Faut-il une présidentielle anticipée ?
Faut-il une présidentielle anticipée ?
L’idée d’une élection présidentielle anticipée avant 2012 est agitée, depuis quelque temps, avec certes moins de folklore que la dangereuse intention de suppression du second tour. Certains esprits sont sans doute tentés par cette idée de présidentielle anticipée pour déstabiliser l’opposition. Ces théoriciens de l’ombre prennent certainement en compte le facteur temps qui jouerait en faveur des retrouvailles de l’opposition, tout en déjouant pour le candidat proclamé du Sopi pour des raisons évidentes. Globalement, les partisans du président en exercice ne devraient pas être tentés par ce pari fou aux risques évidents.
Les théoriciens d’une anticipation de la présidentielle ne se comptent pas qu’au niveau du seul camp présidentiel. Une partie de l’opposition, dans la démarche légitime de contestation, demande souvent le départ sine die du chef de l’Etat ce qui, inéluctablement, mènerait de fait à une présidentielle anticipée. Slogan politique ou pas, cette revendication implique comme conséquence une anticipation de l’élection présidentielle. L’opposition aussi ne devrait pas être emballée globalement par cette idée du fait qu’elle doit songer d’abord à se battre pour des conditions d’un vote transparent.
Nous n’en sommes pas encore là. Mais l’idée, comme le ver dans le fruit, germe peu à peu et est prise en compte certainement dans les chapelles politiques. Le Sénégal n’est certes pas dans une phase de blocage des institutions, mais force est de reconnaître que les récents comportements anachroniques des tenants du pouvoir ne font pas que les discréditer. Les dégâts collatéraux incommensurables des affaires comme celle dite Segura sapent la crédibilité nationale et constituent des germes de défiance silencieuse contre un régime qui ne pourra pas fédérer les énergies pour un développement intégral du pays. Mais faut-il anticiper l’élection présidentielle pour autant ?
Constitutionnellement, le mandat du président de la République expire en 2012. A compter de cette année 2012, il sera de sept ans renouvelable une seule fois et révisable uniquement par voie référendaire (article 27). Cela veut dire qu’un chef d’Etat en exercice ne peut pas se lever un beau jour et décider d’aller à une présidentielle anticipée, tout en restant au palais. Pour qu’il puisse le faire, il doit démissionner d’abord et redevenir un citoyen ordinaire. Dans l’absolu, s’il veut contourner la démission, il doit organiser un referendum pour ou contre l’anticipation de l’élection présidentielle ; ce qui serait plus que burlesque. Donc une anticipation à l’initiative du chef de l’Etat en exercice doit obligatoirement être précédée par une démission.
Hormis la démission, deux autres cas de figure peuvent entraîner une anticipation de l’élection présidentielle. Il s’agit du décès ou de l’empêchement définitif constaté par le Conseil constitutionnel. Dans ces deux derniers cas, l’anticipation n’est pas suscitée, mais s’impose d’elle-même. Parler de présidentielle anticipée au Sénégal signifie d’abord une démission du chef de l’Etat.
Qui peut croire que l’actuel chef de l’Etat en exercice puisque être assez joueur jusqu’à aller vers une anticipation à son initiative de la présidentielle de 2012 en franchissant le rubicond de la démission ? Cela relève de la fiction. Il est quasi illusoire que le chef de l’Etat démissionne et quitte le palais pour une durée de 60 à 90 jours (article 31 de la Constitution) durant lesquels, il sera remplacé par le président du Sénat qui organise les élections à la fin de la suppléance (article 39). C’est trop risqué d’autant plus que la loi n’interdit pas au président du Sénat de se présenter à ces mêmes élections. Ce qui n’est pas interdit est plus que permis, suggéré. On ne laisse pas quelqu’un goûter à la station présidentielle fut-il le plus fidèle des fidèles.
A l’analyse, on peut dire et écrire qu’il est fort probable qu’il n’y ait pas de présidentielle anticipée à l’initiative du Sopi. Si, par extraordinaire, cela doit avoir lieu, cela signifierait sans doute que l’actuel chef de l’Etat a renoncé à la candidature et que le visage du candidat du Sopi soit en phase avec celui du suppléant constitutionnel perché au Sénat quel qu’il soit et qui, actuellement, a un mandat d’un an renouvelable en fonction des instructions du chef du parti, chef de l’Etat. Encore une brèche énorme que les politiques et les juristes doivent prendre en compte dans le cadre des failles du système qui n’a pas fermé toutes les portes d’une succession convenue.
En définitive, l’opposition, malgré les slogans, est assez républicaine pour créer les conditions hasardeuses d’un départ du chef de l’Etat avant terme. Elle n’a pas un intérêt clair à une anticipation de la présidentielle si les conditions d’un vote transparent ne sont pas réunies. Elle doit se concentrer tout de suite sur les conditions sine qua non d’une élection transparente en 2012 pour que la volonté populaire ne soit pas travestie. Voilà la priorité de l’opposition !
La présidentielle peut bien attendre les 800 et quelques jours qui nous séparent de février 2012. La seule tristesse véritable est que le drame social et économique risque de s’amplifier durant cette longue attente. Cette attente n’est-il pas un des prix à payer pour la démocratie ? La démocratie a heureusement des mécanismes de rectification par les urnes des erreurs d’un mandat.
Le démocrate n’est pas celui qui se l’autoproclame urbi et orbi. C’est celui qui n’use pas de calculs pour tromper une majorité en toute connaissance de sa minorité. C’est aussi celui qui sait donner du temps au temps entre deux scrutins.
D’ici 2012, le peuple doit rester tendu vers une analyse objective de la situation et se déterminer pour corriger la mauvaise trajectoire qui a fait que beaucoup n’ont plus cette fierté colossale de brandir leur ‘sénégalité’ par la faute d’hommes politiques qui ont oublié que le pain de la dignité a plus de valeur que le pain en farine.
Mamadou NDIONE Mandione15@gmail.com