La faculté de Médecine à l’épreuve
L’offre de soins chirurgicaux au niveau district : La faculté de Médecine à l’épreuve de la santé publique
La santé est un droit fondamental, constitutionnel, qui fait l’objet d’une exigence très forte d’égalité entre les Sénégalais. L’accès à des soins chirurgicaux en constitue l’une des expressions les plus marquantes. Ce dernier, défini comme priorité dans notre Plan national de développement pour la santé, est une des options majeures dans son principe, car il est accepté comme l’un des fondements éthiques essentiels du développement sanitaire. Bien que des avancées significatives en terme de couverture sanitaire aient été enregistrées dans le secteur de la santé lors de cette dernière décennie, force est de reconnaître qu’il n’existe pas encore une adéquation parfaite entre la charge en soins occasionnée par les affections relevant de la chirurgie et la capacité de prise en charge de nos structures de santé. La répartition de l’offre dans ce domaine, prise en charge par les exercices de planification, laisse entrevoir des disparités facilement perceptibles à la lecture des quotients de mortalité.
Si l’on sait que le champ potentiel offert à la chirurgie est aujourd’hui infini, on comprend que les demandes et les pressions qui s’exercent sur notre système de santé, de même que les attentes d’une frange importante de la population, soient plus grandes que jamais auparavant. Dans une société oscillant entre le désir de progrès et l’exigence d’équité, comment notre système de santé peut-il concilier ces approches ? Précisément, comment devons-nous faire pour que notre politique en matière d’offre de soins chirurgicaux, soit scientifiquement fondée, génératrice d’équité, acceptable pour le public et politiquement réaliste ?
Il est vrai que la pratique, en matière de chirurgie, rencontre aujourd’hui des courants d’analogie très forts qui se manifestent d’un pays à l’autre, et qui forment un schéma commun auquel aucun pays ne s’adapte entièrement, mais auquel tous s’adaptent partiellement. Cependant, le caractère unique des situations apparaît assez clairement et se manifeste assez souvent pour que l’on hésite à généraliser, à adopter trop rapidement des solutions universelles. Nous avons donc favorisé un débat afin de déchiffrer une réalité complexe et nous doter des clés de compréhension nous permettant de traduire les objectifs de développement sanitaire en actions fondées sur des stratégies pertinentes. Ce débat qui a permis de cerner autant les objectifs de l’offre de soins chirurgicaux au niveau district, que les enjeux qui lui sont liés, a eu comme ancrage, la réalité du système de santé, son environnement et les stratégies contrastées des acteurs concernés par le champ sanitaire.
L’objectif principal de ce projet lié à l’offre de soins chirurgicaux au niveau district, même s’il peut apparaître évident, a été de rapprocher les services publics des populations de manière à déconstruire la marginalisation dont certaines d’entre elles sont victimes, du fait de leur situation géographique. Les enjeux qui lui sont liés, sont multiples dans la perspective de susciter et de pérenniser des dynamiques susceptibles d’améliorer la situation sanitaire au Sénégal. Il s’agit d’enjeux liés à une meilleure définition opérationnelle de l’équité ; mais aussi, à la possibilité de construire un référentiel utilisable dans d’autres régions ; au développement des capacités locales, de la citoyenneté et de la démocratie participative ; au partage des responsabilités dans une logique de partenariat équilibré entre les pouvoirs publics, les partenaires au développement et les bénéficiaires de la santé ; à la participation des élus au financement des coûts liés à la santé.
Ce projet révèle aussi des enjeux liés à la formation médicale. En effet, c’est à partir des interrogations et des réflexions sur la finalité de projets comme l’offre de soins chirurgicaux au niveau district, que peuvent émerger les nouveaux fondements d’une formation médicale, fondements qui permettront de mieux prendre en compte les objectifs définis au sein des grands cadres stratégiques qui structurent notre système de santé.
Alors qu’en matière de santé, les consuméristes appellent aujourd’hui à l’explicite et à la transparence pour faire valoir démocratiquement leurs droits, il est impératif de dire intelligiblement ce que l’on attend de la Faculté de Médecine, pour répondre aux besoins des citoyens et aux exigences des futurs systèmes de santé. Définir clairement le rôle de cette institution, c’est identifier le champ de compétences nouvelles que le contexte socio-économique et culturel attend du médecin, et autour desquelles le programme de formation doit être construit. Il faut finalement se poser la question du sens de l’engagement des médecins, s’interroger sur les pratiques, les actions, les cadres d’analyse. Au niveau de cette faculté, la faiblesse des autorités académiques a souvent résidé dans leur incapacité à éviter la confrontation entre des valeurs appartenant à des ordres conceptuels différents. S’il faut revenir aujourd’hui à ce qui inspire l'action de la Médecine depuis les temples d’Asclépiades, c'est-à-dire le corpus hippocratique, nous pouvons néanmoins attendre de ces autorités, qu’elles se dotent de la vision, de la clarté conceptuelle, leur permettant de reformuler les idées qui y sont contenues. L’objectif principal étant de répondre aux attentes des populations sénégalaises.
Nous nous rendons compte aujourd’hui, plus que jamais auparavant, que si les moyens ne manquent pas de revitaliser la chirurgie au Sénégal, cependant, nous ne sommes pas certains d’avoir utilisé au mieux toutes les ressources dont nous avons disposé pour diminuer les taux de mortalité liés aux affections relevant de cette spécialité. Dans le contexte sénégalais, une des alternatives pour améliorer l’accès aux soins chirurgicaux, est l’intégration des soins dits essentiels aux activités des centres de santé périphériques. L’expérience des Soins obstétricaux et néonatals d’urgence (Sonu) participe de cette démarche de santé publique. Elle a été initiée depuis 2001 par le ministère de la Santé, avec les appuis technique de la Clinique gynécologique et financier de la Banque africaine de développement.
Nous savons que le maillon essentiel de la chaîne, et l’élément critique en matière de réduction de la mortalité maternelle, est la personne qui, possédant des compétences en obstétrique, peut procéder à des accouchements normaux, diagnostiquer les complications et, soit prendre la malade en charge, soit la diriger vers un niveau de soins plus élevé. Il a suffi donc de former les médecins de district de façon à ce qu’ils soient capables d’effectuer des gestes obstétricaux essentiels, dont la césarienne. Aujourd’hui, cette triple approche des inégalités territoriales, de l’équité sociale et d’une prise en charge globalisante a permis de favoriser des établissements situés à des échelons inférieurs de la hiérarchie hospitalière, par un enrichissement de compétences jusqu’alors réservées aux établissements de rang supérieur. Il s’agit d’une initiative hautement productive avec des acquis certains, dont l’intégration effective au niveau de 34 centres de santé, des soins obstétricaux et néonatals d’urgence dans le Paquet minimum d’activités ; l’amélioration significative des indicateurs liés à la mortalité maternelle et néonatale, l’adhésion des populations à ces soins. La santé publique praticienne qui s'est trouvée ainsi dotée de nombre de prérogatives, habituellement réservées au seul corps des hospitalo-universitaires, a évidemment constaté un élargissement de son champ d’action.
Concernant la chirurgie de district, pendant longtemps, on a eu le sentiment que deux logiques s’opposaient : l’une, partagée par les responsables de la Clinique chirurgicale, a toujours envisagé la qualité comme une exigence individuelle, alors que l’autre, appliquée par les pouvoirs publics, considère la qualité du point de vue de ses enjeux collectifs. Cette concurrence des argumentaires a longtemps freiné l’action. La plupart des échecs liés aux projets sanitaires provient de la méconnaissance des réalités socio-sanitaires dans les pays en développement comme le nôtre, dont témoignent bon nombre d’acteurs. Cette méconnaissance se traduit le plus souvent de la projection de modèles d’interprétation étrangers au contexte, dont ils ne livrent qu’une image appauvrie et déformée. Ouvrir un débat entre la chaire de Chirurgie, la Coopération belge et le ministère de la Santé nous a permis l’émergence d’une conception globale de la chirurgie de district, ce qui a permis de garantir la cohérence des objectifs poursuivis et de clarifier le statut des argumentaires mobilisés.
Nous nous sommes avant tout gardés de positions trop générales et idéologiques, car elles risquent de ne pas tenir compte de la complexité de chaque cas. Revendiquer une position par trop unique ne tiendrait pas aussi compte d'enjeux si essentiels. Le principe qui a constamment structuré notre démarche au cours de cette concertation (ministère de la Santé et le ministère de l’Education à travers le Département de Chirurgie), a été l’éthique de la responsabilité qui, selon D. Sicard, doit ‘assumer les conséquences de ce qui est fait aujourd’hui avec confiance et prudence, pour pouvoir assurer le futur toujours meilleur’. Cette concertation nous a permis de forger une culture partagée de la qualité autour des droits des malades, droits qui consacrent la notion de qualité des soins et du système de santé, qualité qui n’est plus, je le répète, seulement une exigence déontologique individuelle pour les soignants, c'est-à-dire une fin en soi, mais qui devient, en réponse à la demande citoyenne, une exigence politique collective d’équité et de sécurité des soins.
Si une décentralisation des spécialités et une intégration de leurs prestations sont des impératifs que personne ne met en doute, cependant - et le chef du Département de Chirurgie a raison - la décentralisation par délégation de tâches est un processus difficile à pérenniser. L’option choisie, dans le cadre de la chirurgie de district, a été de mettre à disposition de manière tournante un étudiant en fin de spécialité au niveau des centres choisis. Avec l’apport de la télémédecine, on a pu ainsi développer une chirurgie générale de qualité associée à une mutualisation des moyens, couvrant la majorité des gestes courants dans ces centres de proximité, sous une supervision universitaire. Un bon système de référence est venu compléter le dispositif.
Nous sommes ainsi d’accord avec les responsables du Département de Chirurgie pour dire que proximité ne rime pas toujours avec qualité, et qu’au-delà des enjeux d’équité, nous devons rester vigilants à l’équilibre bénéfice/qualité/coût dans l’utilisation des deniers consacrés à la santé des Sénégalais. La démarche affichée par ce département illustre sa volonté d’être considéré comme un acteur important sur l’échiquier de la santé pour la recherche de stratégies d’action. Ce département, tenant d’une vision claire des priorités, c’est-à-dire guidé par la finalité de son action, peut tenir cette posture. En acceptant un tel partenariat, il a créé une dynamique de santé publique en faveur d’une valeur emblématique de la santé : l’équité. Le principe de justice sociale est ainsi formulé, qu’on attend des responsables de ce département qu’ils adaptent leur formation, en plus de la traditionnelle exigence du colloque singulier, aux nouveaux défis de société et à un usage plus équitable des ressources de santé. Les activités menées sur le terrain lui ont permis de mieux comprendre son propre positionnement dans la complexité du système de santé.
Nous avons pu instituer un rapport de complémentarité et de partenariat stratégique, qui s’est substitué au rapport de mise sous tutelle de la santé publique praticienne par la santé publique académique. Soutenu par la Belgique, qui a investi préférentiellement sur un projet en mesure de démontrer son impact sur le développement sanitaire durable du pays, nous comptons ainsi augmenter la demande de soins pour la chirurgie, mais aussi la capacité de réponse du système de santé pour une chirurgie de qualité et à moindre coût. (A suivre)
Professeur Oumar FAYE Directeur de la Santé