître définitivement. Ce pouvoir
constituant n’est pas un phénomène juridique. En réalité,
l’établissement d’une constitution ne relève pas du droit, il fonde le
droit. Georges Burdeau, un des plus grands maîtres de la science
constitutionnelle et qui aura marqué des générations entières,
professait: “au regard de l’Etat, le pouvoir constituant originaire
est donc un pouvoir primaire, inconditionné et parfaitement maître des
formes dans lesquelles il entend s’exercer”(G. Burdeau, Manuel de
droit constitutionnel et institutions politiques, L.G.D.J, 20ème
édition, 1984, p.85 s.) Dans cette même perspective, Otto Pfersmann
soutient : « Si l’on établit une constitution en rupture avec celle
qui existe jusqu’alors, on n’exerce pas un droit, on institue un
nouveau système juridique…. L’établissement d’une Constitution ne
relève pas du droit, il fonde le droit.»(…) Puisqu’il n’y a pas de
normes juridiques, il s’ensuit que la manière dont il convient de
mettre en place une première Constitution relève de la théorie
politique et non du droit”». ( Voir O. Pfersmann, in Favoreu (L.),
Gaia (P.) Ghevontian (R.), Mestre (J.L.), Pfersmann (O.), Roux (A.),
Scoffoni (G.), « Droit constitutionnel », Paris, Dalloz, , 2001, p.
93).
Ce rappel des principes fondamentaux qui gouvernent la Constitution
était, à nos yeux, important afin de mieux situer l’œuvre
constitutionnelle dans son contexte. Le 22 janvier 2001, le Sénégal
s’est doté d’une nouvelle Constitution qui a abrogé et remplacé la
Constitution du 7 mars 1963 qui n’était pas si mauvaise que cela, dès
lors qu’elle a rendu l’alternance démocratique possible en 2000.
Conscient de l’acte fondateur de la Constitution, nous avions à
l’époque vainement attiré l’attention des acteurs constitutionnels sur
la nécessité de procéder à une simple révision de la constitution,
surtout que le Sénégal disposait en ce début du nouveau millénaire de
la plus vieille constitution d’Afrique. Or, comme on le sait, la
constitution se bonifie naturellement avec le temps.
La promulgation d’une nouvelle constitution a ceci d’extraordinaire
que toutes les lois et tous les règlements qui étaient jusque là en
vigueur deviennent caducs. C’est pour leur donner vie que la nouvelle
Constitution procède souvent, dans ses dispositions transitoires, à
l’aménagement de la continuité du système normatif et, le cas échéant,
des institutions antérieures.
En ce qui concerne la continuité du système normatif, en vue d’éviter
la caducité des lois et règlements en vigueur avant la promulgation de
la nouvelle Constitution, il est souvent expressément prévu dans le
nouveau texte une clause de style autorisant la production d’effets
sous certaines conditions de l’ordonnancement juridique antérieur.
C’est la lecture qu’il convient d’avoir de l’article 107, alinéa1 de
la Constitution du 22 janvier 2001 qui dispose : « Les lois et
règlements en vigueur, lorsqu’ils ne sont pas contraires à la présente
modifiés ou abrogés ».
C’est cette logique de la continuité qui était à la base de l’article
104 de la Constitution autorisant le maintien du président de la
République élu sur la base de l’ancienne Constitution sans qu’il ne
soit nécessaire de procéder à une élection présidentielle anticipée,
politiquement injustifiable dans le contexte post-électoral que vivait
en ce moment le Sénégal.
Dans un entretien avec Sud Quotidien (N° 2111 du lundi 17 avril 2000),
nous soutenions qu’une élection présidentielle anticipée n’était pas à
exclure en cas d’adoption d’une nouvelle Constitution. Nous avions
fondé notre opinion sur cette constatation : « Quand un régime en
place est renversé et qu’un autre, qui se veut différent, instaure une
nouvelle Constitution, il crée de ce fait, une nouvelle source de
légitimation des institutions. Dans le cas qui nous préoccupe, le
président Abdoulaye Wade qui tient sa légitimité de la Constitution de
1963, devrait par conséquent, en faisant adopter une nouvelle
Constitution, trouver une nouvelle source de légitimité, à moins que
la nouvelle Constitution ne prévoit des dispositions transitoires pour
lui permettre de diriger. »
Si la toute première version du projet de Constitution n’envisageait
pas cette disposition transitoire, celle publiée par le quotidien « Le
Matin » (N° 1162 du lundi 13 novembre 2000) intégrait cette
disposition transitoire qui figurera dans la mouture finale soumise au
référendum du 7 janvier 2000.
Voilà en réalité l’histoire de l’article 104 de la Constitution qui
nourrit présentement cette controverse sur la recevabilité ou non de
la candidature du Président Wade pour un troisième mandat.
3. Le Président Wade tire désormais sa légitimité de la Constitution
du 22 janvier 2001 et non plus de la présidentielle de 2000
La légitimité du Président Wade découle désormais de la nouvelle
Constitution en son article 104 et non plus de son élection sous
l’empire de l’ancienne Constitution. L’objet de l’article 104 de la
Constitution du 22 janvier 2001, comme nous l’avons vu, est de
permettre à celui qui était président de la République au moment de
l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution de rester en fonction.
L’on considère alors qu’il y a bel et bien une dévolution
constitutionnelle de la charge présidentielle à celui qui était à la
station présidentielle à la date de la promulgation de la nouvelle
Constitution.
Peu importe, au demeurant, le mode antérieur d’acquisition du pouvoir
présidentiel. Rappelons, en passant, que l’élection doit être ramenée
à sa juste proportion, car elle est juste une technique de désignation
des titulaires de rôles politiques. On peut, à juste titre considérer,
qu’en l’état actuel de l’évolution des idées et croyances politiques,
elle est le mode le plus démocratique de dévolution du pouvoir
politique, sans être cependant l’unique mode de transmission d’une
charge publique. La nomination, la cooptation, la désignation
testamentaire et même le tirage au sort sont autant de techniques de
dévolution du pouvoir politique. Sous cet angle, il ne faudrait pas en
conséquence ramener la légitimité d’un gouvernant à sa seule élection.
Pour prendre l’exemple du Sénat au Sénégal, les 2/3 de nos sénateurs,
même s’ils ne disposent d’aucune légitimité électorale, jouissent tout
de même d’une légitimité légale et rationnelle (Max Weber) en vertu de
la disposition des textes qui organisent le pouvoir politique
sénégalais.
Dans ce même ordre d’idées, la légitimité du Président Wade durant son
premier mandat ne découle plus de son élection au suffrage universel
direct en mars 2000, mais bien de son investiture par la nouvelle
Constitution à partir du statut qui était le sien à l’avènement de la
Cnstitution du 22 janvier 2001. Sa légitimité constitutionnelle, en
tant que premier président de la 3ème République, remonte à la date de
la promulgation de la Constitution du 22 janvier 2001, et non plus à
la date de son élection intervenue dans le cadre d’un ordonnancement
juridique qui a été anéanti par le nouvel ordre constitutionnel.
Le constituant de 2001 valide également la durée du mandat pour lequel
il avait été porté à la tête de l’Etat, car l’alinéa 1 de l’article
104 l’autorise exceptionnellement à jouir de son mandat hérité de
l’ancien régime. Force est de constater que ce mandat à continuer est
visiblement en contrariété avec la durée prévue à l’alinéa 1er de
l’article 27. Ainsi que nous l’avons soutenu, l’article 104 ne
concerne en réalité que la durée du mandat qui sera de six ans pour le
président nouvellement investi le 22 janvier 2001, là où l’article 27
de la Constitution stipule expressément que le mandat dure 5 ans. Le
mandat présidentiel s’apprécie dès lors par rapport à sa durée. 5
années passées au pouvoir équivalent à un mandat. Conséquemment, six
ans valent plus qu’un mandat. La dérogation vise simplement à donner
une prime d’un an au président qui était en fonction dans le but de
mieux assurer la cadence du calendrier électoral sénégalais. Il ne
peut s’agir d’un mandat en blanc non pris en compte par la
Constitution.
Pour nous résumer sur ce point, la légitimité de Me Wade découle de la
Constitution de 2001 en lieu et place de l’élection présidentielle du
19 mars 2000. L’article 104 alinéa 1er s’approprie le septennat hérité
de la constitution du 7 mars 1963 en l’habilitant à exercer un mandat
plus long que le mandat constitutionnellement prévu, sans préjudice de
l’article 27 qui a « bloqué à deux » (Wade dixit !) le nombre de
mandats du président de la République.
4. L’irrecevabilité au regard du droit constitutionnel de l’argument
fondé sur le principe de la non-rétroactivité de la loi
Les « avocats » de la recevabilité mettent en exergue le principe de
la non-rétroactivité de la loi pour extirper le septennat du décompte
de la limitation du nombre de mandats du président de la République.
Cet argument nous paraît tout aussi fallacieux dans la mesure où le
principe de la non-rétroactivité n’a pas été situé dans son véritable
contexte juridique. La perspective diachronique, fondée sur
l’évolution dans le temps de ce principe, permettra de mieux baliser
ses contours.
Le principe de la non-rétroactivité des lois trouve sa source dans
l’article 2 du Code civil français qui édicte que la loi ne dispose
que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif. Ce principe
fondamental du droit a été curieusement repris au Sénégal dans le Code
de la famille en son article 831 alors que l’esthétique législative
aurait commandé de lui réserver une place privilégiée dans le Code des
obligations civiles et commerciales.
Ce principe qui, au départ, ne concernait que la loi entendue dans son
sens organique, va dans un premier temps migrer vers le droit
administratif qui lui donnera son expression la plus achevée. Ce
principe appliqué au droit administratif signifie que l’acte
administratif réglementaire ou individuel ne peut régir les situations
antérieures à sa publication ou à sa notification. Toute rétroactivité
de l’acte administratif est illégale, sauf si le législateur autorise
expressément la rétroaction, ou sauf si celle-ci est nécessaire car
imposée par les circonstances pour rétablir les droits lésés.
Ensuite, le principe de la non rétroactivité va remonter d’un cran
dans la hiérarchie des normes juridiques à la faveur du développement
de la jurisprudence constitutionnelle qui l’a rigoureusement recadré.
Le principe posé par la jurisprudence constitutionnelle aussi bien
sénégalaise (Décision du 23 juin 1993 sur le rabat d’arrêt, in « Les
décisions et avis du Conseil constitutionnel du Sénégal », rassemblés
et commentés sous la direction du professeur Ismaïla Madior Fall ;
Dakar, Credila, 2008, pp. 89 et s.) que française (Décision du 18
décembre 1998 Rétroactivité fiscale, in L. Favoreu et L.Philip « Les
grandes décisions du Conseil constitutionnel », 15 édition, Dalloz,
2009, pp. 693 et s.) est que la règle de la non-rétroactivité des lois
n’a de valeur constitutionnelle qu’en matière pénale. En tout autre
domaine, elle est un principe général du droit auquel la loi peut
déroger. Seulement, une limite est apportée à la rétroaction dans la
mesure où « la modification, l’abrogation comme la rétroactivité d’une
loi nouvelle, ne peuvent remettre en cause des situations existantes
que dans le respect des droits et libertés de valeur constitutionnelle
», selon le juge constitutionnel sénégalais, là où le juge français
invoque « un motif d’intérêt général suffisant et sous réserve de ne
pas priver de garanties légales des exigences constitutionnelles. »
On parle de la « non-rétroactivité des actes administratifs » ou de la
« non-rétroactivité de la loi », mais quid de la Constitution ? Les
défenseurs de la recevabilité sont allés très vite en besogne en
faisant prévaloir le principe de la non-rétroactivité de la loi dans
le décompte du nombre des mandats du Président Wade. Cet argument est
irrecevable dans la mesure où ce principe nous paraît inapproprié pour
la constitution. En appliquant le principe de la non rétroactivité de
la loi à la constitution, on piétine le principe de la hiérarchie des
normes si cher à Hans Kelsen, l’auteur de la Théorie pure du droit.
L’article 2 du code civil ne peut, en droit, régir la constitution qui
lui est supérieure dans la hiérarchie des actes juridiques.
On peut sanctionner l’inconstitutionnalité d’une loi, mais le
constituant est, en l’état actuel du droit sénégalais, hors de portée
de toute sanction. Ainsi que le rappelle le Conseil constitutionnel
sénégalais dans sa décision du 18 janvier 2006 relative à la loi
constitutionnelle portant prorogation du mandat des députés (voir le
recueil des décisions du Conseil constitutionnel sénégalais, op.cit.
pp. 491 et s.), le pouvoir constituant est souverain. Sous réserve des
limitations expressément prévues par la constitution, « il peut
abroger, modifier ou compléter les dispositions de valeur
constitutionnelle dans la forme qu’il estime appropriée et introduire
explicitement ou implicitement dans le texte de la constitution des
dispositions nouvelles qui, dans le cas qu’elles visent, dérogent à
des règles ou principes de valeur constitutionnelle, que cette
dérogation soit transitoire ou définitive. »
Si le constituant peut introduire des dispositions rétroactives dans
la Constitution, il n’en demeure pas moins que la rétroactivité se
pose différemment selon qu’on est en face d’une nouvelle Constitution
ou d’une simple révision constitutionnelle.
Une nouvelle Constitution fonde un nouvel ordonnancement juridique à
partir du néant ou d’un ordre juridique dont on ne veut plus. La
Constitution ne saurait être rétroactive dès lors qu’elle est
antagonique à l’ordre constitutionnel renversé. Elle a toute latitude
de reprendre des dispositions antérieures en se les appropriant. Les
conflits de constitutions dans le temps n’existent pas, comme c’est le
cas des conflits de lois.
En revanche, la révision constitutionnelle s’inscrit dans le cadre de
la continuité, car visant à adapter un ordre existant aux
circonstances changeantes. Les changements introduits ne vaudront que
pour l’avenir, à moins qu’une stipulation expresse du constituant
dérivé n’autorise la prise en compte des situations juridiques
antérieures. Aussi, la limitation du nombre de mandats du président de
la République intervenue au Sénégal en 1992 et en France en 2000 ne
pouvait rétroagir pour prendre en compte les mandats antérieurs, la
loi constitutionnelle de révision ne pouvant produire d’effets qu’à
compter de sa date de promulgation. C’est sur cette base que le
Président Diouf s’est présenté aux élections présidentielles de 1993
et 2000 et que Chirac avait bien le droit de solliciter un mandat en
2007, même s’il ne l’a pas fait.
En conséquence, si, conformément à nos suggestions, le 7 janvier 2001,
le Président Wade avait fait adopter une révision de la Constitution
du 7 mars 1963 par voie référendaire à la place d’une nouvelle
Constitution, la controverse sur un troisième mandat serait
aujourd’hui sans objet, dès lors que le mandat acquis antérieurement à
la date de promulgation de la loi portant révision de la constitution
ne serait pas pris en compte dans le décompte des deux mandats
constitutionnellement autorisés. Ce qui aurait validé la candidature
de Wade à la présidentielle de 2012 pour un dernier mandat.
5. Le Conseil constitutionnel reste en définitive le seul juge de la
recevabilité des candidatures à la présidentielle de 2012
Le débat sur le Conseil constitutionnel est véritablement « une
querelle de clochers » dans la mesure où toutes les thèses en présence
s’accordent sur la compétence de principe du Conseil constitutionnel
pour connaître de la recevabilité des candidatures. Le Conseil
constitutionnel est en effet le juge des élections nationales et du
référendum. Les élections nationales sont celles dont l’objet est de
désigner les représentants de la nation au sens de l’article 3 de la
Constitution. Il s’agit de l’élection présidentielle, des élections
législatives et des élections sénatoriales. Il s’y ajoute le contrôle
juridictionnel des opérations référendaires.
Il revient au Conseil de recevoir les candidatures, de procéder au
contrôle de la régularité juridique des candidatures au regard de la
loi et de la Constitution, de connaître des contestations relatives
aux déclarations de candidature et de publier la liste des candidats.
Il se prononcera en dernier ressort pour trancher définitivement le
différend relatif à la recevabilité de la candidature de Me Wade, sur
requête des candidats intéressés et sa décision s’imposera à toutes
les autorités.
La question ne porte pas sur les pouvoirs du juge constitutionnel qui
ne sont pas inconnus des professeurs de droit, comme on tente de le
faire croire, maladroitement, feignant d’opposer les théoriciens aux
praticiens du droit.
En revanche, ainsi que vient de le proposer un dirigeant du PDS, Me
Doudou Ndoye, le Conseil constitutionnel pose problème en raison de la
compétence exclusive et discrétionnaire du président de la République
pour désigner ses membres. Aux yeux de beaucoup d’observateurs,
surtout ceux de l’opposition, celui-ci sera naturellement enclin à ne
nommer que des conseillers qui sont dans ses bonnes dispositions, ceux
à qui il fera confiance. Contrairement à tous les pays qui ont procédé
à l’éclatement de ce pouvoir de nomination des juges constitutionnels
entre des autorités différenciées (France, RFA, Mali, Bénin, Togo,
RDC, etc.), le Sénégal est pratiquement le seul pays au monde à
conférer un tel privilège au président de la République pour le choix
du juge de la constitutionnalité et des élections.
Les suspicions de partialité émanant des partis politiques de
l’opposition sont dès lors parfaitement légitimes, d’autant que « la
déclaration d’incompétence » apparaît comme un mode opératoire
récurrent du Conseil constitutionnel sénégalais, surtout en matière
électorale, là où il devrait connaître de tout le contentieux relatif
à la régularité des élections, l’autorisant ainsi à se prononcer sur
la conformité des actes des autorités électorales à la constitution et
au code électoral (nomination des membres de la commission électorale,
découpage électoral, etc.)
C’est ainsi que le juge sénégalais s’est déclaré incompétent pour se
prononcer sur la régularité de l’acte de nomination des membres de la
commission électorale en considérant « qu’aucun de ces textes (la
constitution et la loi organique relative au Conseil constitutionnel)
ne (lui) donne compétence pour statuer sur la conformité d’un décret à
une loi ou à un autre décret ; que, dès lors, le Conseil
constitutionnel n’a pas compétence pours statuer sur la demande de
récusation des membres de la CENA nommés par décret » (Décision du 11
juillet 2005 relative à la récusation du Président et du
Vice-président de la CENA, in « Les décisions et avis du Conseil
constitutionnel du Sénégal », op.cit. p. 95).
Cette incompétence de principe est aux antipodes de la pratique de la
Cour constitutionnelle du Bénin qui, régulièrement, se reconnaît
compétente pour examiner tout contentieux relatif à la désignation des
membres de la Commission électorale nationale autonome (CENA) dans la
mesure où de telles questions ressortissent au contrôle de la
régularité des élections.
Le paradoxe de la décision du Conseil constitutionnel précitée est
qu’elle est même en contradiction avec une décision rendue par le même
Conseil constitutionnel sénégalais le 8 juin 1998 à propos de la
proclamation des résultats des législatives (« Les décisions et avis
du Conseil constitutionnel du Sénégal », op. cit. p.42) où après avoir
estimé qu’il n’incombe pas au juge constitutionnel d’apprécier, en vue
de son annulation, l’acte administratif que constitue l’arrêté du
préfet de Bignona ayant délocalisé des bureaux de vote, le Conseil
considéra qu’ il en va autrement en ce qui concerne l’impact que cet
acte peut avoir sur le déroulement normal ou la sincérité du vote tel
qu’effectué dans les conditions fixées par l’arrêté préfectoral
dénoncé. En vue de garantir la sincérité, la transparence et la
loyauté des scrutins, le juge constitutionnel devrait prévenir les
futurs dénis de justice électorale en sanctionnant, le cas échéant,
tous les actes délictueux liés au déroulement des processus
électoraux.
Au total, pour clore ce débat, nous jugeons plus que nécessaire une
réforme du Conseil constitutionnel sénégalais dans son actuelle
configuration pour, s’inspirant des exemples étrangers, le transformer
en une véritable Cour constitutionnelle chargée entre autres du
contentieux électoral.
En effet, nous estimons qu’à défaut d’instituer une juridiction
électorale, à l’instar du Tribunal fédéral électoral du Mexique, le
moment est venu de procéder tout au moins à la dévolution de
l’ensemble de la matière électorale à la juridiction compétente pour
connaître des actes et opérations électoraux. L’éclatement et la
dispersion du contentieux électoral entre diverses juridictions, comme
c’est le cas aujourd’hui au Sénégal, est source, comme on l’a vu, de
polémiques et de confusions. Ce que le Bénin et le Togo avaient
constaté en confiant soit à la Cour suprême (les élections locales)
soit à la Cour constitutionnelle (les élections nationales) l’ensemble
du contentieux électoral allant de l’enrôlement des électeurs à la
proclamation des résultats définitifs des scrutins électoraux.
Les décisions du Conseil constitutionnel, rendues en premier et
dernier ressort, ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles
s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités
administratives et juridictionnelles. Ce prescrit de l’article 92,
alInéa2 de la Constitution du 22 janvier 2001 fait peser une
présomption constitutionnelle d’irréprochabilité et d’incontestabilité
sur les décisions rendues par le Conseil constitutionnel.
Ce pouvoir doit cependant être exercé avec modération, car comme le
rappelait Me Robert Badinter, qui a eu le privilège de présider la
juridiction constitutionnelle française, le Conseil constitutionnel
devra « éviter de se couper durablement de l'opinion ou d'entrer en
conflit ouvert avec le pouvoir politique…La première vertu du juge
constitutionnel est la prudence dans l'exercice de ses pouvoirs …. »
(cf. "Le Monde" des 5 et 6 Mars 1995). Un avis d’expert qui devra
inspirer nos juges.
Plaidant pour le renforcement des capacités humaines, matérielles et
immatérielles du Conseil constitutionnel, ce qui contribuera sans nul
doute à renforcer notre démocratie constitutionnelle par la qualité
des décisions rendues, il est donc urgent de revisiter le Conseil
constitutionnel sénégalais dans le sens de l’élargissement de sa
composition, de la pluralité des acteurs institutionnels intervenant
dans le choix de ses membres et de l’outillage intellectuel de
ceux-ci.
El Hadj Mbodj
Professeur titulaire des universités
Agrégé de droit public et de science politique
Université Cheikh Anta Diop de Dakar
Reproduction autorisée