démon de la monarchie, hérésie juridique
Le Sénégal résistera-t-il au démon de la monarchie ? (Libre Opinion)
De l'an 2000 lorsque Abdoulaye Wade fut triomphalement porté au pouvoir à l'an 2009 lorsque lui et sont régime font face à toutes sortes de critiques et d'accusations, beacoup de choses ont changé au Sénégal. C'est autour de certains de ces changements qu'El hadji Gorgui Wade Ndoye nous livre un regard rétrospectif - à la lumière du nouveau livre de Abdoul Latif Coulibaly ("Contes et mécomptes de l'Anoci"), qui défraie la chronique au Sénégal et susicte un vif débat dans le pays ainsi qu' au sein de la diaspora sénégalaise établie à l'étranger.
Par El Hadji Gorgui Wade Ndoye*
Il y a une particularité bien sénégalaise: le jour des élections les reporters des différents journaux transmettent en direct les résultats des bureaux de vote. Cette ingéniosité de la presse a dissuadé plus d'un à violer la volonté des citoyens sénégalais lors des joutes électorales. Abdoulaye Wade qui a défait Abdou Diouf, doit ainsi une fière chandelle à la presse privée de son pays. Il reconnaîtra d'ailleurs cet apport énorme des journalistes dans la consolidation de l'Etat de Droit et l'avènement du Sopi (changement) au Sénégal intervenu le 19 mars 2000. Mais la lune de Miel entre le nouveau pouvoir de Wade (augmentation de l'enveloppe de l'aide à la presse, voyage dans le Sangomar (avion présidentiel) et promesse de mettre fin au délit de presse, de même que la construction d'une Maison de la Presse -non encore effective- etc.), ne dura pas longtemps.
Le Sopi, d'obédience libérale, est accusé parfois même de faire pire que le régime socialiste de Senghor et d’Abdou Diouf en matière de liberté d'expression. Malgré la floraison des médias (écrits comme audio visuels), des livres contre le Maître du Sopi sont censurés. Une dizaine de livres sont ainsi interdits de vente au Sénégal selon la presse sénégalaise.
Le malaise entre le pouvoir et la presse s'est accentué avec l'intention donnée au Chef de l'Etat sénégalais de transmettre de manière monarchique le pouvoir à son fils Karim Wade. Les Sénégalais, il faut le dire, ne comprendraient d'ailleurs pas une telle posture de la part d'un homme qui a sacrifié sa vie pour que la démocratie demeure la pierre angulaire de la construction de la nation. Mais Wade, connu pour son art des nuances, ne dément que partiellement cette volonté qui lui est prêtée de se faire succéder par son fils.
La politique de cooptation de certaines élites que le Chef de l’Etat n’hésite pas à utiliser avant de les ridiculiser, l’impossibilité d’avoir autour de lui un numéro II avec l’écrasement politique de tous ses Premier-Ministre depuis qu’il est au pouvoir, la récente nomination de son fils à un super poste de Ministre d’Etat en charge de l’équivalent de trois ministères, font que les doutes se précisent davantage.
Karim Wade dont l’entrée en politique est soldée par un échec retentissant depuis son bureau de vote le 22 mars 2009, est présenté par son père comme un financier hors pair. Wade fils, fait en effet la pluie et le beau temps au Sénégal. Aujourd’hui pourtant, la marche vers le trône du père semble compromise par une accusation de mauvaise gestion des deniers publics.
Le camp présidentiel est préoccupé par la sortie d’un livre « contes et mécomptes de l’ANOCI » du journaliste Abdou Latif Coulibaly qui croit savoir que le fils du Président est loin d’être un bon financier et loin d’être un modèle de bon gestionnaire. En effet, le journaliste enfonce le clou en parlant de « scandale du siècle ».
Le Sommet de la Oummah islamique ou sommet de l’organisation de la conférence islamique (OCI) dont l’organisation a été confiée à Meissa Karim Wade aurait coûté à l’Etat du Sénégalais la bagatelle de plus de 400 milliards de FCFA. Latif Coulibaly note qu’une lampe trônant sur la tête du fils du Chef de l’Etat a été budgétisée à près de 9 millions de FCFA (soit 22.500 CH- Francs suisses). Et le peuple confronté à la cherté de la vie se pose des questions non seulement sur l’opportunité de tels achats mais sur la décence même de telles opérations financières. La réponse du fils d’Abdoulaye Wade est attendue, dit-on, à son retour de voyage.
D’un autre côté, les Sénégalais sont souvent confrontés à l’obscurité. Et Wade avait dit un jour en pareille occasion qu’il n’était pas contre le retour des bougies !
Dans cette obscurité, la grogne monte quotidiennement. La vie est chère à Dakar, nourriture, logement, transport, tout est hors de prix. Et dans la chaleur tropicale de ce beau pays, entre les vicissitudes quotidiennes, les coupures intempestives du courant, le Président Wade offre à l’Afrique un Monument dit de la Renaissance qui aurait couté la belle somme de 16 milliards de FCFA. L’entreprise réalisatrice d’origine coréenne se frotte les mains. Et Wade qui dit qu’il est le concepteur de cette statue réclame pour sa part à l’Etat du Sénégal rien moins que 35% des recettes que pourrait générer ce monument dont la gestion se fera par l’intermédiaire d’une Fondation qui sera dirigée par Karim Wade… son fils. Nombreux sont les Sénégalais qui crient alors au scandale. Comment, disent-ils, un Chef d’Etat peut-il être en relation d’affaires avec l’Etat qu’il dirige ? L’objectif affiché de Maître Abdoulaye Wade : "Le monument symbolise l'Afrique qui sort des entrailles de la terre quittant l'obscurantisme pour aller vers la lumière". Et le Président-Artiste de marteler : "Le monument symbolise l'Afrique qui se libère de toutes les dominations".
Pendant ce temps, la lumière qui est le premier signe de la modernité fait défaut au Sénégal et des journalistes à tort ou à raison décrient une grave situation de la liberté d’expression, socle même de la démocratie.
Le Sénégal, avec son peuple fier et patient, longtemps, considéré comme la vitrine démocratique de l’Afrique de l’Ouest résistera –t-il à l’appel du démon de la monarchie ?
Journaliste sénégalais établi à Genève, El Hadji Gorgui Wade NDOYE est le directeur du magazine panafricain en ligne www.ContinentPremier.Com
Monument de la Renaissance : dépense extra-budgétaire et hérésie juridique (Libre Opinion)
Après l'éditorial publié sur Ouestaf portant en partie sur les 35 % que le chef de l'Etat sénégalais s'est unilatéralement octroyé sur les futures retombées financières du monument de la Renaissance africaine en construction à Dakar, le journaliste et consultant Ousseynou Nar Guèye revient ici sur le sujet , vu sous l'angle du droit, et plus particulièrement sur celui de la propriété intellectuelle.
Par Ousseynou Nar Gueye*
Afin d’expliquer le montage financier ayant abouti au financement du Monument de la Renaissance, le Chef de l’Etat a invoqué la notion de ‘‘dation en paiement’’.
Or, tout juriste que soit Me Abdoulaye Wade, il est patent que cette opération n’est rien de cela.
La définition juridique de la dation en paiement est stricte : il s’agit du ‘‘fait de se libérer d'une dette par une prestation ou un bien différent de celui qui était initialement dû’’. Dans le cas d’espèce, l’Etat du Sénégal, commanditaire, n’a contracté aucune ‘‘dette’’ auprès de l’acquéreur sénégalais des terrains. Encore moins à l’endroit des fournisseurs coréens qui construisent le Monument. La dette suit la dépense et ne peut la précéder !
La dation en paiement permet de s'acquitter de ses obligations fiscales par la cession d'un objet artistique ou historique, d'un immeuble ou d'une parcelle susceptible d'être incorporée au domaine de l'État. Cette opération nécessite un agrément préalable de l’Etat. La dation en paiement vise au premier chef les droits de succession. C’est ainsi qu’en France, une offre de dation est instruite par la Direction générale des impôts qui la transmet à la Commission interministérielle d'agrément pour la conservation du patrimoine artistique national.
Le montage du président Wade est véritablement une ‘‘dation en paiement à l’envers’’, qui n’existe dans aucun ouvrage de droit, ni loi connue et dont le seul précédent, il y a déjà quelques décennies, est celui de Fidel Castro payant en sucre le pétrole acheté aux Russes. Le troc n’est pas permis à un Etat, au risque de verser dans des transactions frauduleuses et de légalité douteuse.
Ceci pose la question de la commande publique et du Code des marchés publics. Une dépense de l’Etat doit être nécessairement programmée et inscrite au sein d’un budget, lequel fait l’objet d’un vote du Parlement. A défaut, il s’agit d’une dépense extra-budgétaire, dérapage financier qui a valu le limogeage d’au moins un ministre du Budget et les remontrances internationales au Sénégal. Les œuvres d’art et leur budget de commande n’échappent pas à la règle !
Concernant la propriété et la jouissance patrimoniale du Monument de la Renaissance Africaine, le Président de la République a fait état du chiffre de 35% comme devant constituer ses futurs royalties. En l’absence de précédent de ce type, il ne nous reste qu’à nous référer à la loi sur le droit d’auteur et les droits voisins, dont Abdoulaye Wade a généreusement doté le Sénégal en décembre 2006.
Plusieurs articles de cette loi sénégalaise du droit d’auteur démentent formellement au chef de l’Etat ses prétentions pécuniaires sur le Monument, aussi bien dans le principe que pour ce qui est du montant!
Tout d’abord, le seul droit financier reconnu à l’auteur d’une œuvre est celui dit du ‘‘droit de suite’’ (article 47), dont l’objet est le suivant : ‘ ‘Les auteurs d’œuvres graphiques et plastiques et de manuscrits originaux ont, nonobstant toute cession de l’œuvre originale, un droit inaliénable de participation au produit de toute vente de cette œuvre ou de ce manuscrit faite aux enchères publiques ou par l’intermédiaire d’un commerçant, postérieurement au premier transfert de propriété’’.
Dès après, le chef de l’Etat se trouve exclu de cette disposition puisque l’article 49, portant ‘‘Exclusion des œuvres d’architecture et des œuvres des arts appliqués’’, stipule de manière claire et concise que ‘‘les œuvres d’architecture et les œuvres des arts appliqués ne donnent pas lieu à l’exercice du droit de suite’’. Le Monument de la Renaissance est d’évidence une oeuvre d’art appliqué, car si l’on veut bien croire que le locataire de l’avenue Senghor l’ait conçu et dessiné au détail près, personne ne tentera de faire accroire qu’il est en train de le construire de ses mains périssables !
Dès avant, du fait de cette loi sur le droit d’auteur qu’il a fait voter, Abdoulaye Wade était déjà exclu de toute prétention patrimoniale.
L’article 20, portant ‘‘Cession légale pour les besoins du service public’’, emportait que ‘‘ dans la mesure strictement nécessaire à l’accomplissement d’une mission de service public, les droits patrimoniaux afférents à une œuvre créée par un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions ou d’après les instructions reçues sont, dès la création, cédés de plein droit à l’administration dont dépend l’intéressé’’.
En clair, pour ce qui est du Chef de l’Etat, à l’Etat. Dont il est certes le chef, mais néanmoins le serviteur.
On le voit, loin du foin sur l’opportunité de la dépense ou sur les caractéristiques esthétiques du Monument de la Renaissance, les vices de formes sont nombreux pour ouvrir la voie du recours auprès des juridictions compétentes, afin d’empêcher la perpétuation de ce précédent dangereux et unique au monde. A moins que le président ne vint à résipiscence…
Le président de la République peut assurément laisser son nom à la postérité autrement qu’en faisant d’un Etat, le Sénégal, personne morale à durée de vie illimitée, le ‘‘partenaire en affaires’’ et ‘‘l’associé’’ d’une personne privée (Wade Abdoulaye) ou d’une personne morale de droit privé (sa future fondation)!
* Ousseynou Nar Gueye, Journaliste – Consultant Expert en Propriété Intellectuelle
Sénégal : les dérives d'un bicéphalisme politico-religieux (LIBRE OPINION)
Il y avait eu « La République couchée » du professeur de philosophie sénégalais, Ousseynou Kane, au tout début de l’alternance du 19 mars 2000. Texte qui en son temps avait marqué les esprits et est restée une référence dans le débat sur les relations entre le politique et le religieux au Sénégal. Sujet sensible s’il en est, il n’en n'interpelle pas moins l’intelligentsia sénégalaise dans son ensemble. L’économiste sénégalais Sanou Mbaye s’éloigne de son terrain de prédilection l’économie -mais juste en apparence - pour lui aussi apporter sa contribution au débat. Ouestafnews se fait le plaisir de vous proposer son texte.
Par Sanou Mbaye*
Le revers infligé au président du Sénégal, Abdoulaye Wade, par un chef religieux qui a remis en cause sa décision de faire construire une école française à Touba, a réjoui un grand nombre de personnes. Les images juxtaposées des déclarations de Wade en la matière et du démenti cinglant que lui fit le chef spirituel ont fait la Une de la presse nationale et internationale.
La joie que suscite la déconvenue de Wade chez certains aurait été légitime si elle avait célébré, comme lors des élections locales qui viennent de se dérouler, la sanction des dérives d’un pouvoir ivre de ses excès. Mais peut-on décemment se réjouir d’un tel camouflet, même si c’est Wade qui en est le destinataire ?
En effet, l’opposition d’un chef religieux à l’implantation d’une école républicaine dans son fief constitue un déni constitutionnel. Pourtant, le Sénégal est, de par sa constitution, un état laïque, une laïcité qui n’a cessé, il est vrai, d’être mise à mal par une oligarchie religieuse, avec la complicité des classes dirigeantes du pays.
Le Sénégal est confronté à des défis énormes pour reconstituer ses valeurs dilapidées, moderniser ses institutions et son appareil productif.
Ce sont des esprits modernes, libérés des ténèbres de l’ignorance et guéris des stigmates de l’idolâtrie qui pourront s’attacher aux taches gigantesques en attente, et non des forces obscures politico-religieuses dont l’engouement pour les richesses du monde n’a d’égal que l’inaptitude politique et religieuse dont elles font montre.
Au plan politique, l’alliance entre les élites occidentalisées à la tête du pays et les héritiers des fondateurs des deux principales confréries religieuses : « tidiane et mouride » du Sénégal, s’est instituée au Sénégal avec le concours intéressé de Léopold Sédar Senghor, le premier président du pays.
Ce bicéphalisme politico-religieux de l’exercice du pouvoir servait les ambitions des deux camps. Celles de Senghor que son appartenance à la communauté chrétienne fragilisait dans un pays à majorité musulmane, et celles des héritiers des chefs religieux soucieux de se constituer des rentes viagères.
Senghor se servit de la délégation de pouvoir qu’il fit aux religieux pour neutraliser ses principaux opposants, d’abord Lamine Gueye, puis Mamadou Dia, des progressistes qui, bien que musulmans, voulaient, à l’instar de Sékou Toure en Guinée, croiser le fer avec les membres des dynasties religieuses qui n’avaient d’autre légitimité que celle que leur conférait leur statut de descendants d’ hommes que leurs contemporains avaient plébiscités et vénérés comme leurs chefs spirituels.
En effet, au 19eme siècle et début du 20ème, ces hommes, Seydi El Hadji Malick Sy, le saint homme de Tivaouane et propagateur de la confrérie Tidiane, et Cheikh Ahmadou Bamba, le fondateur de la confrérie mouride, jouèrent un rôle éminemment important.
Ils donnèrent un nouveau sens, une nouvelle direction et une organisation sociale et religieuse régénérée à des populations plongées dans les désarrois de la mécréance et de l’occupation étrangère. En perte de repères, les populations s’identifièrent d’autant plus à ces héros qu’ils incarnaient non seulement des qualités humaines hors du commun, mais ils étaient également auréolés d’un halo d’érudition, d’ascétisme et de sainteté.
Au plan économique, la coalition des élites politiques et religieuses a contribué à asseoir l’économie du pays sur une seule culture de rente, l’arachide. Un choix scellé par l’opposition radicale des pouvoirs religieux aux programmes de reforme du secteur agricole du premier président tu conseil du Sénégal, Mamadou Dia.
L’attitude des marabouts ne devait rien à la spiritualité et tout au mercantilisme. Ils avaient une mainmise totale sur la culture de l’arachide qui constituait leur principale source de revenus, et celle du pays. Mais, la culture de l’arachide a la caractéristique de transformer les terres arables en terres arides.
Avec l’épuisement continu des sols, des cultivateurs, pour trouver de nouveaux sols plus riches, émigrèrent en grand nombre vers les terres grasses de Casamance, bouleversant le rythme des cultures traditionnelles de cette région du sud et causant de graves problèmes politiques, fonciers et communautaires qui ont engendré des conflits dont les retombées se font sentir encore aujourd’hui. Pire, le maintien de l’appareil productif hérité du pouvoir colonial français, et dont l’arachide constitue la pièce angulaire, demeure l’une des causes premières des ennuis présents et passés du Sénégal.
Au plan social, l’allégeance des populations à des guides religieux qui se distinguent d’avantage par leur affairisme, leur esprit du lucre, leur insatiable propension à consommer et leur capacité à vivre sur le dos de l’Etat et des contribuables, que par leur contribution à l’éducation religieuse et à l’éveil des esprits et des consciences. Ils entretiennent un obscurantisme des esprits qui se nourrit de la survivance de croyances et de pratiques d’un autre âge : idolâtrie, sorcellerie, charlatanisme, superstitions, etc.
En conclusion, ne nous réjouissons pas du camouflet infligé à Wade par le maitre de Touba, car ce revers là est aussi celui de la république et des forces progressistes du changement.
*Sanou Mbaye est un économiste et chroniqueur sénégalais basé à Londres. Il est notamment l'auteur de « l’Afrique au secours de l’Afrique », Les éditions de l'Atelier, Ivry-sur-Seine, France, 2009".