Violence politique au Sénégal : le règne dram
Violence politique au Sénégal : le règne dramatique de l’impunité (Suite)
Le 22 décembre 2011, en arrêtant la milice envoyée pour les tuer, Barthélémy Dias et ses compagnons ont sauvé, encore une fois, la démocratie sénégalaise. Imaginons un seul instant ce que deviendrait ce pays si la milice de Tonton et de Bébé Doc régnait en maître dans les rues de Dakar ? Encore une fois parce qu’après le premier tour de l’élection présidentielle de 2000, Khalifa Sall admettait, sur le parvis de la maison du Parti socialiste, un deuxième tour en disant que ‘le Ps est ouvert à tous les partenariats’. L’ancien ministre du Commerce a évité, de justesse, la confrontation avec une population qui réclamait souverainement un deuxième tour. Quelques jours plus tard, dès le lendemain de l’élection du deuxième tour, le candidat socialiste Abdou Diouf appelle Me Wade pour le féliciter de sa victoire démocratique.
Aucune goutte de sang n’avait terni le scrutin de 2000 et, malgré les enjeux monstres, le Ps a cédé le pouvoir aux Forces de l’Alternance (Fal) dans une dignité louée partout à travers le monde. Ce ne fut point une défaite des Socialistes mais une victoire de la légitimité souveraine et une belle leçon de respect de la démocratie. Les Socialistes peuvent en être fiers. Oui, ils doivent être fiers d’avoir préservé leur pays du chaos. Fiers aussi d’avoir montré la voie démocratique. Pourvu que cette leçon soit bien sue et comprise par la majorité actuelle ! Aujourd’hui, toute cette violence, qui perle négativement le champ politique, est une réponse malheureuse servie par la majorité au peuple qui exige le respect fondamental de la Constitution.
A l’écoute des aspirations du peuple souverain, la majorité partisane privilégie la confrontation. C’est donc dire que, depuis le 23 juin, il y a eu une césure dans le jeu démocratique. Pourtant, le peuple n’exige de sa classe politique, dans son entièreté, que le respect des règles du jeu démocratique. Que ceux qui veulent conquérir, reconquérir ou préserver le pouvoir se conforment aux règles de la démocratie politique en laissant au peuple souverain le droit d’élire son représentant en dernière instance. La violence actuelle dont le centre de diffusion est connu de tout le monde a pour objectif de couvrir les trois violations majeures que la majorité entend commettre en 2012.
-La violation de la Constitution par la validation de la candidature de Me Wade pour un troisième mandat.
-La violation de la légitimité populaire par l’organisation de fraudes massives lors de l’élection présidentielle de 2012.
-La violation de la démocratie par la dévolution monarchique du pouvoir selon la loi de la biologie et de la primogéniture.
Toute personne susceptible de mettre du sable dans la machine devient une cible des dirigeants actuels. Barthélémy Dias et Alioune Tine pour leur opposition légitime à la dévolution monarchique du pouvoir, Moustapha Niass, Ousmane Tanor Dieng et Abdoulaye Bathily pour exigence d’un scrutin fiable, Macky Sall, Idrissa Seck et Cheikh Tidiane Gadio pour les secrets explosifs qu’ils détiennent par-devers eux.
L’exercice de la violence physique est un moyen privilégié par les dirigeants actuels pour faire taire toute tentative d’opposition au plan politique. La majorité croit que les manifestations du 23 juin sont le fait d’une opposition et d’une société civile qui visent à renverser le pouvoir. Que nenni. En réalité, cette ‘violence contestataire’ du 23 juin qui s’est traduite par l’occupation de lieux publics, des déprédations de matériels, est un moyen d’expression des citoyens face à celle de l’Etat. Ce dernier, par le biais d’une énième volonté de tripatouiller la Constitution, s’est heurté aux citoyens souverains qui ont refusé de renoncer à la satisfaction de leurs attentes démocratiques. Il s’agit pour ce cas d’une ‘violence physique structurelle’ produite par l’Etat pour contraindre les citoyens de renoncer à leur légitimité. Cette violence physique structurelle produite par l’Etat, projet de loi instituant un ticket à l’élection présidentielle, scrutin majoritaire à un tour avec un minima de 25 % et forcing du camp libéral pour faire valider une troisième candidature inconstitutionnelle à Me Wade alors que la Constitution n’en recommande que deux, est ressentie douloureusement par les citoyens. D’où la réaction constatée ce jour du 23 juin 2011. Donc en élaborant une violence contestataire, le citoyen se donne les moyens de contraindre l’Etat à renoncer à l’arbitraire et à devenir Etat. Un phénomène normal en démocratie, car la souveraineté appartient au peuple.
La violence politique actuelle produite par la majorité a pour but d’inspirer une peur qui jette l’effroi dans le cœur des citoyens. Une peur qui leur ôte la capacité, la possibilité et le courage de se mobiliser pour dénoncer les flagrantes violations de la démocratie. Au lieu d’inspirer une peur, la violence ponctuée par l’attaque de la mairie et les tentatives d’intimidation des responsables du M23 notamment par la convocation à la Dic du coordinateur du mouvement a poussé les citoyens à se mobiliser massivement à la place de l’obélisque pour montrer à la majorité là où souffle le vent de la souveraineté. La place de l’obélisque devient alors, depuis le 23 juillet 2011, le symbole de la résistance contre les tentatives de violations fragrantes de la Constitution. Comme réponse à apporter aux attentes des citoyens, la majorité opte pour la mobilisation réalisée à coup de millions de francs Cfa.
Dangereuse illusion d’une coalition qui a perdu ses repères. La violence physique remplace celle symbolique dont Pierre Bourdieu nous enseigne qu’elle irradie insidieusement les citoyens en les engluant dans un processus de socialisation et de structuration dont ils sont inconscients. C’est la plus dangereuse des violences car elle institue un déni de la personnalité et influence subrepticement le citoyen dans son choix. C’est une violence douce, invisible et masquée. Elle est méconnue comme étant une violence car elle est choisie autant que subie. La majorité et leurs communicants se sont basés sur les travaux de Thiakoutine et de Pavlov pour agir, à l’insu du citoyen, sur son choix. Ce sont les théories sur la citoyenneté du fils du président, les rappels insidieux des règles démocratiques de participation au scrutin présidentiel. Tout fils de président qu’il soit, il jouit des droits et observe les devoirs comme tout citoyen, disent-ils l’air goguenard sentant la supercherie à mille lieues à la ronde.
Mais, la démocratie est un jeu sérieux qui exige une traçabilité des actes des gouvernants. L’élection d’un fils à la suite du père annonce le règne de la saga familiale et inscrit l’impunité totale. A-t-on vu un fils faire le procès de son père ? Hélas, cette option ayant failli devant l’intelligence supérieure manifeste des citoyens, il ne reste qu’à recourir à la violence physique pour baliser le boulevard de la dévolution monarchique du pouvoir. (Fin)
Abdoulaye SEYE, Journaliste
NB : A ceux qui, comme Madické Niang, veulent que les citoyens choisissent Me Wade sur la base de l’âge, arguant que dans notre société, même la succession se fait selon la loi de la primogéniture, le sage Khaly Madiakhaté Kala avait déjà répondu de son vivant en disant : ‘Et si le plus âgé est un fou’… Comme quoi le nombre arithmétique des années ne confère pas une sagesse et tous les vieillards ne sont pas des bibliothèques. Au Sénégal, Amadou Makhtar Mbow, Cheikh Hamidou Kane et Lamine Diack sont des bibliothèques ; ces sages sont les phares d’une nation plongée dans une mer aux flots tumultueux.