Grève des inspecteurs du travail
Grève des inspecteurs du travail
III- L’Etat, le grand perdant
Aussi paradoxal que cela puisse être, c’est l’Etat qui est perdant dans cette grève des inspecteurs et contrôleurs du travail. Le défaut, voire son refus de mettre ses services d’inspection du travail dans de bonnes conditions d’exercice de leurs prérogatives rejaillit, négativement, sur ses grandes politiques et entame gravement sa crédibilité. À titre illustratif, il sera présenté les impacts négatifs que l’indigence dans laquelle les services d’inspection du travail sont plongés peut avoir sur la mise en œuvre du Document stratégique de réduction de la pauvreté (Dsrp II) et sur les efforts pour promouvoir un environnement des affaires propice aux investissements.
Méfaits sur la stratégie de réduction de la pauvreté
Le Dsrp II qui vise la diminution de 30 % de la pauvreté au Sénégal d’ici l’an 2015, repose principalement sur quatre axes stratégiques, dont celui relatif à la protection sociale, la prévention et la gestion des risques et catastrophes (3e axe). Ce dernier s’articule principalement autour de quatre programmes : (a) la réforme et le renforcement des systèmes formels de sécurité sociale, (b) l’extension de la protection sociale, (c) la prévention des risques majeurs et (d) la protection des groupes vulnérables. Dans le cadre de la réforme et du renforcement des systèmes formels de sécurité sociale, sept actions prioritaires sont définies au nombre desquelles figurent la promotion de la prévention des risques sociaux, la lutte contre l’évasion sociale (manœuvres frauduleuses des employeurs pour se soustraire du paiement de leurs cotisations sociales) et la réduction des risques de basculement des travailleurs dans la pauvreté consécutivement à un accident du travail ou à une maladie professionnelle. La finalité de ces actions prioritaires selon le Dsrp II est ‘d’atteindre d’ici 2010 les résultats suivants : la quasi-totalité des entreprises sont à jour de leurs cotisations sociales (…)’.
Quel segment de l’Etat peut, en termes d’habilitation par les lois et de disponibilité de ressources humaines compétentes, aider concrètement à la réalisation de cet objectif ? Sans conteste, la réponse est les services d’inspection du travail et de la sécurité sociale. Quels sont les moyens que l’Etat du Sénégal s’est donné pour atteindre cet objectif qu’il s’est librement fixé ? La réponse coule de source : pas grand-chose, sinon rien !
D’ailleurs, la revue conjointe du Dsrp II tenue en juillet 2009 entre le Sénégal et ses partenaires avait révélé des contre-performances dans la mise en œuvre de la stratégie. Ce qui nous amène, légitimement, à nous poser la question de savoir si l’Etat a élaboré et fait adopté le Dsrp II pour satisfaire les conditionnalités d’octroi de prêts concessionnels et/ou d’allègement de sa dette imposées par les institutions de Breton Woods ou visait-il réellement la réduction de la pauvreté d’une bonne frange de sa population ? Cette question s’avère pertinente au regard de l’état de parent pauvre dans lequel les services d’inspection du travail et de la sécurité sociale sont laissés.
La logique, la cohérence et le respect de ses propres politiques imposent donc à l’Etat du Sénégal de doter les inspecteurs du travail de moyens suffisants et adéquats pour réduire significativement les inégalités d’une part, entre salariés assurés et salariés non assurés et d’autre part, entre employeurs affiliés et employeurs non affiliés, en limitant à une portion congrue, voire en éradiquant l’évasion sociale. Cela ne pourra être obtenu que grâce à leur plus grande présence sur le terrain à travers des contrôles systématiques couvrant tous les employeurs. Une présence accrue des inspecteurs et contrôleurs du travail sur le terrain permettra, à coup sûr, une prévention active des accidents du travail et des maladies professionnelles et, par conséquent, évitera le basculement dans la pauvreté des travailleurs qui pourraient en être victimes surtout lorsqu’ils ne sont pas déclarés à la Css.
Le quadrillage des entreprises implantées en territoire sénégalais requiert d’abord des effectifs suffisants. Là-dessus, force est de reconnaître que l’Etat a consenti beaucoup d’efforts au cours de ces dernières années grâce à un recrutement et une formation massifs d’inspecteurs et de contrôleurs du travail dans les deux cycles de l’Ena. Cela prend également des moyens de travail suffisants et adéquats (locaux fonctionnels, instruments de mesure, moyens de déplacement adaptés, etc.). Cela demande, enfin, des agents bien formés et motivés, c’est-à-dire un personnel qui bénéficie d’une politique de développement de ses compétences mais aussi de plans de carrières et de rémunérations attractifs capables de les retenir au sein de l’administration.
Impacts négatifs sur l’environnement des affaires
Le Rapport du Doing Business 2010 publié en septembre 2009 fait état d’une régression du Sénégal dans ses efforts de promouvoir un environnement des affaires propice à l’attraction et à la rétention des investissements. C’est ainsi que notre pays a rétrogradé de 5 places au classement général en occupant la 157e place sur 183 pays contre la 152e place auparavant.
L’objectif du Sénégal dépasse les 10 indicateurs du Doing Business qui servent à mesurer les progrès réalisés par un pays. Il ne vise pas moins que la mise en place d’un Environnement des affaires de classe internationale (Eaci) grâce à un ambitieux programme de réformes initié dans le cadre du Conseil présidentiel de l’investissement (Cpi). C’est ainsi que ce dernier a initié un certain nombre de réformes, notamment celle relative, par exemple, à la législation du travail avec l’élaboration et l’adoption de textes d’application du Code du travail relativement aux conditions de travail dans les entreprises relevant des secteurs émergents. Ce qui fut un pas très important, mais insuffisant.
En effet, la finalité des textes d’application du Code du travail vise à prévenir ou à modifier des situations indésirables, donc à être appliqués. L’absence de moyens et de motivation des agents des services d’inspection du travail conduit inéluctablement à des inégalités entre employeurs assujettis aux mêmes textes : certains n’auront pas besoin de se faire contrôler pour les appliquer scrupuleusement et d’autres profiteront de l’absence de contrôles pour ne rien appliquer. Ces inégalités devant les mêmes obligations sont de nature à désavantager les entreprises respectueuses des lois et règlements.
Les investisseurs occidentaux sont très sensibles à ces situations marquées par une rupture du principe d’équité de l’administration à l’égard de tous les employeurs, puisqu’étant de nature à fausser les règles de la concurrence. Ces situations peuvent les inciter, généralement, à se détourner d’un pays. Donc, il ne suffit pas d’élaborer et d’adopter des textes de loi et de règlement, il faut aussi se donner les moyens de les faire appliquer.
Pour conclure, l’Etat du Sénégal a intérêt à sortir ses services d’inspection du travail de leur situation de parent pauvre de l’administration dans laquelle il les a confinés depuis 1960. Il a souscrit à des engagements internationaux en ratifiant la Convention no 81 relative à l’inspection du travail, laquelle met à sa charge un certain nombre d’obligations, notamment celle ‘de fournir aux inspecteurs du travail a) des bureaux et locaux aménagés de façon appropriée aux besoins du service et accessibles à tous les intéressés ; b) les facilités de transport nécessaires à l'exercice de leurs fonctions’. Le respect des engagements souscrits constitue une des manifestations d’un Etat de droit et confère la crédibilité ainsi que la respectabilité tant au plan national qu’international. Il serait dommage que le Sictrass en vienne, un jour, à internationaliser son combat en déposant une plainte contre l’Etat du Sénégal au niveau de l’Oit. Une éventuelle condamnation nuirait beaucoup notre pays. Cela n’est pas souhaitable. Donc, l’Etat doit entamer un dialogue franc et ouvert avec les inspecteurs du travail à l’effet de trouver des solutions qui satisfont toutes les parties.
Il ne me semble pas exagéré de proposer que les services de l’inspection du travail soient dotés d’un Plan sectoriel travail (Pst) à l’image de celui dont bénéficient, actuellement, les magistrats et les services judiciaires (Plan sectoriel justice 2004-2013 d’un coût de plus de 118 milliards de francs Cfa). Le diagnostic qui avait conduit à l’élaboration et à la mise en œuvre du Psj, est parfaitement identique à ce qui prévaut au sein des services de l’inspection du travail : manque de moyens humains, financiers, matériels et d’infrastructures qui rendait inefficace et peu opérationnel le système judiciaire sénégalais. Le défi est à la hauteur du rôle d’acteur de développement que peuvent jouer les services de l’inspection du travail. Il peut être relevé avec une volonté et une vision politiques ! (Fin)
Cheikh FAYE Montréal