prix de l'arachide
Prix artificiel et prix réel de l’arachide : Le monde rural étranglé
A défaut d’un certain niveau de maîtrise de l’eau pour le développement optimal de l’agriculture sénégalaise, le bon Dieu nous a gratifié, cette année encore, d’une suffisante pluviométrie et d’abondantes récoltes, en particulier de l’arachide, qui, au demeurant, occupe toujours une position dominante parmi les différentes spéculations agricoles dans notre pays. En effet, cette spéculation de rente et d’auto-subsistance adaptée à notre biotope et modèle traditionnel de consommation demeure la principale source de revenus monétaires du monde rural majoritaire dans notre pays, en dépit de la désaffection incompréhensible du régime libéral vis-à-vis de cette filière agro-industrielle et agro-pastorale. Le paradoxe en est que les revenus du monde rural baissent continuellement dans un contexte inflationniste et de crise de l’emploi, alors que les productions pour cette année ont progressé plus que proportionnellement grâce au concours d’une situation climatique favorable utilisée par les manipulateurs zélés de conscience pour vanter des subterfuges comme la Goana ou autres pluies provoquées afin de s’adjuger de la clémence divine. D’ailleurs, les récoltes auraient été meilleures si les semences n’étaient pas de tout venant et les engrais disponibles à temps.
Comment dans un Etat où règne la normalité, les pouvoirs publics peuvent-il être rétifs à la croissance des productions agricoles ? En plus d’être une véritable source d’énergie pouvant se substituer au charbon avec ses coques, l’arachide constitue aussi une base alimentaire pour le cheptel ainsi que pour l’aviculture. La tragi-comédie atteint son paroxysme quand, aujourd’hui, devant une abondante récolte d’arachide, le régime libéral organise une véritable fuite en avant dans la phase stratégique de commercialisation, notamment sur la fixation des prix et, par là même, organise l’anéantissement systématique du monde rural.
L’abandon du monde rural par les pouvoirs publics sénégalais actuels vient d’être attesté par le récent rapport de l’Usaid consécutivement à une enquête approfondie qui stipule l’existence de contraintes majeures rendant difficile l’investissement dans le secteur primaire stratégique. Car, au vu de la nécessité absolue d’accroître de façon intensive la contribution devenue très faible du secteur primaire à la formation du Pib qui se situe, aujourd’hui, à moins de 15 % avec seulement 5 % pour l’agriculture, l’amélioration de l’environnement des affaires devrait être orientée plus vers le monde rural que vers les secteurs ayant moins d’impact sur la vie de la majorité des populations, si tant est qu’on veuille bien réduire la pauvreté et atteindre les Omd à terme échu vers l’horizon 2015. Il y a lieu de faire apercevoir qu’avec le désengagement progressif de l’interventionnisme de l’Etat, la contribution du secteur rural qui était de 23,8 % du Pib en 2000, a chuté à un niveau autour de 15 % de nos jours, démontrant l’amoindrissement progressif et le niveau faible des ressources dévolues au secteur primaire et subséquemment de la paupérisation croissante dans les campagnes et la bidonvillisation.
La désaffection volontaire des pouvoirs publics vis-à-vis du monde rural s’est manifestée encore cette année à travers la garantie d’achat sur seulement une quantité de 300 000 tonnes au prix supposé subventionné de 165 F Cfa le kg pour une production autour de 900 000 tonnes, occasionnant le rejet de 600 000 tonnes à la merci des forces implacables du marché, défavorables aux producteurs. Le malheur des paysans atteint son paroxysme lorsque le prix dit subventionné de 165 F en référence à un prix dit réel de 120 F obtenu à partir du cours artificiel mondial de l’arachide, annule la rémunération du travail, d’autant que le différentiel des prix (165-120) rapporté sur 300 000 tonnes (13 milliards de francs Cfa) retourne dans la poche des huiliers. Il y a lieu de faire apercevoir que les huiliers et autres industriels préféreront, dans une démarche rationnelle, s’approvisionner dans le marché diffus et laisser de côté la subvention, dès lors qu’ils pourront acquérir le kg d’arachide à des prix très faibles par le jeu des mécanismes du marché défavorable aux producteurs. Par exemple, si le prix d’acquisition dans le marché diffus est de 70 F, on voit bien que 165 F - 120 F = 45 F vaut moins que 120 F - 70 F = 50 F.
Dans un marché interne atomique où il y a une multitude d’offreurs avec une mobilité et homogénéité des productions, les forces implacables du marché, lorsque l’Etat laisse faire, orientent les prix sensiblement à la baisse, en deçà du prix référentiel de 120 F le kg considéré comme le prix naturel. Si bien que les 2/3 de la production nationale pourront être achetés sur le marché entre 100 F jusqu’à un niveau de 70 F le kg.
Il s’y ajoute que la référence au cours mondial pour la détermination du prix interne au producteur du kg d’arachide annule le coût du travail des producteurs dans la détermination du prix de revient, à partir du moment où les prix internationaux réels sont biaisés en raison des importantes subventions des pays développés, notamment sur les produits agricoles substituts à l’arachide. D’ailleurs, c’est une hérésie au Sénégal, aujourd’hui, que nos huiliers importent de l’huile végétale concurrente subventionnée en lieu et place de la trituration de la totalité de nos productions nationales, phénomène qui participe à l’élimination de la filière arachidière et au dépérissement du monde rural. Nous pouvons dire que le régime libéral est à la solde des industriels qui maximisent leurs profits sur le dos des paysans avec une minimisation de leurs revenus monétaires, en laissant faire d’une part et, d’autre part, en les faisant concurrencer au moyen de l’huile importée subventionnée, provoquant le contingentement de l’achat des productions nationales agricoles.
Le prix étant défini comme l’expression monétaire de la valeur d’un bien, le prix naturel actuel du kg d’arachide au Sénégal, compte tenu du coût élevé des facteurs techniques de production, de la quantité de travail incorporée et du niveau général des prix, après calcul, ne doit pas être inférieur à 225 F le kg, hors marge du producteur. Ce niveau de prix naturel du kg d’arachide, dans les conditions technologiques actuelles, ne devrait pas subir une indexation sur le cours mondial artificiel de l’arachide en raison des importantes subventions et soutiens à l’exportation des produits agricoles substituts. C’est dire que la référence au cours mondial de l’arachide, dans la détermination des prix internes, est attentatoire aux intérêts des masses paysannes.
La politique économique pour favoriser une croissance qui profite à des minorités et à des entreprises privées étrangères dans le domaine industriel comme dans le domaine des infrastructures et de l’immobilier, va a contrario de la lutte contre la pauvreté dans nos pays et d’une répartition acceptable des revenus entre villes et campagnes. Moins d’argent dans le monde rural est constitutif de plus de problèmes macro-économiques et d’une pauvreté toujours plus accrue. L’élasticité de la réduction de la pauvreté, au regard des composantes sectorielles de la croissance, montre l’importance cruciale du secteur agricole dans ce domaine. Par exemple, une hausse de 1 % de la contribution de l’agriculture au Pib, augmente le revenu des pauvres jusqu’à concurrence de 2 % avec effets d’entraînement dans les autres secteurs du fait de l’accroissement induit de la demande globale de consommation, tandis qu’il est de 1,2 % dans l’industrie et de 0,8 % pour les services et infrastructures. Au Burkina Faso, la seule culture du coton fait nourrir, dans des conditions acceptables, plus de 3 millions de personnes, traduisant le fait que les investissements dans les secteurs à travail intensif sont plus porteurs que ceux orientés vers les secteurs à capital intensif. L’achat de la totalité de la récolte nationale d’arachide (900 000 tonnes) au moins au prix de 165 F et non sur une quantité réduite de 300 000 tonnes serait le minimum pour un soutien au monde rural. Le contingentement de l’achat des graines sur la base de 300 000 tonnes occasionne le rejet de 600 000 tonnes dans le marché diffus et crée le foutoir, mettant ainsi le monde rural à la merci des spéculateurs de tout bord.
C’est de nos jours une tautologie que d’affirmer qu’on assiste, la mort dans l’âme, à une véritable déstructuration de l’agriculture sénégalaise par le désengagement de l’Etat et la pratique de prix non rémunérateurs, au déséquilibre entre zones urbaines et zones rurales, aux disparités consécutives à l’agrandissement des écarts de développement et des écarts de revenus, accroissant davantage le sous-développement dans notre pays.
Kadialy GASSAMA Economiste Rue Faidherbe X Pierre Verger Rufisque