de 2012 le jeu complexe de Wade
Présidentielle de 2012 : Le jeu complexe de Wade
Encore les ruses du Grand Maître. Pendant que l’opposition est en train de se focaliser sur des débats inutiles et que la société civile, convaincue de la faillite de la classe politique, cherche un candidat de transition, Wade, en parfait animal politique, peaufine tranquillement son ultime plan pour arranger sa succession. Il a éclipsé son fils de la scène, tente de remobiliser son parti et balance des os dans l’espace public pour détourner les attentions des vrais problèmes.
L’annonce précoce de la candidature de Wade à la prochaine élection présidentielle, dans le contexte actuel du Sénégal, relève de l’événement aux fins de diversion. Elle est intervenue dans un contexte où le débat public était caractérisé par un certain nombre de thèmes, tous aussi défavorables au pouvoir les uns les autres. On parlait alors de délestages, d’inondations, mais surtout du livre de Latif Coulibaly avec son lot de révélations sur la gestion de l’Anoci et l’indignation qu’il soulevait. Soucieux d’inverser la tendance, Wade a pu mettre à profit l’avantage de sa posture institutionnelle pour imposer des thèmes alternatifs de débat public. Avant l’annonce de la candidature, c’était l’agitation autour de l’argent du Millénium Challenge Cooporation et toutes ces déclarations plus ou moins provocantes tenues par le président depuis son retour de vacances, qui ont suscité tantôt colère, tantôt indignation, mais dans tous les cas suffisamment d’intérêt pour soulever un débat dans lequel Wade se sent plus à l’aise que lorsqu’il s’agit de parler d’inondations, de coupures d’électricité et de gestion de l’Anoci.
Wade s’érige en bouclier pour Karim
Outre le côté diversion, l’annonce de la candidature de Wade a eu également comme effet d’éclipser Karim Wade de l’espace public. Déjà controversé au point que ses proches parlaient parfois d’acharnement médiatique, Wade junior a vu sa posture se dégrader davantage avec les révélations de Latif Coulibaly sur sa gestion de l’Anoci au point que d’aucuns n’ont pas hésité à dire que le journaliste avait liquidé pour de bon les ambitions présidentielles du fils du président. Dès lors, il semble bien que le père, en génie politique qu’il est, a trouvé l’astuce pour soustraire son fils des feux de l’actualité. Il lui fallait éclipser Karim de l’espace central du débat public, en s’y propulsant lui-même avec cette annonce plus que prématurée et tout aussi incroyable de sa candidature. Celle-ci, de facto, diffère le débat sur les ambitions de Karim qui, de toute évidence, ne se présentera pas contre son père. Ce dernier devient ainsi la nouvelle cible, mais une cible autrement plus aguerrie aux attaques et critiques que son novice de fils. Et comme à son habitude, une fois qu’il lance son hameçon et accroche l’opinion, il se fait un point d’honneur de ne la lâcher et n’hésite pas à faire dans la provocation pour alimenter davantage le débat artificiel ainsi créé. Et provocation ne pouvait dépasser ces déclarations depuis Washington sur Karim Wade qualifié de ‘meilleur expert’ non pas seulement sénégalais, mais africain dans le domaine des finances.
Le rappel des troupes
L’autre dimension de la déclaration de candidature de Wade, c’est son côté cri de mobilisation destiné aux militants et responsables libéraux. Elle intervient, en effet, dans contexte de délabrement avancé du Parti démocratique sénégalais (Pds) au point que certains de ses responsables de premier plan, tels que Modou Diagne Fada, n’ont pas hésité à affirmer publiquement que ce parti n’existait plus. L’état de délabrement et de démobilisation était manifeste. Et la disparition de l’espace public de ses figures emblématiques n’est qu’un indicateur de plus de cette démobilisation. On n’entend plus parler d’Abdoulaye Faye, tout puissant administrateur du parti, idem pour le président du Sénat, Pape Diop, qui s’est juste rappelé à l’opinion à l’occasion de la prière de la Korité, aucune trace d’Abdou Fall, encore moins d’Awa Diop. Babacar Gaye, le porte-parole, n’en parlons pas, Wade lui-même l’ayant oublié au point d’affirmer ne pas le connaître. Personne parmi ces naguère soldats de Wade n’a élevé la voix pour défendre le régime durement malmené lors des délestages, des inondations ou encore avec la parution du livre de Latif Coulibaly.
L’explication de ce phénomène est à chercher dans la manière dont le Pds a toujours fonctionné et le rapport entre Wade, le parti et les militants. Et quand Fada parle de mouvement, il ne sait pas à quel point il a raison, sauf que ce n’est pas nouveau, c’est la réalité de tous les jours du Pds. Le parti ayant toujours existé comme un mouvement de soutien à son leader, il est normal que, dès lors qu’on semble amorcer la fin de carrière de celui-ci, que le mouvement se démobilise, car ne trouvant plus d’objet à son existence. Surtout que Wade lui-même ne fait rien pour encourager ses compagnons de toujours à continuer le combat, entre sa volonté de faire du champ à son fils à la tête d’une nouvelle équipe et son jeu déroutant avec Idrissa Seck, l’ennemi familial n°1. Ayant pris conscience de cette démotivation et ayant cerné aussi les facteurs à la base, Wade a lancé le pion de la candidature pour remobiliser tout le monde autour de sa personne, lui le facteur de mobilisation.
La botte secrète
Cependant, bien malin sera celui qui pourra dire avec certitude si Wade sera candidat à un prochain mandat ou non. Il pourrait se limiter juste à provoquer des effets d’opinion pour renoncer au moment opportun. Il pourrait aussi aller jusqu’au bout et il ne manque pas de motifs pour le faire, le moindre n’étant pas les ratés graves décelés dans le mécanisme de son schéma de succession tel qu’il l’a conçu et tel qu’il souhaiterait le conduire. Une chose semble certaine cependant : si Wade décide de briguer un nouveau mandat, alors, on n’attendra pas 2012 pour voter. Parce que le temps joue contre lui, et dans deux ans, les effets de l’âge pourraient tellement se faire sentir qu’il pourrait être particulièrement difficile de crédibiliser sa candidature. Aussi est-il plus envisageable de voir le président écourter son mandat en cours et programmer de nouvelles élections avant terme, alors que ses adversaires n’auront pas encore fini de s’organiser.
Mais, en bête politique, Wade sait que c’est une gageur pour lui d’envisager aller à des élections transparentes avec un scrutin à deux tours et les gagner. Ce serait, dans le contexte actuel du Sénégal, une grande performance pour lui. Et pour éviter le syndrome Diouf qui le guetterait au second tour, il envisage de supprimer cet obstacle. D’où l’agitation du débat sur la suppression du second tour soulevé par ses partisans ces derniers temps. La suppression de ce second tour est vitale pour leur système. Et c’est ce qui a poussé le ministre Aliou Sow à tancer vertement son collègue Kalidou Diallo qui n’est sans doute pas dans le secret des dieux et qui a manifesté une certaine opposition à cette idée de modification constitutionnelle. Ce qui, réussi, mettrait une croix sur les ambitions politiques de la plupart des ténors de l’opposition qui seront condamnés à avoir un seul candidat ou perdre cette élection. Sans quoi, on risque de se retrouver avec un schéma à la Aly Bongo qui, avec un peu plus de 40 % des suffrages, est élu président là où la somme des suffrages recueillis par l’opposition gabonaise dépasse largement son score. Voilà la situation de défi dans laquelle Wade place aujourd’hui l’opposition. Si cette opposition amorphe pense qu’elle a le temps d’ici 2012, cela peut bien être une autre erreur qui peut précipiter ses leaders charismatiques à la retraite politique.
Seyni DIOP