le 1er journaliste
Wade, le 1er journaliste
Entre Wade et la presse c’est une vieille histoire d’Amour. Car, tantôt elle est teintée de grâce et de soutien idylliques, tantôt faite de trahison, coup bas et crime (de la plume) passionnel. Pour mieux cerner les rapports de Wade souvent heurtées avec la Presse, il faut jeter un coup d’œil sur le rétroviseur. Nous sommes dans les années 70-80.Les relations entre le Pape du Sopi (Changement en wolof) et la presse datent du temps des années de braise du Parti démocratique sénégalais (Pds). A cette époque, les publications se comptaient sur les doigts de la main. Très tôt, Wade a compris l’importance d’investir dans et la Presse, voyant en elle, un moyen de remporter la bataille de l’opinion et de quitter un point (Point E) pour un autre « P », la Présidence de la République.
Surtout que les activités de son parti et ceux de l’opposition de manière générale souffraient beaucoup du manque de relais pour sa dissémination et sa diffusion à travers les différents supports de masse existants à l’époque (le quotidien le Soleil pour la presse écrite, Radio Sénégal) ou l’Orts (télé). Déjà victime d’un black out dans le cadre de la couverture de ses activités, Wade va boire le calice jusqu’à sa lie, quand arriva la scission-démission de son ex protégé Professeur Serigne Diop (actuel Médiateur de la République). Ce dernier, « monté » par le régime socialiste selon ses ex- frères de parti qui voyait dans sa fronde au PDS et sa défiance à sa « seule constante », Me Wade, la main invisible, politicienne et corruptrice du PS (parti socialiste,). Là où, l’intéressé dénonçait un manque de démocratie à l’interne et une déviation du Pds, de sa ligne idéologique (démocratie-libérale). Très futé, très rusé et très bégayé à l’époque, le Pr Sergine Diop exclut Wade du Pds et s’autoproclame Secrétaire général du PDS.
Face à une question politique, Wade, né lors de la première pluie, déplace le jeu et donne une réponse juridique en assignant devant la Cour, son ancien poulain, pour usurpation. Wade gagne la première manche et obtient gain de cause. Mais la guéguerre est loin de livrer ses coups fourrés. En signifiant au Pr Serigne Diop que le sigle PDS était déjà enregistré sous le nom d’Abdoulaye Wade, la Justice donne au premier les moyens de faire à Wade encore plus mal, en demandant au Pr Sergine Diop d’adjoindre à son PDS, un signe distinctif. Le Pr Diop maintient le noyau dur de ce qui est gras du bœuf (PDS) et le « slash » en R. Coup de massue pour Wade. Le Pds venait d’être rénové par Serigne Diop pour devenir PDS/R (Rénovation).
Jamais acte politique n’a fait aussi mal à Wade, y compris ses fréquents aller-retour à la prison de Reubeuss. Jouant le jeu de la nouvelle recrue de la proche opposition au pouvoir PS, le quotidien national « le Soleil »- qui ne brille plus depuis un certain temps-, la radio et télévision nationales, véritables monopoles du pouvoir, ont fait la promotion et la publicité du nouveau parti se réclamant du Pds original, en passant en boucle ses communiqués de presse et lui réservant une couverture médiatique bien au-delà de son poids politique et électoral. Le tout, pour énerver, irriter, affaiblir et rayer Wade. Non, il fallait voir Wade à cette époque, dépité et dégouté de la politique. Il avait même mijoté de se retirer de la politique et de ne plus se battre tant que Serigne Diop n’aura pas déposé sur terre « son » Pds, fut-il rénové.
Ainsi, comprenant que sa longue lutte politique ( devenue maintenant l’Alternance)qui doit le porter à la tête de l’Etat passe aussi par une conquête de l’opinion, Wade créa tout à tour « le Démocrate », un genre de bulletin interne à tirage très confidentiel, destiné à une certaine élite dans les années 70, « Takussan », la première expérience de presse privée grandeur - nature de Wade et plus tard, le « Sopi », le journal de campagne du Pds et de toute l’opposition clandestine comme celle de gauche pour le combat politique dans la conscientisation des masses. Nous sommes en 1988.
En 2005, Quand Wade faisait la leçon aux journalistes en déclarant : « je suis le premier journaliste dans ce pays (sic) », il fait allusion au journal « Takussan » qu’il avait créé. Et il a raison. Sauf qu’à réajuster ses propos dû peut être à son âge, en disant qu’il est le premier patron de presse privé à 100 francs Cfa.
Ainsi, précurseur de la presse privée et de la presse libre et indépendante en étant le premier à commercialiser un journal à 100 francs Cfa, Wade s’estime dans son fort intérieur que lui, avocat de métier, a beaucoup fait pour la profession de journalisme et les journalistes passent tout leurs temps, au goût de Wade, à l’attaquer sur tous les fronts, à faire le jeu de l’opposition et d’une certaine manière, celui de la société civile. Voilà la lecture renversée qu’on peut se faire de l’expression de Wade « je suis le premier journaliste dans ce pays ».
De l’autre côté, « Une certaine presse » aussi, estimant qu’elle a été un élément déterminant dans l’achèvement du régime socialiste et l’avènement de l’Alternance, réclame sa part de « l’Alternoce ». Ne voyant rien venir, « cette certaine presse » procède aux vieilles méthodes Léopold Sédar Senghor face à Cheikh Anta Diop : le vilipandage. Dès lors, pas de répit pour l’ex soldat (opposant) Wade devenu Général (président de la République). Ce dernier, opposant dans l’âme (un opposant au pouvoir ?) ouvre les hostilités contre ce qu’il nomme « Une certaine presse ».
Dans un premier temps, il encourage ses lieux-tenants à créer des journaux et des radios. Ainsi, Farba Senghor créa sa radio (Anur Fm) et son propre journal quotidien (Express news). A Pape Diop, Président du Sénat, déjà initiateur de la de Radio Municipale de Dakar (Rmd), on lui prête la paternité de la radio « Océan Fm ». Macky Sall, son ex n°2 devenu opposant, serait l’ex propriétaire de la radio Sen Info qui n’émet plus. Moins(ou pas du tout ?) coloré politiquement, son ex Ministre des affaires étrangères, Cheikh Tidiane Gadio, tentent de faire converger les différents points de vue à travers sa radio….. Convergence Fm.
Après les hommes d’affaires dans les années 1990 à 2000, les hommes politiques investissent le champ de la presse et la bataille de l’opinion se fait par presse interposée. C’est le nouvel ordre de l’information au Sénégal. Au plus fort moment de ses rapports heurtés avec la presse, Wade déclare qu’il ne s’adressera plus à la presse privée nationale de manière interactive et interpersonnelle. Désormais, Wade se contente à son mieux de balancer des communiqués de presse. Avant de revenir à de meilleurs sentiments. Wade et la Presse, c’est aussi l’instrumentalisation à outrance de la Division des Investigations criminelles (DIC) qui normalement, ne devrait connaitre que des affaires relevant du pénal (crime, délit et contravention) est l’épée de Damoclès qui plane au dessus de la tête des journalistes, qui sont souvent accusés de diffamation qui relève du tribunal Civil.
Et pourtant, les prémices de ce « mortal combat » entre Wade et ce qu’il qualifie « Une certaine presse », celle qui fouine et qui va plus loin que ce qui est apparent, était prévisible depuis un certain….. mai 2000, à la Présidence de la République. Ce jour là, Wade faisait sa toute première sortie publique au lendemain de sa victoire de 2000. Avec comme initiateur et présentateur, Me Mame Adama Guèye, actuel Bâtonnier de l’ordre des Avocats, en son temps président Forum civil et plus tard candidat à la succession de Me Wade en 2007 , le président Wade, lors de cette conférence-débat public national, avait rabroué comme c’est pas possible le journaliste-politologue Babacar Justin Ndiaye, juste pour une question, ou du moins , une piste de sortie de crise que ce dernier avait donné sur le dossier de la Casamance, qui rappelle toujours à Wade à son bon souvenir… Seulement, avec l’euphorie de l’Alternance, personne n’a pu décrypter l’emportement injustifié et démesuré de Wade. Le ton était donné pour une Presse en ordre.
Wade n’a jamais aimé aborder les questions qui fâchent. A chaque fois qu’il est dos au mur, soit il boude, soit il joue le sophiste (convaincre sans avoir raison). Et son dernier boycott et levée de séance prématurée lors de son dernier face à face avec la presse, suite à une question sur « l’affaire Ségura » illustre bien que le soldat Wade oublie souvent en Politique comme à la Guerre, on ne doit jamais fuir devant les balles ( questions) de l’ennemi ? ( presse). Quitte à mourir (parler), les armes (les réponses) à la main (la bouche). Car Senghor, du haut des cieux, tonne et chantonne qu’un soldat, on le tue mais on ne le déshonore pas.
Ou du moins, le soldat Wade, recruté par l’armée (le peuple sénégalais) estime qu’ « Une certaine presse » ne vaut pas qu’il se fasse fusillé en pleine bataille médiatique et refuse de se battre en boudant une conférence de presse et en esquivant une question), mais préfère comme ces GI’s (ces militaires américains qui ne se battent jamais chez eux) se battre hors du territoire national, en réservant la primeur de ces déclarations tonitruantes- avec à la clé une disponibilité sans commune mesure- aux journalistes occidentaux et américains. Moralité : On peut être le plus diplômé du Cap Vert au Cap de Bonne Espérance et être à court de réponses.
Mohamadou SY « Siré »
EMAIL : siresy@gmail.com
Journaliste économique et financier/ Conseiller en Intelligence Economique