Rien que la vérité
Respectez la vérité, Monsieur le Président, personne n’a insulté le Sénégal !
Maître Abdoulaye Wade, président de la République, a imaginé et mis en œuvre une tentative d’intimidation qui n’aurait jamais dû être son comportement. La scène a été particulièrement spectaculaire, les propos violents, dans un domaine, la diplomatie, où l’art des modalités convenues pour dire les choses écarte la violence, l’indélicatesse, le geste théâtral appuyant des propos d’une colère qui fait oublier la décence, le respect mutuel, la mesure, l’exigence d’échanges courtois.
Il y a eu un excès sans exemple de l’inattendu dans la communication d’un chef d’Etat, le nôtre, avec l’ambassadeur représentant un pays ami du Sénégal, les Etats Unis d’Amérique : une audience médiatisée à outrance ; fait inhabituel, les propos du chef de l’Etat recevant une personnalité étrangère sont entendus de manière directe et non en des mots de compte rendu. La colère des mots et des gestes ont figuré un lynchage médiatique digne d’un maître à la pédagogie moyenâgeuse, faite de coups de verges et de cris, pour corriger selon son tempérament d’homme excessif, un écolier qui s’est mal conduit. Le scandale a été vraiment grand !
Et pourquoi tant de colère ? Comme si personne n’avait le droit de dire la vérité sur la gestion du Sénégal ! Il ne s’agit pas assurément d’un problème d’immixtion dans nos affaires intérieures. L’ambassadeur d’un pays ami qui aide le Sénégal est dans sa mission lorsqu’il précise que l’utilisation de l’argent du contribuable de son pays, prêté au Sénégal, doit être effectuée de manière efficace pour la solution des problèmes de développement à résoudre, c’est-à-dire avec honnêteté, loin de la corruption qui, naturellement, ne fait pas le développement. Il est également dans sa mission lorsqu’il recommande de continuer de faire des efforts pour éradiquer la corruption. Bien formée comme diplomate, Madame l’ambassadeur des USA à Dakar a fait preuve de beaucoup de délicatesse ; elle a écrit avec retenue et finesse des recommandations de sagesse qui honore sa mission et respectent le pays aidé. Les faits de corruption sont là, nombreux, qui auraient pu être révélés encore une fois, sous sa plume aussi, après celles d’hommes des médias dont les investigations ont mis à nu les prédations qui illustrent le mauvais usage des ressources publiques de notre pays. Que de livres écrits sur, entre autres questions, celle de la corruption, étalant des chiffres qui n’ont jamais été réfutés, le contrôle de gestion, par ailleurs, ayant été sélectivement refusé.
Mais alors, qu’est-ce qui fonde la colère du président Wade et le lynchage médiatique particulièrement spectaculaire par lequel il a réagi à des recommandations de sagesse pour une gestion honnête de fonds prêtés ? Wade, qu’il en soit conscient ou pas, a agi, face à un ambassadeur, comme dans le cadre de son espace d’exercice de son autorité, où il règne sur un monde qui ne discute pas avec lui mais accepte tout de lui. L’autorité qui est la sienne est celle, à la fois, d’un chef de parti, et d’un chef d’Etat. Ces deux chefs ont des espaces de communication dont les règles, qu’il en soit conscient ou non, sont distinctes. L’espace diplomatique de contact avec les ambassadeurs, qui sont aussi respectables que les chefs d’Etat qu’ils représentent, est tout à fait différent de l’univers d’exercice de l’autorité du chef de l’Etat, ici son bureau, également lieu des audiences sans distinction ; or ce lieu abrite des rapports de domination et éventuellement de brutalité selon la culture du chef et le degré de docilité du monde qu’il s’est construit. Sa cour l’a déconnecté de la réalité. Il se croit tout permis et ne fait pas la distinction entre les Sénégalais qui lui sont soumis, ayant été choisis par lui à cette fin, et les personnalités étrangères qui sont là pour une mission honorable. Se défouler sur ce genre d’émissaire manque d’élégance, ce que n’excuse pas la colère, alors que la hauteur aurait consisté à éviter de traiter avec rudesse une personnalité de rang distinct de celui d’un chef d’Etat et qui a sa dignité propre, qu’un chef d’Etat doit respecter sous peine de montrer une roture qui ne sied guère au comportement de celui qui incarne tout un Etat.
Le Sénégal de la teranga, du sentiment de l’honneur bien compris, connait bien les usages d’une diplomatie honorable. Nous avons, depuis cinquante ans, des diplomates bien formés qui ont servi avec efficacité, parce que dans les règles de l’art, le Sénégal de Léopold Sédar Senghor et d’Abdou Diouf, des chefs d’Etat qui savaient faire travailler les diplomates.
Abdoulaye Wade en colère déclare qu’il ne permettra plus qu’on insulte le Sénégal ! Qu’a-t-on dit qui ressemble à une insulte ? Qu’il faut que le gouvernement continue de lutter contre la corruption. Madame l’ambassadeur des Etats Unis d’Amérique a de l’éducation et beaucoup de délicatesse. Elle avait la possibilité de citer beaucoup de dossiers de mauvaise gestion et montrer de manière très clairement détaillée pourquoi l’aide reçue au Sénégal n’ a pas eu l’efficacité souhaitable. Elle s’en est tenue à la bonne qualité de communication qui consiste à dire ce qu’il faut dire sans intention d’humilier qui que ce soit. Elle n’a pas insulté le Sénégal. Elle a servi à la fois les Etats Unis d’Amérique, son pays, et le Sénégal que son pays aide. Elle a su rester dans sa mission.
L’aide pour le développement, ce sont à la fois des crédits et la vigilance sur leur utilisation pour que les objectifs visés soient atteints. C’est pourquoi, tout partenaire au développement qui, généreusement, donne de l’argent comme aide au développement et dit aux autorités de l’Etat aidé « Faites en ce que vous voulez », est, qu’il le sache ou non, un tentateur qui ne se soucie pas de lutte contre la corruption. Faciliter les procédures n’a rien à voir avec un tel laxisme qui favorise les prédateurs très à l’aise dans la gestion opaque. Il servirait mieux son pays et le Sénégal, le pays aidé, s’il faisait preuve de vigilance sur l’utilisation effective de l’aide. Cette vigilance signifie la conscience d’un devoir d’honnêteté, le respect des deux Etats partenaires au développement qui décident de coopérer pour des résultats concrets.
Voilà pourquoi la mauvaise comédie jouée par le président Abdoulaye Wade à Madame l’ambassadeur des Etats Unis d’Amérique, Madame Marcia Bersicat, ne pourrait tromper que ceux qui ignorent, faute d’informations par la presse du Sénégal surtout, la réalité de la corruption et des scandales financiers dans la gestion du Sénégal depuis ces dix dernières années. Wade ne peut pas imposer le silence sur les faits de corruptions et continuer de gérer comme il le fait depuis dix ans. Il a choisi de tenter d’intimider les représentants des pays qui aident le Sénégal le plus massivement et a commencé par celui des Etats Unis d’Amérique, qui sont très méthodiques et déterminés dans la lutte contre la corruption dans le monde. S’il réussit à obtenir un silence comme celui qui a, en définitive, suivi l’affaire Alex Segura, il pourra espérer avoir assez intimidé pour continuer de faire de l’aide qui est destiné aux efforts du Sénégal pour son développement, ce bon lui semble.
Il ne faudra pas qu’un tel silence soit obtenu par la technique du crier haut et fort contre la vigilance sur les faits de corruption et demander pardon tout bas. Le problème est suffisamment grave pour requérir du suivi et éviter de banaliser les tentatives indécentes de défendre des pratiques de corruption. Les milliards mal acquis de chefs d’Etat africains, sans argent avant leur élection et très rapidement riches comme Crésus proviennent de pratiques qui bloquent le développement. Les tentatives d’intimidations ne doivent pas réussir. L’intérêt des populations exige cette résistance.
• Madior DIOUF
• Secrétaire général du Rassemblement National Démocratique (RND)