Comment faire des televisions sénégalaises le
Le paysage télévisuel sénégalais a beaucoup évolué ces dernières années. La chaîne publique RTS1 n’est plus seule. Des chaînes privées telles que WalfTV, 2STV, RDV et Canal Info occupent désormais l’espace audiovisuel. Cependant toutes ces télévisions doivent satisfaire aux exigences de plus en plus aigues des téléspectateurs sénégalais. Ceux-ci souhaitent qu’elles soient leur « miroir ». Ce qui reste trop souvent un vœu pieux.
Alors comment y parvenir ?
La seule manière d’avoir des programmes télévisuels adaptés aux réalités sénégalaises, c’est de mettre de l’argent dans des productions qui reflètent la diversité des cultures du pays. La télévision est aujourd’hui le premier moyen d’accès à la culture et de transmission de valeurs collectives.
D’où l’importance de constituer très vite une véritable production audiovisuelle sénégalaise, à travers des chaînes mieux financées, capables de porter le développement du cinéma, de l’information, des œuvres musicales et de l’économie nationale. Par exemple : la télévision peut promouvoir l’invention d’un nouveau genre de dessin animé qui exploite l’univers de nos contes et légendes.
Cette production sénégalaise peut être traduite, en français, en anglais, en espagnol pour plusieurs marchés, elle peut trouver des débouchés démultipliés dans tous les pays du monde où résident des émigrés sénégalais. C’est ainsi que s’enclenchera le cercle vertueux du financement de l’audiovisuel sénégalais.
Même si leurs moyens sont plus limités, les chaînes de télévision sénégalaises se livrent une concurrence rude alors qu’elles doivent coopérer pour développer le paysage audiovisuel sénégalais. En effet, elles peuvent ériger une banque de programmes et créer une structure qui apporte également une assistance technique aux différentes chaînes.
C’est une coopération de ce type qu’il faut penser et qu’il faut dynamiser et non une coopération ponctuelle sur la couverture d’événements sportifs comme les combats de lutte avec frappe. C’est peut être de l’utopie mais je crois que nos chaînes doivent entrer dans une logique de partenariat. Il faut qu’elles aient une capacité interne pour savoir sur quoi va porter cette coopération. Si elles définissent les objectifs auxquels elles veulent parvenir ensemble, alors elles s’inscriront dans une logique de coopération. Par exemple, une convention peut s’établir autour de la production de téléfilms, de documentaires et de la formation au numérique.
Définir des règles du jeu claires
Il faut aussi tirer la sonnette d’alarme sur certaines manières de faire de la télévision au Sénégal. Ce n’est pas parce qu’on dispose d’une caméra, qu’on doit filmer n’importe qui, n’importe comment, n’importe quoi. On ne doit pas se permettre de montrer n’importe quoi sur n’importe qui, surtout du point de vue privé. Il y a des règles à respecter. On est libre de montrer ce qu’on veut, mais les autres aussi sont libres de ne pas être satisfaits, de saisir la justice s’ils le jugent nécessaire.
Il faut mettre en place des dispositions claires pour régir la communication audiovisuelle dans ce pays, voter une loi qui fixe les règles de l’audiovisuel ; les droits et les devoirs des télédiffuseurs ; des mesures anti-concentration, des règles relatives à la publicité, au financement, au contenu avec de réels pouvoirs de sanction pour le CNRA (Conseil National de Régulation de l’Audiovisuel). J’ai du mal à faire le discernement dans les programmes que proposent la RTS1, la 2STV, RDV, Canal Info News et WalfTV.
En examinant ce qui devait faire la spécificité de ces cinq chaînes, je me rends compte qu’elles se sont détournées de leur véritable vocation. La RTS1 assure plus de services pour l’Etat que pour le public sénégalais. Le caractère culturel de la 2STV n’apparait pas bien dans ses programmes. Comme les informations en tous genres qu’elle diffuse commencent à lasser son public, Canal Info News cherche à faire comme les chaînes généralistes. A RDV, ce sont les séries sud américaines et américaines qui font la loi au détriment des fictions nationales. Quant à Walf TV, les talk show y prennent trop de place. Il est important que chaque chaîne respecte son cahier des charges. Chacun doit jouer son rôle et l’Etat devrait promouvoir ce cadre de jeu et fixer les règles de jeu pour ne pas à créer des tensions.
Produire des programmes de qualité
A la télévision, l’outil de la communication est le moyen d’action le plus important. C’est un secteur économique comme tous les autres, parmi ces outils, nous avons : Le contenu : c’est le savoir faire, les fabrications de programme, élément essentiel permettant de valoriser les hommes qui cogitent pour fructifier l’intelligence.
Lorsque l’on observe le paysage audiovisuel tel qu’il s’est constitué puis a évolué au cours de ces quatre dernières années, on est d’abord frappé par une constante : la mauvaise qualité des programmes.
On s’est précipité pour créer des chaînes de télévision sans bien préparer leurs contenus. On cède trop à la facilité en ce qui concerne les programmes diffusées, au détriment de la qualité.
La neutralité de certains programmes de télévision est discutable. Elle participe autant à la désinformation qu’à l’information des téléspectateurs. Certaines chaînes de télévision sénégalaises propagent la vulgarité et le voyeurisme, notamment dans les émissions de téléréalité.
Lorsqu’on propose une émission au public, on doit s’assurer que celle-ci a été techniquement bien enregistrée et bien montée. Ce qui n’est pas souvent le cas. On doit arrêter de faire des émissions qui ne respectent aucun format télévisuel. Par exemple les émissions qui tirent en longueur et ne retiennent l’attention de personne. C’est le cas de certains journaux télévisuels. La RTS doit arrêter de montrer des émissions où le pouvoir est omniprésent ; exit les JT du soir de la RTS1 ; exit la présence du DG de Walf TV dans certains programmes de sa télé, exit les journaux télévisés de WalTV qui ressemblent à des journaux parlés. Il ne faut pas confondre la radio et la télé. Lorsqu’on choisit de faire de la télé, on doit respecter les règles de production et de diffusion d’une télévision.
La série télé sur l’imam Ali diffusée sur RDV pendant le ramadan méritait un vrai doublage des voix des acteurs en wolof. C’est trop facile et trop ennuyeux de prendre un spécialiste en arabe qui répète en wolof les dialogues de tous les acteurs à lui tout seul. Dans le même ordre d’idées, Xew xew demb, l’émission de la RTS1 sur l’histoire du Sénégal devrait contenir plus d’images d’archives et de documents de reportage visuels. Il faut diminuer les bavardages et les éléments qui ressemblent trop à des sujets radiophoniques. Il faut aussi concevoir des décors de plateaux de télévision qui utilisent des matériaux autres que le bois et qui sont adaptés à nos réalités. Ces décors doivent aussi respecter les normes de conception d’un plateau télé. Le plateau d’un JT n’est pas un salon où la présentatrice est assise sur son trône comme l’a conçu RDV.
Pour un financement par la redevance et la publicité
Pour promouvoir une télévision de qualité au Sénégal, il faut aussi faire des choix. Mettre fin à la tyrannie de l’audimat et laisser le champ libre à une programmation plus exigeante et plus créative. Donner des ressources au service public en mettant en place une vraie redevance télé et permettre aux télés privées de se développer grâce à la publicité.
Produire des émissions coûte cher. Sans argent, pas de création possible. Les élites politiques et économiques sénégalaises sont d’accord pour affirmer que développer des industries énergétiques ou aéroportuaires réclame des investissements importants. Curieusement, elles oublient la télévision dans leur discours.
Une télévision publique comme la RTS où 80 pour cent du budget de fonctionnement provient de la publicité, ne peut pas correctement assurer sa mission de service public. Elle mise sur la sponsorisation des événements sportifs et des séries américaines et sud américaines pour exister. Si la RTS n’est pas financée par une redevance, le public qui l’a délaissé pour aller sur les chaînes privées ne reviendra pas. La télévision publique a pour vocation le grand public dans toute sa diversité. C’est pourquoi il lui faut plusieurs chaînes. Des chaînes régionales. Le financement des chaînes privées par la publicité n’est peut être pas la solution miracle, mais la publicité, c’est la vie. Elle peut soutenir des productions de qualité.
Que ce soit la redevance ou la publicité, comment ne pas adhérer à cette recherche de qualité ?
Une télévision de qualité est une télévision respectueuse des gens. Ne pas considérer le spectateur comme un consommateur béat qui avale tout, pourvu que le produit soit séduisant ! Respecter ceux que l’on filme, tout particulièrement les personnes en situation de fragilité, ne jamais se servir d’eux
Qu’on soit une télé privée ou publique, la télévision appartient aux citoyens. Le nécessaire orgueil de ceux qui font la télévision Dans un univers d’âpre concurrence entre les chaînes, la qualité implique une certaine combativité de la part des patrons de télé. Actuellement, on cherche à minimiser les risques, à se “border” en employant toujours les mêmes recettes, les mêmes animateurs… Or la qualité vient justement de la prise de risque.
Comment juger qu’une émission répond à ces critères et, rencontre un écho positif auprès du public ? Si l’on regarde les émissions passées ou présentes, les exemples sont simples à trouver, Regardez Zoom sur, de la RTS, c’était l’émission de télé que les téléspectateurs ne rataient pas : avec des sujets qui cultivent, qui éveillent la curiosité sans jamais ennuyer, ce qui est fondamental. Regardez aussi, plus près de nous, les dramatiques de Daray kocc ou Bara Yeggo elles remplissent exactement la même fonction !
Vous ne pouvez faire en 2010, les émissions des années 80 ou 90. C’est exactement comme la presse écrite qui change de look régulièrement afin de séduire les lecteurs. En revanche, je m’insurge quand j’entends dire que des sujets comme l’histoire ou la littérature sont dépassés et n’intéressent plus le téléspectateur moderne. Rien n’est dépassé si la manière de le traiter est innovante et intelligente ! Ces réflexions sur la qualité ne datent pas d’hier.
Changement de contexte économique
Prendre le passé pour modèle semble à la fois inévitable et handicapant, d’autant que le contexte économique a radicalement changé : concurrence entre les chaînes, bras de fer entre les organes de régulation tels que l’ARTP ou le CNRA et les chaînes.
Cette ouverture à la concurrence a sonné le glas d’une certaine qualité. Dans l’audiovisuel, le marché ne va pas dans le sens de l’amélioration du “produit”, au contraire il entraîne une consommation facile et immédiate qui tire les choses vers le bas.
Je n’aspire pas pour autant à un retour à une « qualité made in ORTS ». Je crains un repli vers un classicisme académique, appliqué aux seuls genres nobles comme la fiction. Or la qualité doit être créative, en prise avec notre époque. Toutes les émissions sont concernées : les jeux, les talk show, les magazines, les documentaires, les émissions de variétés et de télé-réalité méritent aussi qu’on les “soigne”.
L’information se porte mal sur les chaînes commerciales : les magazines, les documentaires y sont moins nombreux que sur les chaînes publiques. Les fictions, les jeux, les dessins animés et programmes pour enfants typiquement sénégalais n’y existent pas. Parce qu’elle s’adresse à un public populaire, la télévision doit jouer son rôle d’éducation culturelle. Là, on doit innover. Dans ce domaine, comme dans celui de la distraction, si la créativité ne prend pas le pouvoir et si les moyens manquent, les meilleurs acteurs partiront. C’est pourquoi je plaide pour le lancement d’« ateliers de création capables de découvrir les talents de demain, ouverts aux jeunes qui souhaitent se diriger vers le secteur audiovisuel.
Des programmes divers pour des publics différents
En dépit des contraintes politico- sociales, du manque de ressources matérielles et humaines, la RTS1 a été et est encore un outil de propagande pour l’Etat sénégalais. Elle produit de moins en moins de dramatiques. 2STV, WalfTV, RDV et Canal Info ont des programmes où les fictions africaines n’ont pas leur place. Leur spécificité c’est de permettre à l’émigré sénégalais, où qu’il se trouve dans le monde, d’avoir des nouvelles fraîches de chez lui. Entre la ménagère sénégalaise de moins de 50 ans qui adore les séries américaines, les télénovelas et les dramatiques sénégalaises, les hommes qui adorent la politique et les jeunes qui aiment les programmes de sport et de musique, il y a de la place pour bien d’autres téléspectateurs. Ceux qui raffolent des documentaires et des films sénégalais. Ceux qui sont passionnés par l’histoire et l’art. Ceux qui sont attachés à nos valeurs culturelles et traditionnelles.
Reste alors à déterminer qui définira les critères de qualité. Ce n’est certainement pas le rôle du pouvoir politique ni la future loi sur l’audiovisuel. Je crois qu’il faut instaurer davantage de souplesse dans le système au lieu de le fermer. En laissant notamment le temps aux émissions de trouver leur public.
Pour des productions maison
Bien que les télévisions puissent acheter ou commander certaines de leurs émissions, la présence de productions " maison " qui leurs sont propres garantit le fait que les émissions répondront adéquatement à la ligne éditoriale du diffuseur, mais assure la pérennité d’une " culture " de création propre au diffuseur. Cela est particulièrement vrai pour les nouvelles télévisions privées qui doivent se constituer une identité, une " signature ", qui les distingue des télévisions publiques.
Ces productions maison permettent aussi d’établir les normes de qualité que doivent s’imposer les télédiffuseurs.
Plus que tout autre programme de télévision, celui du diffuseur public doit être national dans son contenu. Cela ne signifie pas que les productions étrangères doivent en être absentes ; cependant, en vertu de son rôle de service public, la RTS1 doit d’abord favoriser l’expression des idées, opinions et valeurs qui ont cours au sein de la société sénégalaise. À cet égard, il importe au DG de la RTS de privilégier la diffusion d’émissions nationales. A l’image des télévisions japonaises qui ont utilisé les mangas pour faire connaître et valoriser leur culture, les télévisions sénégalaises peuvent aussi exploiter l’univers de nos contes et légendes dans des productions de dessin animé. Cette proposition générale appelle cependant une réserve. Au Sénégal, on a en effet tendance à se préoccuper de l’origine des programmes plutôt que de leur contenu. Or, il faut se garder d’assimiler la qualité au contenu national : ils ne sont pas toujours synonymes !
En télévision, le marché international des programmes est beaucoup plus développé. Pour certains genres, comme les fictions, il est moins cher d’acheter des émissions étrangères que de les produire soi-même. Les télédiffuseurs sénégalais doivent cependant se demander si ces fictions internationales sont nécessaires au programme qu’ils veulent offrir au public et compatibles avec la réalisation de leurs missions. La plupart du temps, il faudrait sans doute les considérer comme complémentaires.
Albert Mendy
Journaliste – réalisateur de dessin animé