Quel héritage après Wade ?
Quel héritage après Wade ?
Ne sommes nous plus au Sénégal des Blaise Diagne, Ngalandou Diouf et Lamine Gueye, qui ont marqué d’une empreinte indélébile l’histoire politique de notre pays ? Le Sénégal n’a-t-il pas été dans un passé récent la vitrine de l’Afrique en matière de démocratie ?
Ne s’est-il pas toujours illustré par la qualité de ses ressources humaines qui font toujours les beaux jours des organisations internationales civiles et militaires ? Ne sommes-nous plus au pays du Président-poète dont le succès le plus éclatant aura été de façonner un Sénégalais policé et intelligent ? Intelligence, finesse et compétence sont les choses les mieux partagées dans notre pays.
Le Président Senghor a eu également à montrer la voie en renonçant au pouvoir à un moment ou rien ne l’y contraignait. Sans doute jugeait-il avoir donné à sa patrie tout ce qu’il pouvait et que d’autres fils de ce pays tout aussi valeureux avaient eux aussi des pages à écrire dans la marche irréversible du peuple vers des horizons de progrès et de démocratie.
Ne sommes-nous plus au pays de l’alternance apaisée grâce à la grandeur et au sens de la responsabilité du Président Abdou Diouf qui, a choisi de ne pas confisquer l’expression des Sénégalais, seuls souverains pour décider de qui peut valablement présider aux destinées de notre Nation ? Qu’est-ce qui a bien pu se passer pour que l’avènement de Wade coïncide avec la mort du génie sénégalais et l’émergence d’une société de contrevaleurs aux antipodes de nos fondamentaux ? Où est passé la compétence de nos cadres ? Ne sont ils plus Sénégalais, tous ces éminents fils de ce pays, tout simplement parce qu’ils ont choisi de croire en eux-mêmes et de servir leur pays dans la dignité et le refus de la négation de soi ?
Comment comprendre que l’espoir qui est toujours symbole de jeunesse, ait pu transhumer au Sénégal vers le troisième âge, au crépuscule de la vie ? Pourquoi ne serions-nous pas préoccupés par l’âge du Président que personne ne veut évoquer sous peine de choquer les Sénégalais ? Bien au contraire, il faut pointer du doigt le problème et sans complaisance convenir que l’ambition du Président n’est pas du tout réaliste. Le premier facteur d’instabilité du pays, c’est la précarité de l’état de santé du Président à cause de sa vieillesse avec tout ce que cela comporte en termes d’usure. Quel que soit le référentiel utilisé, que ce soit la société traditionnelle ou celle moderne, les personnes âgées prennent du recul et font profiter à la jeunesse de leur sagesse et de leur expérience par les conseils éclairés qu’ils peuvent prodiguer.
Il faut en parler, car il y va de l’avenir de ce pays et de sa paix future, en parler pour éviter que le pouvoir ne tombe entre les mains d’une bande mue seulement par leur volonté de jouissance et qui ignore tout des réalités sociologiques du Sénégal et des vrais attentes des Sénégalais. Cette volonté de se maintenir au pouvoir au moment où tout milite contre, ne peut relever que de la vanité.
Se croire irremplaçable dans ce Sénégal qui regorge de femmes et d’hommes aux connaissances et aux expériences beaucoup plus pointues que celles des gens formés au temps colonial, est une illustration de la vanité de notre vieux Président. Ne devrions nous pas repenser la sagesse de Jean Paul Sartre qui disait, je cite : «Les cimetières sont remplis de gens qui se croyaient indispensables.»
Et il faut savoir raison garder, car il y va finalement de la dignité des descendants de Kocc Barma que nous sommes tous. C’est à croire que notre patriarche de la République est plutôt l’otage d’une bande d’ambitieux et d’aventuriers qui veulent se cacher derrière son image pour tromper la vigilance des Sénégalais et assouvir leurs sombres desseins. Mais cela ne passera pas, car les Sénégalais ont fait confiance à Abdoulaye Wade et non à une quelconque substitution.
De sa part, la reconnaissance pour tous les honneurs que le peuple Sénégalais lui a fait serait en toute loyauté, de respecter les règles du jeu démocratique qui sont de mise depuis que le Sénégal est indépendant, ce qui lui a d’ailleurs valu d’être aujourd‘hui à la tête de l’Etat.
Le Président Abdoulaye Wade a le devoir de laisser en héritage un Sénégal en progrès réel dans le cadre d’un système démocratique reconnu et apaisé. C’est un minimum qu’il doit à ce peuple qui lui a tout donné. Ce serait dommage si à l’avenir l’évocation de son nom rappelle à la fois la beauté de son entrée et la laideur de sa sortie.
lomoustapha1@yahoo.fr
La candidature de Wade, la vice-présidence et l’aporie du dauphin : Les prémisses d’une retraite politique laborieuse et mouvementée
«Dans la maison de la fourmi, la rosée est une tempête.»
Ce proverbe pourrait suffire pour caractériser les réactions épidermiques que les dernières manœuvres politiques de Wade ont suscitées chez le maire de Thiès et ses proches. Contrairement à ce qu’il veut faire croire, le maire de Thiès est pris au dépourvu et même humilié par les fourberies de son maître.
Et s’il en est ainsi, c’est parce qu’il a voulu faire une politique de la fourmi : une vadrouille interminable entre l’opposition et le pouvoir. Malheureusement, la redistribution des cartes opérée par le Secrétaire général du Pds a non seulement écarté Idy des plans de Wade, mais un système d’anéantissement de ses ambitions a été mis en place. C’est comme si Wade s’employait ouvertement à l’enterrer vivant : après avoir réussi à amener les Sénégalais à renvoyer à l’ex-Pm l’image d’un homme obnubilé par le pouvoir et le cliché d’un inconstant notoire, il l’a attiré vers l’impasse politique. S’il quitte le Pds avant les élections de 2012, il lui sera difficile de mobiliser la logistique politique et les moyens de s’engager dans une campagne électorale contre Wade et l’opposition réelle. Et s’il reste dans le Pds avec un candidat Wade déjà «blindé», ce sera assurément le début d’une extinction politique lente, mais irréversible.
L’agitation médiatique actuelle du bonhomme des chantiers nébuleux de Thiès est donc tout-à-fait naturelle : à sa place personne n’accepterait de se résigner à une mise à mort politique programmée. Qui à la place et dans la situation actuelle de cet homme politique controversé, ne serait pas condamné à adopter une stratégie de la contre-offensive, seule gage de sa survie politique ? C’est maintenant clair que le grand sophiste de la cité du rail ne fait pas partie des plans de Wade. Ses réactions sont donc sont celles d’une bête blessée ; et il n’hésitera pas à «mordre» quiconque le hasard disposera sur son chemin. On a longtemps et vainement épilogué sur les raisons de la «création» du poste de vice-président et les arguments les plus répandus convergeaient à la même conclusion : c’était soit pour caser un fils putatif décidément trop ambitieux et pressé, soit pour faire descendre la rampe sous les pieds inexpérimentés de son fils biologique. Aujourd’hui cette piste est quasiment abandonnée et est même suspectée d’être une fausse piste destinée à égarer l’analyse politique. On reproche souvent à l’analyste politique et au journaliste cette manie de la prophétie, mais on oublie qu’il s’agit d’une exigence fondamentalement humaine : l’homme est friand de la connaissance de l’avenir parce qu’il est orienté vers l’action. Hier les Saltigués [devins traditionnels] scrutaient l’avenir pour annoncer une bonne ou mauvaise pluviométrie et prodiguaient au peuple des conseils (allant de l’offrande à faire au type de conduite à adopter) ; aujourd’hui la météo semble faire mieux, elle prévoit avec une précision plus nette la pluviométrie et si cette dernière s’annonce faible, l’intervention technologique de l’homme est préconisée pour ensemencer les nuages : la même logique demeure, seul change le mode opératoire. L’homme refuse la fatalité absolue : il ne se résigne jamais et ne tolère guère le mystère absolu. De là vient aussi notre tendance à nous projeter dans l’avenir, à deviner ce que les hommes d’Etat manœuvrent : sans cette disposition nous serions de viles sujets. Le Sénégal n’échappe pas à cette règle : en parcourant la littérature politique et journalistique ou en écoutant les hommes politiques, on peut aisément constater une sorte de pathologie à la prophétie politique. Cette pathologie a été accentuée par une mythification outrancière du Président Wade et de sa famille : nous sommes tellement obsédés par les Wade qu’il nous arrive de projeter sur eux les pires fantaisies.
Pour espérer faire face, de façon efficace, aux Wade, il nous faudra impérativement guérir de cette obsession largement handicapante. Chercher inlassablement à persuader les Sénégalais que voter Wade c’est baliser le terrain pour son fils est une entreprise qui s’avérera contre-productive. Il faut se libérer d’abord de cette obsession qu’un homme frustré a communiquée voire contaminée à ses concitoyens. A force de persister dans ce radotage, on finira par persuader les Sénégalais que c’est normal que Karim devienne l’héritier naturel de Wade. Il faut signaler d’ailleurs que celui qui s’autoproclame aujourd’hui le héros de la lutte anti-Karim ne le fait que parce qu’il est lui aussi persuadé que le pouvoir pouvait, ou devrait même, lui être facilement légué par le père. Il ne s’oppose au projet monarchique que parce que, comme Polynice, dans Antigone de Jean Anouilh, il a été frustré de ne pas être l’héritier. Max Weber a dit que «tout homme qui fait de la politique aspire au pouvoir - soit parce qu’il le considère comme un moyen au service d’autres fins, idéales ou égoïstes, soit qu’il le désire «pour lui-même» en vue de jouir du sentiment de prestige qu’il confère». Rapportée au contexte sénégalais, cette sentence nous révélera que trop souvent on n’embrasse la vocation politique que pour le salut personnel. On est alors en droit de demander au héros de la lutte anti-Karim : quelles sont les fins idéales au nom desquelles il aspire au pouvoir ?
Sur le plan purement humain, cette fixation sur les Wade peut être doublement motivée. La première motivation est que la décrépitude biologique de Wade engendre une relation de plaisanterie et de cousinage envers sa personne. A son âge, on est généralement l’objet de quolibets et de sobriquets qui font que même si on n’est plus dans la vie active, on est encore maintenu dans la logique d’une utilité sociale à laquelle nul ne peut échapper. La deuxième motivation est que le chapitre final d’une existence, même monstrueuse et vile, présente toujours plus d’attrait et d’intérêt que les exploits d’une vie jeune et en quête de réalisation. Ce principe est davantage valable en politique : quand la fin approche, on cristallise toujours des passions, on focalise l’attention. Or Wade est assurément le symbole d’une vie remplie, la vie d’un homme qui a largement contribué à la démocratisation de son pays. Sous ce rapport, il fonctionne comme les archétypes Jungiens qui constellent notre inconscient collectif. On a même parfois l’impression qu’il est le pilier central de l’architecture de notre démocratie : c’est pourquoi nous sommes constamment déroutés par ses actes et paroles.
Aujourd’hui que le débat sur la recevabilité de sa candidature fait rage, on semble enterrer celui de l’opportunité et de la fonction du poste de la vice-présidence. Même si la loi y afférente n’est pas encore promulguée, le fait qu’elle soit votée par le Parlement mérite d’être médité. La question que nous nous posons est assurément naïve : et si le schéma russe avait momentanément inspiré Wade ? Sachant que la Constitution russe ne lui permettait pas un troisième mandat consécutif, V. Poutine a inventé ce qu’on pourrait appeler la gouvernance par procuration. D. Medvedev a été élu Président conformément à la volonté populaire qui s’est trouvée être aussi la volonté de Poutine dont il était le dauphin incontesté. Transposé dans le contexte sénégalais, ce schéma pourrait avoir la fonction d’une soupape de protection pour le régime de Wade en cas de doute sur la recevabilité de la candidature de ce dernier. Wade à la vice-présidence avec des attributions qui lui garantiraient une marge de manœuvre significative dans la conduite du pays et un Président façonné à être docile ou, en tout cas, disposé à être sur le pied d’une bonne entente avec le patriarche : c’est loin d’être absurde.
Dans la mesure où Wade n’était, il n’y a guère longtemps, pas convaincu de la recevabilité de son éventuelle candidature, le bon sens nous indique que la création du poste de la vice-présidence n’est pas étrangère à ce doute. La redoutable question pour Wade devient alors celle-ci : qui pour jouer le rôle de Medvedev ? Il faudrait quelqu’un qui soit suffisamment charismatique, mais aussi «sûr», pour ne pas abîmer le plan : le charisme de Pape Diop est plutôt domestique, celui de l’actuel Premier ministre est certes politique, mais c’est sa docilité qui serait problématique. Wade sait mieux que quiconque que dans cet immense labyrinthe qu’on appelle la politique, les monstres sont d’une férocité telle que la seule vertu ne suffit pas, il faut assurément un faisceau d’astuces et d’agilité très affinées pour sauver son âme ou pour assurer sa survie.
Cet homme n’a jamais entrepris avec autant de vénération, d’ingéniosité et surtout de passion, autre chose que la politique : c’est sa vie. Mais la question de son héritage le hante quotidiennement parce qu’en politique les aléas son tellement nombreux et imprévisibles qu’une erreur suffit à ébranler les édifices les plus robustes. Le caractère laborieux de son testament montre que Wade ne s’est pas sérieusement préparé au pouvoir et notre malheur est qu’il n’hésitera pas à instrumentaliser les institutions pour combler le vide qu’il y a autour de lui.
Professeur au Lycée Ahmadou Ndack Seck de Thiès, auteur du livre Le Sénégal sous Wade ,
Cahier d’une démocratie sans démocrates, L’harmattan, avril 2010