comme seule alternative à l’Alternance
« Il faut avoir des rêves suffisamment grands pour ne pas les perdre de vue lorsqu’on voudra les mettre en œuvre » William Faulkner
Il sent, au Sénégal, une odeur pestilentielle de fin de règne. En effet, les atermoiements et les nombreuses voyages (ou fuites ?) dans un contexte difficile révèlent au grand jour que le Chef de l’Etat et ses alliés sont acculés et perdent chaque jour le monopole de la situation nationale. Il est loin l’heure où Abdoulaye Wade, harangueur de foules, alchimiste de l’émergence économique et architecte de promesses mirobolantes faisait miroiter au peuple, dans l’ivresse de la première alternance politique, un avenir meilleur. Une décennie plus tard, le peuple, sous l’emprise de la gueule de bois, constate amèrement la situation calamiteuse dans laquelle ce régime plonge le pays. C’est désormais la « chienlit. »
Le climat politique, économique, social, sportif et culturel désastreux remet l’urgence d’une alternative crédible, populaire et sociale au centre du débat politique et citoyen. D’où la nécessité d’une synergie de toutes les forces progressistes afin de constituer un mouvement social fort et organisé face aux dérives inacceptables du régime actuel. Mais ce mouvement ne peut surgir ex-nihilo, il requiert une forte convergence des acteurs politiques et de la société civile en vue d’établir un programme alternatif soucieux de remettre notre pays du bon coté de l’histoire.
Néanmoins, la voie de la gauche dans cette compétition de réponses aux préoccupations des populations, peine à émerger malgré la pertinence de sa vision politique et la qualité de ses tribuns. Elle semble noyée dans cet océan de bipolarisme que la droite au pouvoir et la droite…dans l’opposition semblent vouloir imposer. Il faudrait fortement combattre cette démocratie cyclique improductive où les mêmes, dans des appareils différents, gèrent le pouvoir de manière continue. Le peuple est « en quête de gauche » comme dirait Jean-Luc Mélenchon car cette opposition dite significative, prise entre les tourments du débat sur une éventuelle et improbable candidature unique, est entrain de commettre trois erreurs majeures.
D’abord, l’unité d’action dans Bennoo Siggil Sénégal qui prend beaucoup plus les airs d’une auberge espagnole car regroupant des organisations qu’historiquement et idéologiquement tout oppose est uniquement dans une logique électoraliste. Et il suffit d’une échéance électorale pour que cette unité de façade vole en éclats. On se rappelle de la désagrégation de la Coalition populaire pour l’alternative (Cpa) à la veille de la présidentielle de 2007, des tensions issues du partage du « gâteau » des dernières locales surtout entre le Ps et l’Afp sans oublier les échanges puérils et indécents entre les jeunes, ces derniers temps, qui propose un avant-goût truculent de 2012.
Ensuite, il y a le manque réel de prise en charge des revendications sociales par cette opposition qui se soucie d’abord de la sempiternelle question du fichier électoral. Diluée dans une solution bourgeoise, la gauche, dans ce regroupement peine à asseoir son identité et à décliner ses valeurs. Elle s éloigne inéluctablement de sa base naturelle constituée par les ouvriers et les paysans. Et cela lui a considérablement porté préjudice par le passé, donc il fallait en tirer toutes les leçons.
Enfin, la troisième erreur est que l’anti-wadisme ne peut constituer à lui seul un programme de gouvernance ; sinon nous risquons de commettre une nouvelle fois l’erreur de mars 2000 où le « Tout sauf Diouf » fut malheureusement le seul élément fédérateur de l’opposition d’alors. Wade boira son petit lait en récupérant toute la mise et la suite est bien connue. Aujourd’hui, le paysage politique a largement changé ; il est plus dense et plus complexe avec des organisations qui se regroupent dans une même opposition, certes, mais avec des motivations différentes. Si certains y sont envoyées par le peuple depuis le 19 mars 2000, d’autres vont les rejoindre plus tard du fait d’une conviction profonde que le régime de Wade ne répondait pas aux aspirations des populations. Mais il y a une autre catégorie de « nouveaux opposants », composée d’anciens « capitulards » dont le navire, secoué par une forte tempête « téléguidée » va inexorablement sombrer dans les eaux profondes et lugubres de la politique ; mais aussi d’hommes puissants et adulés hier, entrés, aujourd’hui, en disgrâce et sacrifiés par le biais d’artifices juridiques sous l’autel des ambitions successorales.
Dans ce contexte, donc, où le Chef de l’Etat annonce une énième candidature (de trop ?) et que les oppositions, elles, tergiversent, la gauche doit cesser de raser les murs, essayer de plus en plus de se singulariser et être une force de propositions pour espérer constituer une alternative crédible en vue des prochaines échéances électorales. Il faut donc que les « camarades » arrêtent de sembler s’excuser d’être de gauche. « Il faut aider la gauche à rester de gauche » pour reprendre la célèbre formule de Roberte Hue. Car après les combats patriotiques pour l’indépendance et ceux pour la consolidation des acquis démocratiques notamment durant l’épisode épique de Mai 68, la lutte pour le parachèvement de cette démocratie et l’édification d’un réel Etat de droit interpelle toujours cette gauche. Il faut donc farouchement se dresser contre la « monarchisation » rampante et la politique anti-sociale d’Abdoulaye Wade. Mais aussi poursuivre le travail d’éducation et d’émancipation des masses populaires et accompagner les luttes sociales aux cotés des ouvriers, des paysans, des handicapés, des femmes, des jeunes et de tous les citoyens épris de justice, de liberté et de progrès. Le climat social délétère du pays et le contexte de crise internationale constituent un cadre propice à la déclinaison du projet politique de gauche comme seul rempart au néolibéralisme dévastateur et comme seule réponse à la hauteur des attentes des masses.
Mais ce projet ambitieux, du fait de la configuration du paysage politique et social et du rapport des forces en présence, aucune organisation de gauche ne peut le porter à elle seule d’où la pertinence des initiatives unitaires au sein de l’opposition. Le Collectif de gauche regroupant six (6) organisations abat un travail considérable dans ce sens. Mais ces unités d’action ne sont guère suffisantes, il faut aller au-delà. Il faut courageusement rompre avec ce que le doyen Alla Kane appelle pertinemment « l’émiettement » de la gauche pour arriver à unir toutes ces organisations progressistes dans un grand parti socialiste, populaire, anticapitaliste et anti-impérialiste afin de constituer une alternative à la droite bourgeoise et réactionnaire aussi bien dans l’opposition que dans la majorité. Une nouvelle initiative vers la Conférence nationale de la gauche est entrain de se décliner timidement mais il faudrait que cette fois elle aille au bout en surpassant les contingences subjectives pour l’émancipation sociale des masses et la libération du peuple sénégalais.
Surtout qu’il ne faut point oublier qu’à l’origine de l’alternance fut un travail courageux, intelligent et de longue haleine entrepris alors par le « Pôle de gauche » regroupant Aj/Pads, Ld/Mpt, Pit…donc un pan de la gauche historique sénégalaise.
Il faut que la gauche rompe, donc, avec ces configurations dans lesquelles elle est réduite à un strict rôle de souteneur. Ces combinaisons n’ont jusque là profité qu’à des partis politiques dont les actes une fois au pouvoir sont en réel déphasage avec leurs engagements d’hier. En outre, elles permettent aussi l’éclosion d’autres Abdoulaye Wade parce que ce model d’homme existe encore dans les salons de l’opposition et ils n’attendent que « l’échelle » de la gauche pour « monter » au Palais loin, très loin du peuple.
Hamidou ANNE
Militant des Jeunesses de Yoonu Askan WI
hamidou_anne@yahoo.fr