POUR QUEL DEVELOPPEMENT AU SENEGAL ?
A l’aube du troisième millénaire, l’humanité n’a jamais disposé d’autant de ressources matérielles et de richesses humaines. Et pourtant au Sud, le maldéveloppement est général. Renforcé par la dette, il plonge des populations entières dans un quotidien infernal. Au Sud, c’est à dire chez nous (en Afrique), il crée une société dont les coûts sociaux s’appellent chômage, exclusion sociale, sous-éducation ...
Dans le rapport sur le développement Humain présenté par le PNUD (Programme des Nations unies pour le développement), il est constaté que 20% de la population mondiale se partagent 82,7% du revenu mondial. 20%, les plus pauvres, doivent se contenter de 1,4% des richesses mondiales.
Face à ces inégalités scandaleuses, une meilleure prise de conscience du problème du développement et un renforcement du support social pour une solidarité Nord-Sud sont nécessaires afin de construire à terme des rapports sociaux et économiques équitables et un développement durable pour toute la population mondiale.
Comprendre toutes ces interdépendances et les traduire dans des actions de formation sont les objectifs attribués au volet éducatif de la réflexion sur « le développement via l’éducation » que nous présentons à travers cet article.
Il s’agit là de dénouer les fils de la mondialisation des problèmes, pour mieux percevoir les responsabilités des uns et des autres, et pour identifier les possibilités de changements pour les générations présentes et futures.
De ce point de vue, un savoir positif sur les faits sociaux est susceptible de contribuer à la formation morale et intellectuelle du personnel enseignant ; et cela en vue d’un approfondissement et d’un élargissement des valeurs républicaines. Parler donc d’éducation et de développement économique conforte des pays comme le nôtre pour qui, les deux concepts ne recouvrent qu’une seule et même réalité. Aussi bien sur le plan microéconomique que macroéconomique, le rôle de l’éducation et du capital humain dans la croissance économique et le bien-être commun, n’est plus à démontrer.
En effet, il a été démontré une forte corrélation entre la performance économique et le capital humain de nos Etats. L’éducation constitue pour ainsi dire l’un des leviers les plus puissants pour assurer le développement durable. Au regard du rôle prépondérant qu’elle joue dans le processus de développement économique et social, le droit à l’éducation aussi, relève pour ainsi dire d’une question d’équité, de justice et d’économie.
Ne pas créer les conditions de son exercice, c’est restreindre de facto la capacité des individus à produire, donc à pourvoir à leurs besoins et à ceux de leurs familles, à se protéger et à protéger les leurs. Cela suppose de manière générale d’hypothéquer le progrès démocratique et social et par conséquent la paix et la sécurité nationale. A l’exception du Ghana, du Togo et du Cap-Vert, l’Afrique de l’Ouest est caractérisée par un bas niveau de développement humain. Sur les 16 pays qui la composent, 13 sont éligibles à l’Initiative des pays pauvres très endettés (PPTE). Cinq de ces pays (Niger, Sierra Leone, Burkina Faso, Mali, Guinée-Bissau) détiennent les indicateurs de développement humain les plus faibles au monde.
Du point de vue économique, le niveau de richesse moyen est de 441 $ US en Afrique de l’Ouest contre 791 $ US pour la moyenne africaine. A l’exception de la Côte d’Ivoire (793$ US), du Sénégal (583 $ US) et du Cap-Vert (1 648 $ US), aucun des 16 Etats ouest africains n’a un produit intérieur brut (PIB) par habitant excédant 500 $ US.
L’espérance de vie ne dépasse pas 50 ans dans plus de la moitié de ces Etats et 61% de la population est rurale selon le rapport sur le développement humain publié par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) en 2005. Ainsi, malgré la volonté politique clairement affichée par le régime de l’alternance à travers la ratification de Conventions et Déclarations internationales et l’adoption de lois d’orientation du secteur éducatif, le Sénégal ne peut visiblement, sans un appui conséquent des bailleurs de fonds, remplir son engagement. L’extrême pauvreté du pays, conjuguée au poids écrasant de la dette intérieure et extérieure, rétrécit considérablement la marge de manœuvre de l’Etat.
Du point de vue des populations, la problématique de l’éducation relève d’une gymnastique douloureuse. L’impératif de manger, de boire et de se couvrir est tellement présent dans la vie quotidienne qu’il est pratiquement impossible pour beaucoup de familles de se consacrer à autre chose qu’au travail rémunérateur. La plupart des populations vit dans une situation précaire.
Dans ce contexte de pauvreté manifeste, envoyer son enfant à l’école apparaît dès lors comme un luxe, voire un gaspillage, dans la mesure où, employés plutôt comme main d’œuvre sur le marché du travail informel, ils deviennent une source de revenus potentielle pour leurs familles. Cette réalité de lutte quotidienne pour la survie, particulièrement en milieu rural et de nos jours en milieu urbain, amenuise non seulement la demande sociale potentielle en éducation, mais constitue aussi en permanence une menace pour le maintien des élèves dans le système. Pour ces populations, les coûts d’opportunité de l’éducation restent très minces. Les échecs scolaires constatés depuis quelques années renforcent davantage cette perception négative vis-à-vis de l’école.
Cette « extrême » pauvreté des populations sénégalaises reste en définitive l’une des contraintes majeures à l’effectivité de l’exercice du droit à l’éducation.
D’autres facteurs non moins importants méritent cependant d’être soulignés. Il s’agit :
Premièrement : du bas niveau constaté de plus en plus, aussi bien au niveau des élèves ainsi qu’une manque de formation notoire constaté sur le personnel enseignant ; cela joint au manque de motivation (rétention ou retard dans le paiement des salaires…)
Deuxièmement : Un autre aspect, c’est l’inadaptation des systèmes et programmes éducatifs aux milieux ; ce qui est de nature à provoquer la formation d’agents économiques en déphasage total avec l’architecture économique devant les employer. La conséquence d’une telle inadéquation, c’est que plus le système produit des "chômeurs" potentiels et plus la déception grandit et plus le droit à l’éducation en pâtit.
Troisièmement : des facteurs sociaux et culturels qui sont tout autant contraignants. Le cas des filles en particulier est digne d’attention, pour la simple raison qu’elles sont les victimes principales de préjugés sociaux défavorables, les travaux domestiques et le mariage précoce entre autres. En milieu rural, quand elles arrivent à franchir ces obstacles et à terminer le cycle primaire, elles sont le plus souvent confrontées au problème crucial de tutorat, les exposant à des contraintes aux conséquences néfastes.
Ainsi, du fait, soit de leur sexe, soit de leur résidence, de leurs conditions sociales, voire d’autres facteurs, beaucoup de sénégalais sont victimes de l’analphabétisme et de l’ignorance.
On peut encore citer d’autres causes qui expliquent l’état actuel de l’éducation. Mais il est important de savoir que s’il s’agit là de raisons valables pour expliquer cette situation, elles ne suffisent pas cependant pour justifier toutes les contre-performances du système.
A cela, s’ajoute une absence ou du moins une faiblesse notoire de culture en matière d’évaluation, d’imputabilité et de reddition de comptes. La responsabilisation de l’Etat, des acteurs et l’obligation qui doit leur être faite de rendre compte de leur gestion, a l’avantage de contribuer à promouvoir une gestion plus rationnelle des ressources dont dispose le système éducatif. Par ailleurs, il est indispensable, pour une question de transparence et de confiance entre acteurs, d’assurer que ceux qui contribuent au financement (bailleurs ou partenaires) aient explicitement le droit de savoir comment les fonds mis à la disposition du système sont dépensés.
Le droit à l’éducation peut-il être effectif dans un contexte de pauvreté qui frappe notre pays ? Comment parvenir à faire de l’éducation un instrument de développement économique et social ? Autant d’interrogations qui attestent à la fois de la complexité et de l’intérêt que doivent se poser le régime actuel.
Il est évident que, dans le contexte socio-économique dont je viens d’évoquer, l’application et l’exercice du droit à l’éducation ne peuvent être ni effectifs, ni équitables. La pauvreté, les contraintes socio-économiques, la dette extérieure et intérieure entre autres, ont donc des conséquences inévitables sur les capacités de l’Etat à assurer l’application et l’exercice strict du droit à l’éducation.
La situation ainsi brossée, quoique non exhaustive, nous interpelle en tant que enseignant et requiert de nous, de l’Etat et de ses partenaires des mesures énergiques et appropriées, à la hauteur des défis à relever.
Raison pour laquelle, je m’aventure à décliner quelques axes essentiels sur lesquels les efforts d’appui au secteur de l’éducation doivent être concentrés :
➢ Le premier axe est l’expansion d’une éducation de qualité. Pour atteindre les objectifs du Millénaire, dont l’éducation est une composante-clé, le Sénégal devra axer ses efforts sur l’élargissement de l’accès à l’éducation, l’amélioration de la qualité de cette éducation et, partant, de la gestion des systèmes éducatifs. ➢ Il s’agit d’une unité de comparabilité. Ainsi, tout indicateur en dessous de 50% exprime une efficacité faible de l’enseignement comme l’a dit M. le ministre Kalidou Diallo, même ya lieu de faire là encore des critiques.
Aussi, au delà des programmes d’alphabétisation à l’endroit des adultes notamment, le souci de démocratiser le droit à l’éducation supposera de trouver les stratégies idoines pour refonder le système éducatif national à travers six axes majeurs dont : • l’introduction des langues nationales dans l’enseignement ; • la réforme des curricula de l’éducation de base. Si la scolarisation en langues nationales contribue, ne serait-ce qu’à faciliter l’accès à l’école pour certains enfants et à diminuer les taux de redoublement et d’abandon scolaire dès les premières années de scolarisation, cela constituerait déjà une mesure jouant en faveur de l’universalisation de l’éducation. Au plan de la réforme des curricula qui nous paraît une nécessité absolue, l’un des objectifs majeurs d’une refonte des systèmes éducatifs consiste à améliorer, d’une part l’accès à l’éducation, d’autre part la qualité et la pertinence des apprentissages. L’objectif est d’améliorer la qualité et la pertinence des apprentissages, en décloisonnant les disciplines et en réinvestissant dans la pratique. D’où l’option pour l’approche par compétences qui permet de rendre les matières plus utiles et donc plus proches des réalités des élèves et des pays et qui favorise mieux l’insertion sociale et économique de tous.
➢ Le deuxième axe est la gouvernance ou le management des systèmes éducatifs. Au-delà de la mobilisation des ressources, les questions de mise en œuvre et, au sens large, de la transformation des ressources mobilisées en résultats éducatifs effectifs (achèvement du primaire pour toute la population et niveau d’apprentissage effectif convenable des élèves) est fondamentalement tributaire de progrès significatifs en matière de gestion.
Cette nouvelle vision de la gestion scolaire peut se décliner selon les quatre objectifs suivants : • promouvoir un leadership engagé et une bonne gouvernance des systèmes éducatifs dédiés à la qualité et aux principes de transparence, de participation et d’équité ; • perfectionner et rationaliser la gestion scolaire en termes d’efficience et d’efficacité en la focalisant sur l’amélioration des processus et des performances des systèmes éducatifs et sur le renforcement des dynamiques locales au niveau des établissements ; • renforcer la mobilisation des ressources latentes et leur utilisation selon un rapport coût-efficacité compatible avec leur transformation en résultats scolaires ; • professionnaliser les personnels enseignants et de direction à tous les niveaux grâce à des dispositifs adéquats de recrutement, de formation, de soutien et de reconnaissance.
En définitive, il ne faut pas se voiler la face ; car malgré les efforts déployés par l’Etat du Sénégal, nous sommes encore loin de pouvoir parvenir à une scolarisation universelle en 2015 et moins d’atteindre la qualité escomptée. Cet article est un diagnostic plus ou moins exhaustif de la situation scolaire au Sénégal et se veut être un cadre de réflexion et d’harmonisation destiné à ceux qui ont en charge la gestion de ce système.
Il faut donc redoubler d’efforts en vue de mettre fin à la sous scolarisation et à la « mal scolarisation » afin de faire véritablement de l’école sénégalaise un instrument au service du développement économique et social du pays.
Pour y arriver, je suis convaincu que seule la mise en synergie des efforts de l’ensemble des acteurs, à tous les niveaux que ce soit, est susceptible d’apporter les réponses appropriées aux défis actuels ; défis qui doivent être entendus, certes en termes d’obtention de ressources (financières, matérielles, humaines) suffisantes, mais aussi en termes de gestion rationnelle de ces ressources ; car, le fait de disposer des ressources suffisantes n’est pas en soi une garantie de performances souhaitables ; encore faut-il être en mesure de transformer ces ressources en résultats scolaires.
Très bonne lecture et bonne rentrée 2009/2010.
Papa Amadou Thiam
Professeur Histoire et de Géographie
thiamadou50@yahoo.fr