SURSAUT REPUBLICAIN
Sursaut républicain
« Pécher par le silence ou la résignation alors que nous devrions protester, nous transforme en lâches », (Ella Wilcox). Ce ‘’sms’’ envoyé à des milliers de Sénégalais a été, pour nombre d’entre eux, l’acte déclencheur d’une prise de conscience constitutionnelle et d’une mobilisation populaire sans précédant dans l’histoire politique du Sénégal. L’objet de la manifestation était claire : la défense de la Constitution et par delà la sauvegarde de la République.
« République couchée », « République abîmée », « République en danger ». Si la République suscite autant de qualificatifs évocateurs, c’est parce que les périls qui la guettent ont atteint des proportions inégalées dans l’histoire de cette jeune République juste vieille de cinquante ans. Dans ces circonstances où la République est mise à rude épreuve, il revient à ses fils les plus dignes d’assurer sa défense en s’érigeant en sentinelles de la République, soubassement de la Liberté et de la Démocratie.
La levée de bouclier suscitée par la loi instituant l’élection d’un ticket Président de la République et Vice-président de la République au suffrage universel direct a permis de mesurer à quel point les Sénégalais étaient attachés à leur pays, à leurs institutions et à leur Démocratie.
Les troubles violents observés sur l’ensemble du pays ne sont que l’expression de l’exaspération du Peuple à l’égard d’un pouvoir honni, plus préoccupé par l’aisance matérielle de ses souteneurs que par l’amélioration qualitative du sort des concitoyens.
« Touche pas à ma Constitution » est devenue le cri de ralliement de tout un peuple. Pour quoi ne pas toucher à la Constitution? Pour éviter que nos enfants ne vivent dans une Monarchie. L’héritage républicain proclamé dans le texte fondamental depuis les premières heures de l’indépendance et fruit des luttes de nos ancêtres est devenu si précieux que sa protection demeure une exigence vitale pour la survie de la Nation.
A l’image de la « jarre percée » si chère aux béninois, le concours de tout un Peuple pour sauver ce qui reste de la République demeure plus que nécessaire pour refuser la disparition programmée de notre bien commun : la République.
Assis sur le parvis de l’Assemblée nationale toute la journée du jeudi 23 juin 2011, sous un soleil torride capable de faire éclore des œufs, les Sénégalais toute appartenance confessionnelle, politique, culturelle ou idéologique ont dit non à ce projet antidémocratique dont l’effet immédiat était d’enterrer la République. La Démocratie repose sur le pouvoir de la majorité. Elire un Chef de l’Etat avec 25% des suffrages exprimés –éliminant de facto le second de la présidentielle- représente l’un des moyens les plus iniques de négation de la volonté populaire.
Les Sénégalais ont compris très vite ce qui se jouait derrière cette réforme. L’érosion du socle de légitimité sur lequel repose toute élection présidentielle démocratique démontre que le Prince est convaincu de son impopularité et de sa plus que probable défaite électorale.
Le Prince donne l’impression de vivre dans un monde clos. Sourd à tout appel, jouant à la provocation, prenant des libertés avec l’Etat et les institutions jusqu’à installé son fils dans les hautes sphères ministérielles, le Chef suprême ne pouvait pas entendre la clameur populaire. Lorsque les courtisans prennent de l’ampleur dans la sphère d’influence du Prince, il y a à craindre pour la qualité de la décision publique. La gestion de l’Etat devient familiale, clanique, voir partisane. Le népotisme est ainsi érigé en mode de gestion d’un Etat déliquescent. Emmuré dans ses certitudes et envahi par des laudateurs du même acabit, le Prince n’entend plus les cris de détresse du Peuple appauvri et ne voit pas son pouvoir lui échapper.
Atteint par la pathologie du pouvoir, le Prince s’évertue à développer des stratégies visant à sa pérennisation car ayant signé un bail de cinquante ans à la tête de l’Etat.
La République, souffreteuse et loqueteuse, est en agonie car le Prince n’est plus au service de l’intérêt général. Sensible aux biens matériels, il serait impliqué dans des transactions douteuses dont les plus caractéristiques sont l’achat de terrain à coup de milliard, générosité inquiétante à l’égard des visiteurs… Tout ceci ne fait que creuser davantage les ressources publiques qui se raréfient. Mais le Prince n’en a cure. Motivé par un désir d’éternité, il lui importe plus de financer une statue de la Renaissance Africaine, un Festival mondial des arts nègres et d’appeler à l’organisation de scènes de danse dans la banlieue que de résoudre la lancinante question de l’électricité.
Dans de telles situations seul le sursaut républicain devient le rempart indispensable pour sauver la citadelle républicaine qui nous appartient tous. Le mot d’ordre est lancé : « Touche pas à ma Constitution », « Y a en marre », « Wade dégage ! », « Non au coup d’Etat constitutionnel », « Boulko lal boulko diegué » (Ni touche pas, ne t’y approche pas), etc.
Les scènes que nous avons vécues ce jeudi mémorable démontrent la Renaissance civique du Peuple Sénégalais. Des jeunes que l’on imaginait pas comprendre les enjeux de la réforme vous expliquent dans le détail les implications du quart bloquant. De vielles dames brandissent fièrement une banderole « Touche pas à ma Constitution » et des jeunes femmes déroulaient une autre banderole « Dafa Doy » (Ca suffit), autant de slogans significatifs démontrant la détermination d’un Peuple uni dans sa diversité pour protéger et défendre l’essentiel, ce qui nous appartient à tous : la République. En effet, derrière la réforme de la Constitution, c’est la République abîmée, agonisant qui allait définitivement être enterré à terme.
La République n’est plus « couchée », elle n’est plus « abîmée », elle est en agonie. La Constitution, norme fondamentale parce que définissant les règles, les valeurs et les principes qui sous-tendent toute République moderne était devenue le jouet du Prince. Soumise à plusieurs modifications, la Constitution a perdu de sa sacralité, de sa valeur et de son intangibilité. Tout le monde se demandait à quoi sert la Constitution. Cette question maintes fois posée par les étudiants de première année de droit et par les simples citoyens mettait mal à l’aise l’universitaire, enseignant en droit constitutionnel que nous sommes. Mais c’était sans compter avec la réaction énergique du Peuple dont la maturité et le sens des responsabilités ont profondément dérouté le Prince dans ses projections et combines politiciennes.
La réaction populaire de ce jeudi 23 juin 2011 commence d’abord par une réappropriation des symboles de la Nation. Manifestation devant l’Assemblée nationale, siège de la représentation et cadre d’expression de la volonté du Peuple. Cette institution dont le rôle a souvent été décrié durant la gouvernance libérale devient, l’instant d’une journée, le lieu de ralliement de tous ceux qui refusent l’enterrement programmé de la République et de la Démocratie.
Deuxième symbole, le drapeau national arboré ou brandit fièrement par les manifestants. D’autres brandissaient une banderole « Touche pas à ma Constitution » ou « Non à la révision ».
Le siège de l’Assemblée nationale, le drapeau national et la Constitution représentent les symboles vivants d’une Nation qui reprend son destin en main et sa souveraineté confisquée.
Cette réappropriation des symboles de la République est le signe d’une renaissance citoyenne où chaque Sénégalais est motivé par le désir de défendre les éléments d’identification de la République. On assiste à la naissance du Patriotisme constitutionnel. Tout le monde parle de la Constitution. Chacun s’émeut du manque de considération du Prince à l’égard du texte fondamental dont il a la charge et l’obligation constitutionnelle de protéger. Le message est clair, les Sénégalais ne veulent plus que l’on tripatouille la Constitution.
Adepte avoué du despotisme éclairé, le Prince ne s’est-il pas donné pour objectif de détruire la République à petit feu. Le verrouillage progressif du système politique, la survalorisation d’un fils dont les compétences ne sont prouvées nulle part et la dose monarchique distillée de manière souterraine et puis flagrante finissent par révéler les véritables ambitions d’un Prince qui « parle en démocrate et agit en monarque » selon les expressions d’un de ses plus proches collaborateurs. Jouer le grand démocrate à Benghazi et vouloir imposer une élection présidentielle à 25% des suffrages finissent par accréditer les instincts monarchistes d’un homme animé par les paradoxes. Libéral proclamé, bâtisseurs d’infrastructures et destructeur d’institutions ! O temps ! O mœurs !
On assiste au crépuscule du Prince, jadis adulé et célébré par son peuple, aujourd’hui rejeté du fait de son incapacité à décrypter les signes qui ouvrent les portes de l’histoire. Ce qui importe au soir du 23 juin ce sont les perspectives du départ qui passent indubitablement par la renonciation à la candidature inconstitutionnelle à la prochaine présidentielle où par l’humiliation du Prince.
Docteur El Hadji Omar Diop
Chargé de cours des universités
Expert consultant
23 juin 2011 : On ne force pas les portes de l’histoire
Jeudi 23 juin 2011. Date-repère, mais surtout date-rupture comme certains jours de mai 68, d’autres de l’an 88 et comme le dimanche 19 mars 2000 qui a consacré l’Alternance politique au Sénégal. Ce jour sera, sans doute, l’un des plus longs de l’année en cours. Il a commencé la veille par un sursaut des consciences violemment heurtées et se prolonge toujours, car la hantise du coup de force n’a pas encore libéré l’esprit du citoyen dont on a voulu, par un tour de prestidigitation, subtiliser la souveraineté.
Hélas, la politique demeure un jeu au sens propre comme au figuré qui, sous nos cieux, s’aggrave d’un manque déplorable de fair-play. Tout compte fait, le projet de loi instituant un ticket président/vice-président figurant déjà dans la Constitution révisée en juin 2009 et présenté comme porteur d’une avancée démocratique parce que soumettant au suffrage universel le poste de vice-président, s’est révélé un ridicule cheval de Troie qui dissimulait des dispositions entraînant la récusation de la parité et la suppression non expresse du second tour.
Toutes les réactions enregistrées, celles des acteurs de la vie politique, majorité présidentielle et opposition confondues, celles des représentants de la société civile, laissent clairement deviner que le projet de loi incriminé et finalement retiré était l’œuvre d’une personne qui a caché ses intentions même à ses proches collaborateurs et à ses alliés. Les multiples amendements et corrections apportés au texte émaillé de fautes attestent bien que la forfaiture est tombée à l’état brut d’un cerveau qui s’est cru infaillible.
Gare au mangeur de feu, gare au charmeur de serpent ! Le jeu finit par tromper celui qui continue de jouer à l’heure où les masques doivent tomber. ‘Julo, fa muy mujje mooy jullootu’, disait mon père.
Le caractère inopportun et liberticide des réformes proposées à la sauvette, à huit mois des joutes présidentielles, a alerté l’opinion générale. Pourquoi modifier et tenter d’imposer les règles du jeu à ses adversaires sans les prévenir en toute loyauté, sans une large concertation avec toutes les parties prenantes ?
La bête politique a commis une bêtise de taille. En laissant entrevoir que le prochain président de la République pourrait être élu non pas par la majorité absolue, mais tout juste par le quart des suffrages exprimés, elle a vivement piqué l’orgueil du peuple. Ainsi celui-ci, d’ordinaire indifférent lorsque les politiciens se disputent, a franchement pris la mouche. Cette fois-ci, c’est vraiment lui qui reçoit un camouflet, c’est lui qu’on veut déposséder de quelque chose de plus précieux que des voix électorales valablement exprimées, frauduleusement détournées et que des municipalités démocratiquement conquises, abusivement confisquées. Alors, il a compris que c’est à lui, et à lui seul, de rendre la gifle magistrale reçue. Il s’est spontanément invité dans la rue, ne répondant qu’à l’appel de sa voix intérieure qui a trouvé un juste écho dans toutes celles qui puisent leurs forces en lui : voix de la jeunesse déçue, à bout d’espoir ; voix neutres des défenseurs des droits humains. Il a investi la Place Soweto avec un mot d’ordre sans équivoque : Touche pas à ma Constitution.
Entre 2001 et 2011, réviser quinze fois la loi fondamentale relève d’un tâtonnement inquiétant. Remettre en question sans cesse le fruit d’un consensus populaire - même si la légitimité de la révision de la Constitution est reconnue à son gardien - n’est-ce pas semer les graines de l’instabilité ?
Il est à retenir que le 23 juin 2011 a été un jour de test. Test du sens des responsabilités et de la détermination du peuple de Ndiadiane Ndiaye lourdement installé sur des valeurs culturelles sûres, accroché à une foi religieuse inébranlable, difficile à mettre debout pour lui faire arpenter des impasses, mais prompt à se lever comme un seul homme et à élever la voix à l’heure du choix. En ce jour mémorable, c’était davantage à l’Autorité de choisir. Elle a fait le seul choix que lui imposait la situation.
Jour de leçons édifiantes pour l’ensemble de la classe politique, le 23 juin est aussi une vitrine ouverte sur l’avenir. Le ‘patriotisme constitutionnel’ est né et ira se consolidant, s’élargissant pour préserver les intérêts du peuple. Composante hétérogène lente à se mobiliser, ce dernier s’est trouvé soudé devant la gravité du défi qui a donné un regain d’efficacité à son action concertée et pacifiquement organisée. Sans les provocations de politiciens de piètre réputation narguant à leurs dépens les manifestants et dont la République doit désormais éviter de s’encombrer, il n’y aurait eu, devant et autour de l’Assemblée nationale, aucune casse, aucun débordement d’une certaine ampleur.
Le 23 juin est enfin un jour de victoire qui réconcilie les Sénégalais avec eux-mêmes, avec leurs croyances profondes aux valeurs humaines de tolérance, de solidarité, de dignité et de probité, avec leurs aspirations inaltérables à la liberté, à l’unité et à la paix. Ainsi la majorité présidentielle, l’opposition et la société civile se sont-elles passé le mot pour conjurer le mauvais sort. Dans chaque camp, les patriotes ont proféré le mot qui sauve. Et ce mot a résonné au sein d’un Parlement en mutation. Non. La suite a donné raison à Barthélémy Dias qui avait martelé : ‘Au nom du président Senghor, au nom du président Mamadou Dia, ce projet de loi ne passera pas.’
Je ne cite pas le jeune leader pour le distinguer parmi la foule de femmes et d’hommes de bonne volonté comme les députés Wack Ly, Mously Diakhate et Me El Hadj Diouf, les citoyens Sidy Lamine Niass, Alioune Tine et Penda Mbow qui n’ont point attendu la chute de la marée haute pour sortir de leur coin de silence complice. Mais seulement parce que son refus de se tapir à l’ombre de son père donne, s’il en était besoin, le bon exemple au fils qui est un réel boulet au pied du président. Celui-ci, en dépit de tout ce qu’on lui reproche, a largement contribué à l’approfondissement de la démocratie et continue de nourrir de grandes ambitions pour le Sénégal. Pourtant, il est en train de dilapider tout son crédit à force d’entreprendre, vaille que vaille, de hisser plus haut un rejeton incapable de s’élever, malgré le cumul de fonctions importantes et le budget faramineux qui lui servent de tremplin.
En route vers le Sommet. Le message caché sous ce slogan, à la veille de la tenue de l’Oci, à Dakar, n’a pas échappé à la perspicacité des observateurs. Cependant, c’est sûrement par un engagement personnel sur le terrain, en côtoyant son peuple, qu’on devient un leader politique charismatique. ‘Donn sa baay, doon sa baay a ko gën.’ El Hadj Bamba Dièye, cet autre jeune responsable qui s’est enchaîné aux grilles de l’Assemblée nationale pour marquer sa désapprobation du projet déloyal, n’a pas besoin de la traduction du sage adage wolof. Abreuvé à la sève culturelle que véhicule sa langue maternelle, il porte fièrement les chaussures de son défunt père, avec la bénédiction des pairs de ce dernier.
Force est d’admettre que jusqu’au lendemain des élections présidentielles de 2007 qu’il a remportées dès le premier tour, Abdoulaye Wade occupait une place enviable dans le cœur de la majorité de ses concitoyens. Ce sont les actes qu’il a posés par la suite et qui seraient presque tous liés au dessein qu’on lui prête de vouloir faire de son fils son successeur qui auraient offusqué ses collaborateurs, découragé ses alliés et désorienté les Sénégalais. Il aurait écarté tous ceux qui pouvaient porter ombrage ou ont refusé de courber l’échine pour servir d’échelle à un garçon qui, aux temps des marches et des courses-poursuites, n’était ni vu ni connu. Si le Pds, à l’issue des consultations municipales de 2009, a perdu la capitale embellie par Pape Diop, c’est parce que les populations concernées ont compris que la mairie était bien leur propriété et non pas celle de celui qui la réclamait comme un jouet qu’on arrache à un orphelin pour en récompenser le caprice de son enfant mignoté.
‘Delloo ma sama yëf’ ! La sénilité a des dehors pathétiques d’enfantillage. Comprenez bien que la vie est un éternel recommencement et que l’adulte, à un âge assez avancé, retourne à l’innocence. Autour du président qui refuse de vieillir, grouillent et grenouillent des activistes qui comprennent cela et en profitent sans honte ni remords. Pour certains, Karim ne serait pas la carte de son père, mais plutôt celle de sadiques intrigants qui attendent la survie ou la promotion d’une hypothétique dévolution monarchique et se positionnent déjà dans le cadre hermétique comme une loge de la Génération du concret qui ronge comme un cancer le parti libéral, dont les structures sont tombées en léthargie depuis 2000.
Mesdames, Messieurs, si vous voulez un jeu de mots qui ait un sens, notez bien ceci : le concret, c’est ce qu’on crée à la sueur de son front, avec, si possible, une dose de géniale inspiration ! Travaillez donc et permettez au président d’aller dormir, la conscience tranquille. Car la récompense de tout Veilleur, en dehors du Bon Dieu, c’est le sommeil paisible. Vingt-six ans d’opposition active et deux mandats constructifs à la magistrature suprême, c’est amplement suffisant pour manifester son attachement indéfectible au pays natal et à l’Afrique qui reprend son destin en main. Après un quart de siècle passé au bagne, Nelson Mandela n’a accepté qu’un mandat à la tête de l’Afrique du Sud. Le pouvoir n’était point son but. Guérir son pays du fléau de l’apartheid, rendre la liberté à son peuple, voilà les deux raisons de son combat qu’atteste sa conduite qui rehausse son image et fait de lui un modèle.
L’opposition peut-elle pousser à la porte le président ? Il est clair que celui-ci ne va pas déclarer qu’il n’est plus candidat aux échéances prochaines car ce serait une façon de discréditer le Conseil constitutionnel qui, sans contrainte, devra se prononcer, le moment venu. La société civile, quant à elle, doit éviter de donner raison aux dubitatifs qui avancent qu’elle n’est qu’une hyène cachée sous une peau de chèvre. Compte tenu du rôle de contre-pouvoir qu’elle est tenue de jouer, en marge des partis qui détiennent ou aspirent au pouvoir, elle se doit d’être prudente. A ce propos, le ‘Mouvement du 23 juin’ constitué au lendemain du jeudi de la victoire oublie-t-il que le seul victorieux est le peuple ? Ne se compromet-il pas déjà, en servant de caisse de résonnance aux revendications d’une opposition empressée de solder ses comptes avec Abdoulaye Wade, dont la candidature aux consultations de 2012 est supposée irrecevable ?
Seul le peuple qui a envoyé un message clair au président, peut encore lui parler. Moi, la vaste oreille indiscrète qui écoute aux portes et aux fenêtres, qui surprend les conversations dans les grands Places, dans les bus et les taxis-clandos et qui décrypte le battement du cœur et du pouls de mes semblables, je l’ai entendu murmurer : ‘Gorgui, ja jëf , Gacce ngaalaama !’ Merci vraiment. Nous n’attendons pas de toi que tu fasses plus que ce tu as déjà accompli. Quelles actions envisages-tu qui soient plus tangibles que tout ce que tu as bâti, les ponts et les échangeurs et les routes qui désenclavent les régions reculées, qui soient plus élevées que le Monument de la Renaissance Africaine mal compris aujourd’hui mais qui hèle le Futur au front duquel s’inscrivent déjà tes initiales, qui soient plus courageuses que les boulevards de la liberté que tu as élargis et que nous arpentons avec nos pancartes et nos brassards rouges ? Au Jour inéluctable du Jugement, chacun devra répondre lui-même de ses actes. C’est pourquoi personne n’a le droit de te dicter ce que tu as à faire. Tu le sais mieux que quiconque. Nous te demandons seulement de le faire à temps.
Et lorsque tu te décideras, garde à l’esprit que tu ne peux faire moins que ton prédécesseur Abdou Diouf qui, à la veille des élections qui l’ont emporté, a nommé un ministre de l’Intérieur sans parti et garanti l’élaboration d’un fichier électoral consensuel. Gagner les élections contre son peuple, c’est la victoire sans lendemain des dictateurs. Les leaders de ta trempe que ressuscitent les statues au cœur des cités belles savent jouer à qui perd gagne !
Le bon sens fait comprendre qu’un Capitaine n’abandonne pas les commandes du navire au cœur de la tempête. En 1988, alors que le pouvoir était pratiquement dans la rue, Abdou Diouf, seul, a négocié avec la tension populaire et le temps est venu à son secours. A cette époque, Abdoulaye Wade, en visionnaire, n’a pas forcé les portes de l’Histoire. Il serait maladroit, voire immoral de profiter de l’euphorie de la victoire d’un jour pour radicaliser des revendications que ne légitiment pas les règles du jeu démocratiques telles que stipulées dans la Constitution que le peuple a préservée d’une seizième révision. Il faut se garder de baliser le chemin de l’avenir qui s’ouvre avec des repères hasardeux.
La prochaine étape de la longue marche du Sénégal vers une démocratie majeure, c’est les élections présidentielles de février 2012. Si, pour y arriver sans heurt, Abdoulaye Wade doit prendre ses responsabilités, toutes les parties prenantes devront faire de même afin que cesse la destruction des biens publics et particuliers, la mise à sac des sociétés et que s’éteignent les incendies. Le peuple qui n’écoute ni la voix des tenants du pouvoir ni celle de leurs contempteurs, reste un arbitre vigilant et impartial qui ne tranchera que pour sa survie dans la paix.
Marouba FALL Professeur de Lettres Modernes E-mail : marouba_fall@yahoo.fr/ fallafall50@yahoo.fr Site perso : http://maroubafall.e-monsite.com
Me Abdoulaye Wade ou la fin de la politique
Abdoulaye Wade est peut-être l’un des derniers grands politiciens de notre ère (grand ou sinistre, selon que l’on apprécie ou déprécie l’homme). Dans tous les cas, il fait figure de dernier des mohicans dans le monde de la politique politicienne. Une boutade récemment entendue de la bouche d’une citoyenne sénégalaise disait que la disparition de Wade marquera la fin de la politique au Sénégal. Au-delà de l’anecdote, c’est l’hypothèse même de l’expiration historique de la pratique politicienne qui se trouve ici avancée.
L’histoire du monde est faite d’inspiration et d’expiration. Elle tangue entre la vie et la mort, le commencement et la fin. Il arrive des moments où la politique atteint son apogée. Alors, on assiste à un phénomène de la politique totale, elle devient alors omniprésente, populaire et vulgaire. C’est le cas au Sénégal depuis l’apparition politique d’Abdoulaye Wade en 1974. Il n’est pas le père de l’opposition politique au Sénégal, d’autres comme Mamadou Dia, Valdiodio Ndiaye, Majmout Diop, Abdoulaye Ly et Tidiane Baïdi Ly ont connu la répression la plus cynique à l’époque de la ‘terreur senghorienne’. Mais la particularité de l’homme Wade, c’est qu’il a eu la malheureuse tâche d’inscrire la vulgarité dans la pratique politique au Sénégal. Wade a privatisé la politique, il l’a personnalisée. Avant lui, la politique était une affaire publique, une affaire de raison et de foi.
Abdoulaye Wade a une démarche florentine. Il n’a certainement pas lu Machiavel au second degré, il l’a appris à la lettre, c’est-à-dire au premier degré. Nicholas Machiavel est un penseur politique difficile. Une compréhension littérale de son texte, Le Prince, peut provoquer des dégâts incommensurables. Les notions de vertu et de fortune qui traversent l’œuvre sont les deux concepts- clés sans lesquels le penseur florentin ne peut être compris. Malheureusement, le sens commun et la plupart des politiciens n’ont retenu de Machiavel que la formule : ‘La fin justifie les moyens’. Il est étonnant et fort juste d’entendre le chantre de la démocratie Jean Jacques Rousseau affirmer que ’Machiavel est le premier des républicains’. Cela veut dire que beaucoup n’ont pas compris Machiavel. D’ailleurs, l’adjectif machiavélique est plus usité que le mot machiavélien qui est plus approprié pour décrire l’œuvre du penseur florentin.
Wade est du versant machiavélique, il en maîtrise la pratique fondée sur une lecture littéraliste qui frise même le talent. Wade est talentueux. Oui ! Il a le talent d’être populiste et ordinaire. Il ne cherche que l’efficacité, c’est pourquoi il n’a pas l’étoffe d’un grand homme. Wade est incapable de poser un acte politique à fondement moral. Il consomme et pratique l’art de la politique au-dessous de la ceinture, il a bu le calice de la politique jusqu’à la lie.
Lorsque les formules machiavéliennes du genre : ‘La fin justifie les moyens’, ‘Il faut à la fois être loup et renard’, ’Mieux vaut être craint que d’être aimé’ tombent dans l’oreille de politiciens incultes ou malintentionnés, c’est la voie ouverte à toutes les formes de pratiques dignes des époques de barbarie. C’est aussi le règne des rats. Avec Wade, c’est le règne des rats.
Me Abdoulaye Wade est un bretteur politique redoutable capable par moments de grande communication. Ses opposants ’républicains’ n’ont pas compris que la politique est une autre manière de pratiquer l’art de la guerre.Tout le monde se souvient de la fameuse audience Wade, Idy et Junior au palais.Ce fut un moment de grande manipulation politique. Il aurait fallu convoquer la ’sémiologie politique’ pour analyser les signes de ce grand moment de tragédie politique au sens théâtral du mot. Wade fermera les portes de la tragédie politique sénégalaise et c’est tant mieux. Vivement l’ère des grandes figures savantes, économiques, religieuses et artistiques. La fin de la politique (pas du politique) permettra d’ouvrir les vannes de la créativité sans laquelle aucune forme de développement n’est possible. Le déficit d’imagination morale chez nos dirigeants politiques peut mettre fin à la politique. C’est la faculté d’inventer des schèmes moraux qui fait vivre le politique et l’empêche de mourir. Nos hommes politiques en sont dépourvus pour la plupart. C’est le drame de la politique au Sénégal.
Avec Wade, la politique devient narcissique. Lorsque la politique ne se donne autre fin qu’elle-même, elle devient monstrueuse et inutile. C’est le grand handicap de Wade, il a un rapport jouissif et ludique avec l’objet politique : Wade est un amoureux de la politique. Les grands hommes politiques ont marqué l’histoire par une certaine désinvolture vis-à-vis de la politique. C’est le cas de Mandela. Cette distanciation morale, Abdoulaye Wade n’en a pas les moyens. Il a oublié que le leadership et le charisme sont, avant tout, spirituels.
Nous allons peut-être vers une période d’apathie politique avec l’affaiblissement progressif des appareils traditionnels qui organisent l’action politique au Sénégal. Cette volonté de s’éloigner des partis politiques qui transparaît dans le discours de certains candidats à la magistrature suprême, est un symptôme entre autres, non pas de la fin des partis politiques, mais de leur anomie progressive puisque Abdoulaye Wade a donné le coup de grâce à la politique en créant ce qu’il y a de plus exécrable, c’est-à-dire un parti politique maison, un parti politique familiale.
Khalifa TOURE lanalyste.com