Anoci, à nos sous !
Souleymane Jules Diop Jeudi 27 Aoû 2009
« La vision est l'art de
voir les choses invisibles »
Jonhatan SWIFT
Si Abdoulaye Wade ne veut pas laisser à la postérité l’image d’un dictateur sans vergogne, il doit engager des poursuites contre son fils Karim Wade et ordonner son arrestation immédiate. S’ils aspirent à une société juste et à la démocratie qui a fait jusqu’ici leur réputation, les Sénégalais doivent l’y contraindre. Je reste convaincu que s’il était bien au courant des libertés que ses rejetons se donnaient avec l’argent du contribuable, le chef de l’Etat en ignorait l’ampleur. Abdoulaye Wade se transforme en vulgaire escroc dès qu’il s’agit d’argent, mais il n’est pas un suicidaire. Il peut donc, comme il le fait depuis quelques jours, dire « je ne savais pas, ils ne m’ont pas dit ». Le bon sens et la mesure n’entrent malheureusement pas dans les schémas intellectuels de son fils Karim. Le brillant ingénieur financier ne se donne aucune limite.
Au président de la République, je suis tenté de dire : maintenant que vous savez, Monsieur le président, prouvez-nous que nous avons eu tort de désespérer de vous. Le Sénégal tout entier vous observe, le monde vous regarde. Si vous soumettiez votre fils aux rigueurs implacables de la loi, vous en tireriez le plus grand parti. Cela vaudrait plus que les monuments que vous tentez de bâtir à votre gloire. Mais en avez-vous encore les ressorts ? Avez-vous la force de vous dresser contre votre épouse et votre fils ; comprendrez-vous enfin que ce que vous appelez « famille » vous conduit à votre perte ? Si votre fils était soucieux de votre image et de votre réputation, il ne se serait pas livré à de telles frivolités. Ou alors, ne seriez-vous que ce que votre épouse dit de vous, une « canaille » ?
Ces dernières années, vous avez a puni tous ceux qui ont réclamé la lumière sur la gestion de votre fils. Macky Sall a été particulièrement humilié, traqué, pourchassé, jusqu’à sa démission complète de l’Assemblée nationale. Ses deux lieutenants, Moustapha Lô et Mbaye Ndiaye, déchus de leurs mandats pour avoir osé défier le fils de « Dieu ». Vous avez, Monsieur le président, félicité votre fils pour ses « victoires » judiciaires obtenues avec les cabinets d’avocat les plus puissants du monde. Vous l’avez envoyé, avec ses cabinets de communication obscurs, batailler avec vos concurrents. ?Il se révèle que le récital verbeux servi devant les caméras de Walf-Tv et les explications caverneuses fournies à l’Assemblée nationale cachaient un embarras bien plus grand. Car si Abdoulatif Coulibaly me confirme sur beaucoup de points, chaque page de son fameux ouvrage livre une révélation choquante. Dans bien des cas, Abdoulaye Diop a dû s’opposer, au péril de sa vie. Il dort maintenant avec un pistolet sous l’oreiller. ?J’ai retenu pour ma part cette séquence épique durant laquelle, toute arrogance mise à part, Karim Wade appelle le ministre des Finances pour lui demander de « signer ».
« M. le ministre, tout est prêt. On n’attend que votre signature pour que les travaux puissent démarrer au Méridien. Mon père m’a chargé de vous demander de signer le contrat pour la rénovation du Méridien. Tout est fait, les travaux doivent démarrer, il ne reste que votre signature. »
Réponse du ministre :
-« Je veux être clair, je ne signe pas ce contrat »
-« Mais comment on fait alors… ? »
-« Comment on fait, c’est ce que je me tue à vous expliquer depuis tout à l’heure. Dites au président que je ne peux pas signer ce marché. Si vous ne pouvez pas le faire, je le lui dirai moi-même. »
Le marché de 26 milliards a finalement été signé par le ministre de la Construction pour la rénovation du Méridien président. Nous venons d’apprendre que la rénovation a été prise en charge par le personnel de l’hôtel lui-même.
Je me suis demandé combien de sénégalais ont payé de leur vie dans les hôpitaux, combien de femmes sont mortes à l’accouchement dans des maternités de fortune, pour entretenir une telle folie. Maintenant que nous manquons de tout, même de carburant pour libérer la banlieue de ses eaux, le moins que l’on puisse exiger est que ceux qui sont coupables de crimes économiques paient pour leurs crimes.
Pour beaucoup moins, des sénégalais ont été privés de liberté. Le président de la République reprochait à Idrissa Seck d’avoir dépensé des dizaines de milliards de plus que ce qui lu était permis. A son fils, il a transféré ces milliards, qui devaient servir préalablement à la construction de la route Matam-Linguère. Les entrepreneurs sont partis, les ouvriers mis au chômage. Le problème est qu’au lieu de dépenser l’argent ou d’en dépenser le double, Karim Wade l’a fait disparaître dans les méandres de la nébuleuse Anoci. C’est une prouesse sublime. Les villas présidentielles n’ont pas, à ce jour, vu le jour. Mais elles sont déjà comptabilisées.
A peine avons-nous fermé le livre d’Abdoulatif Coulibaly que d’autres révélations viennent à nouveau les compromettre. Pour les besoins de l’Anoci, disaient-ils, 400 jeunes avaient été recrutés pour être formés « à poser des assiettes, des fourchettes et des couteaux ». Le marché a été attribué à la société « Estelle », chargée de former ces jeunes qui devaient travailler dans de prétendus hôtels. Comme elle procède fallacieusement en de tels cas, l’Agence a fait financer cette formation par le Fonds de développement de l’enseignement technique. C’était pour un montant de 300 millions, du jamais vu pour ceux qui siègent dans cette structure. Le plus scandaleux c’est que si l’épouse de leur ami, propriétaire de la société s’est enrichie, les jeunes, eux, n’ont jamais trouvé de travail.
Que Karim Wade se taise n’a rien de surprenant. Il n’a rien à dire. Après ses hoquets compassés devant les tribunaux, ce livre vient lui rabattre le caquet. Les quelques affidés qui tentent systématiquement de le défendre ne font que le confondre davantage. Au lieu de prouver que le fils du président de la République n’est coupable de rien, ils travaillent à trouver un mouchard parmi ses collaborateurs. Ce qui se révèle au grand jour, c’est à quel point le fils d’Abdoulaye Wade se fait détester, même de ses propres collaborateurs. Parmi tous ses collaborateurs, de son porte-parole à son chargé de la Communication, personne n’a daigné le défendre. Quand ils sont assurés qu’ils ne sont pas « écoutés », ils rient bruyamment : « mais défendre quoi ? »
Ses nouveaux ennemis sont Souleymane Ndéné Ndiaye, Abdoulaye Diop et Cheikh Tidiane Gadio. Demain, il s’en fera d’autres, avec toujours la même méthode. Il essaie de s’essuyer sur vous. Dès que vous faites preuve d’un peu de dignité, il vous prend pour un ennemi. Ces derniers jours, ses comparses essaient de lui trouver un autre coupable, Abdoulaye Baldé. Mais dire, comme l’a fait Aïda Ndiongue, qu’il est seul responsable de cette gestion calamiteuse est d’une malhonnêteté intenable. Karim Wade s’est lui-même expliqué en commission de l’Assemblée. Il se disait « fier » de ce qu’il a fait. Il s’est lui-même rendu à Walf-Tv pour engager un débat avec Ousmane Tanor Dieng. Maintenant que les révélations compromettantes commencent, on lui cherche un essuie-pied. Je suis indigné qu’un haut fonctionnaire comme Abdoulaye Baldé trempe dans cette vaste combine. Mais il est clair dans la tête de tout homme honnête qu’il n’a été qu’un exécutant zélé, qui regrettera un jour d’avoir été loyal à des brigands.
Le débat qu’ils tentent de nous imposer ces derniers jours sur la suppression du second tour de la présidentielle de 2012 n’est qu’une façon oiseuse de cacher l’étendue du scandale. Nous ne pouvons pas postdater notre malheur. Nous sommes bien fatigués aujourd’hui pour penser à ce qui se passera en 2012. Je vous présente, en fac-similé, une lettre qu’Abdoulaye Wade a adressée à un architecte parisien, déjà évoquée par mes confrères de la Gazette. Il y évoque la résidence familiale qu’il prévoit de construire sur la Corniche. Les termes de la lettre sont elles-mêmes scabreux, puisque l’architecte abandonne le projet de nouvelle ville pour lequel il a déjà perçu plus d’un milliard. Mais en 2007, Abdoulaye Wade pensait déjà que Karim Wade allait devenir président, que la saga des Wade allait se poursuivre sur la Corniche. Au rythme où vont les choses, je ne pense pas que les Sénégalais seront assez patients pour le laisser là jusqu’en 2012.
Auteur: Souleymane Jules DIOP