Le deuxième tour a-t-il une valeur ajoutée dé
Le deuxième tour a-t-il une valeur ajoutée démocratique ?
L’élection présidentielle de 2012 s’approche, la classe politique s’agite dans des débats qui laissent en rade les préoccupations des populations relatives à la demande sociale, pour ne prendre en compte que ses intérêts politiques liés à la conquête ou à la conservation du pouvoir. Les débats sur la candidature unique de l’opposition, sur la candidature de Me Abdoulaye Wade, sur le détournement politique des conclusions des Assises nationales comme instrument de propagande politico-électorale et sur la suppression du second tour de l’élection présidentielle occupent l’actualité.
Notre contribution tente d’analyser la valeur ajoutée démocratique qu’apporterait le second tour dans le contexte du système politique et démocratique sénégalais marqué par la confusion dans les lignes politico-idéologiques des partis et l’absence de repères politiques des masses. Un contexte politique caractérisé par le vol, le viol et la prostitution politique, le détournement politique, la corruption psycho-politique fondée sur le mensonge, l’hypocrisie et la manipulation qui érigent l’image du parti d’opposition et de ses militants, à côté de celle du journaliste et du membre de la société civile, comme une image hautement valorisante, le ‘blanchiment politique’ à travers des coalitions où les bourreaux d’hier sont blanchis en héros d’aujourd’hui et où l’affairisme politique se substitue au véritable engagement politique.
Benno et la coalition Sopi sont des cadres où le dénominateur commun est d’être pour ou contre le pouvoir sans aucune autre forme de motivations ou de références politiques et idéologiques identitaires. Les Sénégalais ont tendance à adhérer dans les nouveaux partis avec des directions politiques élues sans congrès sans connaître ni leur programme, ni leur idéologie sur une base uniquement affective et émotionnelle. Tous ces phénomènes et comportements sont de nature à altérer la qualité démocratique du système politique et électoral. Cette théâtralisation de la vie politique ne nous offre que de la démocratie au rabais.
Il faut souligner d’emblée que le second tour qui n’existe pas dans tous les systèmes électoraux, n’est pas une nécessité démocratique et n’apporte pas de valeur ajoutée comme l’isoloir, l’identification biométrique des électeurs ou la suppression du scrutin majoritaire à un tour aux élections législatives.
Personne ne peut contester que le système parlementaire allemand à un seul tour est parmi les systèmes électoraux les plus démocratiques du monde. Il garantit l’alternance, en ne favorisant les coalitions qu’après les élections lorsque chaque parti ou groupe de partis ait prouvé sa représentativité. Le second tour n’est donc pas une nécessité démocratique ! Il répond, selon ses protagonistes, à un souci de représentativité, et dans certains cas, permet de réaliser l’alternance au pouvoir en place. Toutefois, il existe le risque que le nombre de votants diminue au second tour du fait de la désaffection de certains électeurs, surtout des militants de partis politiques, qui ne trouveraient pas leur compte ni dans les programmes ni dans les personnalités des deux candidats qui restent en lice.
Si le second tour obéit à la règle de la représentativité relative, répondrait-elle aux exigences de la qualité démocratique du suffrage universel direct dans notre pays ? La qualité démocratique d’un suffrage supposerait des électeurs et des partis politiques libres et responsables trempés dans l’éthique politique. Autant l’argent du parti au pouvoir peut influencer l’issue des élections, autant le bruit assourdissant des ‘sabarous pote’ des opposants coalisés peut aussi influencer les électeurs sans les convaincre. Dans les deux cas, l’électeur ou le parti politique est victime ou est soumis à une influence extérieure qui peut remettre en cause sa responsabilité, sa liberté et l’éthique politique. Combien d’électeurs et de partis politiques, tout en se réclamant d’être un acteur de l’alternance, ont regretté d’avoir élu le candidat Wade choisi par la Ca 2000 ?
Les partis politiques, paradoxalement, ne peuvent pas construire la démocratie, car ils sont juges et parties. Ils sont divertis par les opportunités de conquérir ou de conserver le pouvoir sans considération des intérêts démocratiques des populations. Une modification juridique ou institutionnelle n’est positive à leurs yeux que lorsque cela les arrange !
C’est pourquoi il est important d’entendre et d’écouter d’autres voix plus ou moins neutres telles que celles de la société civile. La limitation à deux mandats présidentiels ne s’opposerait-elle pas à la souveraineté des populations de se choisir un président de la République autant de fois qu’elles le désirent ? L’interdiction du nomadisme parlementaire qui rappelle au député son appartenance à son parti politique ne s’opposerait-elle pas à son statut de représentant du peuple que l’on crie haut et fort sur tous les toits partisans ? Le deuxième tour, en dépit de sa faculté d’exprimer la représentativité relative du candidat élu, garantit-elle la qualité et la légitimité démocratique du scrutin ? A quel degré ou niveau, une représentativité est-elle considérée comme démocratiquement légitime ?
Ce qui reste clair, c’est que le second tour peut être le lieu et le moment des calculs politiciens de tous ordres, en dehors de toute éthique politique, pour faire partie des chanceux qui vont partager le gâteau du pouvoir après le pari sur la victoire du candidat élu, surtout dans notre pays où la référence idéologique est considérée comme anachronique. Dans tout cela, qui est élu et avec quel programme ? L’homme ou le candidat de la coalition ?
On doit tirer des enseignements des élections de 2000. La victoire de 2000 est revendiquée par tous les acteurs, mais un seul président est élu et applique son programme. Une élection présidentielle, c’est le choix d’un homme et d’un programme. La personnalité du candidat et la pertinence de son programme doivent être les seuls critères dominants qui orientent notre vote, surtout que nous sommes dans un régime présidentiel où le pouvoir est incarné par un homme, le président de la République, et non par un groupe d’individus ou de partis politiques. La constitution le reconnaît et le dispose comme tel. Les présidents élus jouissent tous d’une représentativité relative. Qu’ils soient élus par un cinquième ou deux cinquièmes de la population, ils proclameront toujours représenter tout le peuple sans exception. Ils ont seulement à asseoir leur légitimité en répondant aux attentes des populations à travers la satisfaction de la demande sociale et citoyenne. C’est cela le véritable 2e tour ! La différence de l’élection d’un président de la République par le cinquième ou les deux cinquièmes de la population ne serait pas qualitative, mais uniquement quantitative. L’élection en 2000 ou la réélection en 2007 de Me Wade par une majorité électorale distincte n’a pas apporté fondamentalement de différence qualitative dans la gouvernance du pays.
La suppression du second tour, au delà de l’économie des deniers publics, favorise le regroupement des petites formations autour des candidats des grands partis sur la base d’une homogénéité idéologique et politique et d’un équilibre politique incontesté, une visibilité et un assainissement du terrain politique, la sincérité et l’honnête politique des partis membres des coalitions, un redressement éthique et moral de la classe politique, la liberté et la responsabilité des électeurs, l’égalité des chances des candidats en compétition (surtout des candidats issus de la société civile) et enfin la réappropriation de la souveraineté électorale par les électeurs, donc la possibilité des électeurs de se choisir la personnalité et le programme du président de la République en dehors de tout choix unique qu’une coalition de partis leur impose. Le 2e tour, par contre, ouvre la voie à des coups d’Etat politiques possibles ou ‘le satt sattoo’ (dix individus qui battent un seul), favorise l’hypocrisie et la manipulation fondées sur des magouilles et des combines politiciennes, dont le soubassement ne serait qu’un désir incontrôlé de partager les délices du pouvoir, l’instabilité politique causée par des querelles de partage de pouvoir qui conduisent à des haines et des rancœurs qui peuvent menacer la cohésion nationale et la paix civile.
Les partis politiques ne peuvent pas garantir la sécurité démocratique du jeu politique. Les partis politiques sont trop enclins à mettre en avant des réflexes pour conserver ou conquérir le pouvoir. Ma conviction est que seuls des électeurs conscients, libres, responsables et souverains encadrés par une forte opinion démocratique bien formée et bien informée portée par une société civile et une presse responsables sont capables de garantir la sécurité démocratique du jeu politique. Les partis politiques ne doivent pas se cacher derrière des coalitions pour engranger des mandats législatifs ou présidentiels qui ne correspondent pas à leur force et à leur influence réelle. C’est une question d’éthique et de déontologie politique !
Le régime présidentiel en vigueur sous nos cieux nous expose en outre à un risque permanent d’une gestion et d’un exercice solitaire et individuel du pouvoir. Par conséquent, les véritables questions dignes d’être posées demeurent la représentativité des partis politiques pris individuellement sans laquelle le financement des partis politiques et la désignation du chef de l’opposition restent problématiques et la démocratie interne à leur sein (souvent très négligée dans les partis politiques) sans laquelle le président de la République ne peut pas être contrôlé par son parti qui a porté sa candidature pour prévenir la nation des dérives autoritaires constitutionnelles désagréables et inopportunes. C’est une simple question de sécurité républicaine !
En résumé, le 2e tour est un outil politique très efficace pour réaliser l’alternance au sommet de l’Etat qui est une fin en soi pour tout parti de l’opposition, mais qui souvent peut ne pas être souhaitée par les électeurs. A travers leur agitation et leurs agissements intempestifs autour de négociations et de tractations, les partis politiques se substituent aux électeurs pour influencer le résultat du second tour. L’influence du 2e tour sur la sécurité démocratique des élections reste douteuse et sa contribution dans le processus qualitatif de notre système électoral, dans le contexte politique actuel, s’avère vraisemblablement neutre, pour ne pas dire nulle. Son maintien n’apporterait pas nécessairement une valeur ajoutée à la qualité démocratique des scrutins et risquerait de favoriser la substitution de la volonté des partis à la souveraineté des électeurs.
Dr. Abdoulaye TAYE Enseignant à l’Université de Bambey Président National de TGL (voir tôt, voir grand, voir loin) Tél : 77 413 14 49