Le gendarme du Bon Dieu
Le gendarme du Bon Dieu
Article Par ALIOU NDIAYE, Journaliste à l' Observateur
Paru le Mercredi 30 Déc 2009
Dans l’ombre et par la pénombre, on entend, souvent, d’un pas lourd et chargé, une sorte de diligence passer. C’est le temps. Surnommé Avenir ou Destin, le gendarme «in-ségurable» du Bon Dieu tient son sifflet strident. Et malgré le mensonge immortel et la dissimulation éternelle, il verbalise régulièrement les peuples malentendants. Il dresse des montagnes de cadavres et exhume des cuvettes de fosses communes. Dans son relief mortellement accidenté, coulent, aussi, des ruisseaux de larmes. La téléréalité afghane, le Noël ivoirien ou la trinité de Bronze de Ouakam. Le temps hurle ce 31 décembre 2009. Mais il y en a qui n’ont pas d’oreilles. Même quand vous allez, en leur mansarde, cherchez leurs oreilles, vous ne les trouvez pas. C’est un défaut d’auditif qui les empêche de se conduire. D’entendre que leur sacre devient un reste de massacre.
Les peuples, il est vrai, aiment les chants, les romans et les charlatans. Mais attention ! Un grand chanteur le serinait : «On peut tromper une partie du peuple une partie du temps, mais on ne peut tromper tout le peuple tout le temps. Et les wolofs de traduire que rien ne résiste à la durée.» Même pas les masques. Le débat sur la famille Coréenne des Mamelles en a fait tomber plusieurs. De cyniques brocanteurs ont été pris en flagrant délire de spéculation. Depuis des années, ils prennent nos pauvres âmes pour des cantines et font commerce de hadiths douteux. Le Coran est pour eux une banque. Ils y empruntent des versets détournés pour extorquer et fructifier leurs industries mercenaires. Leur dernière opération de promotion médiatique a viré à la banqueroute. Mais le mal est fait. Les Chrétiens souffrent bruyemment, les musulmans rasent les murs de la Cathédrale de Dakar et la laïcité positive du Sénégal a été morniflée. Peut-on s’attendre seulement à voir un mal pour un bien ? Tous ces pochards enturbannés, combien de temps vont-ils encore prendre notre religion de soumission pour une boisson ?
En démocratie, il y a toujours un temps pour débattre. C’est bien mieux que de combattre. Et l’irruption du religieux dans la polémique sur la trinité de Bronze de Ouakam n’est pas, en soi, mauvaise. Ces Imams et Oulémas sont des citoyens sénégalais respectables. Rien ne peut justifier que leurs croyances soient insultées au frais du contribuable. C’est même une forme de fondamentalisme que de croire que l’art à tous les droits et le citoyen aucun. Même pas celui de manifester son désaccord, de crier à la faute de goût. Car on est en face d’une faute culturelle grave, symptomatique d’un mariage morganatique raté. De l’âge de glace à l’ère dégueulasse, dirait le journaliste écrivain Ibou Fall, les «doomou’madame» ont toujours manifesté aux gens des faubourgs un mépris souverain. Mais tout de même !
Le temps nous enseigne aussi que la vipère sort du tombeau. C’est ainsi que de la Sierra Leone mortifiée nous est venu la preuve par un ancien enfant soldat. Un fils égaré de l’infâme guerre du diamant. Quand les armes ont gueulé dans ce pays, nous avions, calé dans nos canapés, eu de l’horreur à gogo, de la mutilation en technicolor et en mondovision. Qui s’imaginait, alors, que les éclaboussures de sang allaient un jour tacheter le Sénégal ? Pourtant dans la nuit du 6 au 7 décembre dernier, un ex-enfant soldat sierra-léonais a froidement abattu, aux Parcelles Assainies de Dakar, un père de famille sans histoire. A l’image de nos sémillants apprentis pyrotechniciens, la plupart des acteurs de cette sale guerre, loin des yeux inquisiteurs de la Cour pénale internationale, mâchent, tous les jours, paisiblement, leurs cure-dents tachetés de sang. Retraite paisible pour criminel assouvi et repu. Et comme l’impunité africaine a des jours ensoleillés devant lui, prenons le temps de prévenir ! Nous devons nous retenir. En dépit des dérapages verbaux récurrents. Le Sénégal peut se permettre de ne plus exporter sa démocratie. Peut-il, pour autant, se piquer d’importer du chaos par container ?
Le temps de l’année finissante et des sorties présidentielles inquiétantes, voilà donc 2010. A côté des mers qu’on n’arrête pas avec ses bras, des vagues qui déferlent à tous va, le Destin, gendarme du Bon Dieu, passera. Avant, il nous laissera le temps de nous interroger. Qu’en est-il de l’âge de la raison et la raison de l’âge ? Cinquante ans d’indépendance, ça donne des responsabilités à tout le monde. Regardez la petite ménagère de chez vous. Que fait-elle chaque matin ? Elle empoigne son balai et chasse les ordures de la maison. Et ça, la famille coréenne de Ouakam l’ignore certainement.