La caste des «Intouchables»
Lorsque le lundi 18 août 2008, quelques heures à peine après les saccages des locaux de 24h et L’As, le Directeur de publication du premier cité accusa, sans hésitation, le pouvoir en place d’en être l’instigateur et comble d’ironie, affirma sans ambage : «Ester en justice serait vain», nous attribuâmes ces propos à l’émotion et crûmes, pour cette fois, que la tragédie ne céderait pas à la farce (pour reprendre la logique marxiste sur l’Histoire lorsqu’elle se répète)
En effet, après l’épisode «Régalien» du 5 octobre 2003 qui faillit priver le Sénégal d’un de ses meilleurs talents politiques, revoilà une autre nuit des bleus calots.
Combien fut grande notre surprise lorsque notre propagandiste en chef (qui fut nommément cité comme étant commanditaire) ne fut nullement inquiété et que grâce fut accordée aux «bleuets».
Ainsi donc l’histoire a donné raison à EL Malick. La rhétorique hégélienne postule que lorsque l’histoire a raison sur la raison, c’est toujours pour de mauvaises raisons. Nous n’enfoncerons pas les portes déjà ouvertes des rapports entre Roi et Valet pour dénicher les raisons à l’origine de cette clémence, mais gageons qu’elles soient des plus mauvaises.
Au demeurant, cela ramène les derniers sceptiques, dont votre serviteur, à la dure réalité de l’impunité au Sénégal.
Nous ne voulons pas parler de cette impunité politique qui assure aux tenants actuels d’un pouvoir électif ou nominatif, une immunité future quel que fut leur mode de gouvernance et de gestion : certains demandent même à d’autres de partir la tête haute. Entre amis «Dakarois», c’est la moindre des choses.
Nous ne voulons pas parler de cette impunité économique qui permet à des «générations de constructeurs» (Maître dixit) d’effectuer des montages institutionnels et financiers et des pratiques affairistes indignes sans risque majeur, sinon gravir les marches menant à la station présidentielle. Entre père, fils et frères libéraux, c’est la moindre des choses.
Non ! nous voulons parler de cette impunité que nous ressentons sans la toucher, que nous vivons sans la voir, qui concerne vous, moi, nous tous, bref ce sentiment d’impunité qui nous enveloppe à chaque fois qu’éclate une nouvelle affaire impliquant le Roi, les «fous» du Roi ou les cavalier «bleus».
Ce sentiment d’impunité qui n’est pas le fruit d’une absence de règles ou d’absence d’application de celles-ci, mais le résultat de la volonté politique d’un gouvernement qui, soumis aux pressions de groupes et lobbies puissants, légitime en quelque sorte, par une loi d’amnistie, ou par des actes de grâce, les violations des droits de l’Homme qu’ils commettent.
Que nos propos soient clairs : nous ne remettons en cause ni la légalité des Grâces présidentielles encore moins celle de la loi d’amnistie générale dite Ezzan.
Non le débat ne se pose pas en termes de Légalité, mais plutôt en termes de Légitimité. En effet, est-il légitime dans un Etat qui se veut de droit de se livrer à des exercices de gymnastique juridique afin de soustraire des individus ayant commis des actes délictueux à la punition qu’ils méritent ? On ne pourra pas alors sérieusement parler d’Etat de droit mais seulement d’Etat légal, puisque l’Etat de droit suppose une application réelle et indifférenciée des règles adoptées par l’Etat légal.
Est-il légitime dans un pays, qui se veut chantre du dialogue et de la démocratie apaisée, de laisser se développer un sentiment d’impunité ?
Envoyer un message subliminal aux acteurs du jeu démocratique et consistant à ancrer dans leur subconscient, l’existence d’une application abstraite et différenciée de la loi est-il le devoir des détenteurs du pouvoir «régalien»?
Nous croyons que non !! En effet, en contribuant à instaurer un climat et une culture de la violence, l’impunité voue à l’échec toute consolidation d’une démocratie apaisée.
D’un côté, elle offre aux bourreaux une «illusion d’intouchabilité» qui les conforte dans leurs exactions et légitime en quelque sorte leurs futurs actes. Et d’un autre côté, elle fait des victimes, des «doubles» victimes : d’abord, par la violence subie, puis en leur signifiant que la société ne prend pas en compte ce qui vous est arrivé.
Ainsi, la conjonction des deux sentiments d’impunité et d’injustice est la porte ouverte à toutes les dérives. En effet, lorsque l’application de la loi s’opère par une discrimination d’appartenance, le sentiment d’impunité qui en découle conduit les composantes hors du circuit du pouvoir à devoir compenser le déficit de sécurité ressenti par une auto sécurité.
Le risque majeur étant ainsi l’émergence de structures d’autodéfense. Cet état de fait dans un schéma de conquête de pouvoir est le lit de germination de conflits heurtés. Exemple typique de ce qu’il est convenu d’appeler le syndrome de Brazzaville où dans une situation de lutte de pouvoir, l’instauration d’un climat d’instabilité et d’impunité, a généré la formation de milices polititico-ethniques qui déboucha sur la guerre civile de 1997.
Nous entendons d’ici les désapprobations quant à l’éventualité d’un tel scénario au Sénégal. «Maam yi da niou fi niane»* rétorqueront d’aucuns. Soyez assurés que nous ne souhaitons pas à notre pays pareil Mal. Et c’est cela même l’objet de notre propos. Tirer la sonnette d’alarme afin que dans le contexte sociopolitique tendu (prévisible compte tenu des intérêts en jeu et des individus en action) vers lequel nous nous dirigeons, une telle situation puisse être évitée.
En effet, partant du principe que le Sénégal ne bénéficie pas d’une situation d’extraterritorialité spatio-temporelle qui le mettrait à l’abri des maux traversés par des pays identiques, comment sortir de l’imbroglio du sentiment d’impunité au Sénégal et éviter ses corollaires précités ?
Il ne s’agira nullement de tendre l’autre joue comme le préconisent les Evangiles. Encore moins de convoquer le Pentateuque ou Le Coran et appliquer le Talion. Certains ont plus peur de la justice de leurs «frères» d’obédience que de celle Divine.
Nous croyons d’abord que la lutte contre l’impunité, surtout au Sénégal, ne peut se limiter à des mécanismes exclusivement judiciaires d’autant plus que nous constatons qu’il y a au sein de la population le sentiment que l’actuel système judiciaire est en défaillance complète.
Ainsi en complément de l’aspect judiciaire (heureusement obligatoire), il faudrait des initiatives qui contraindraient le Législatif et l’Exécutif à ne pas s’immiscer dans les mécanismes judiciaires ex-ante ou ex-post. Si l’intrusion dans le Judiciaire se faisait au détriment de toute logique républicaine, il faudrait offrir à la Magistrature l’opinion comme œil de Caïn (l’exemple du non lieu de mai 1994 concernant l’affaire Me Sèye a prouvé que nos magistrats, face à la pression politique, peuvent donner leur intime conviction pour peu qu’ils sentent une volonté populaire que le Droit soit dit et seulement le Droit).
Pour cela, il faudra d’abord que les acteurs du jeu démocratique, en premier lieu les partis politiques, fassent de la lutte contre toutes les formes d’impunité une exigence politique au même titre que le respect du calendrier républicain ou la transparence des opérations pré et post électorales. Car, la politique ne saurait se réduire à la conquête et la gestion du pouvoir, mais consiste aussi à participer à l’érection d’une société de dialogue et de mieux vivre préalable nécessaire à toute initiative de développement économique. Et qui mieux que les partis politiques pour mettre en branle un système organisationnel de contestation ?
Ensuite, que la société civile joue sa partition sans équivoque. Il est bien beau de défendre Pape Mbaye ou de récuser la puissance paternelle. Mais dans un contexte d’impunité latent, le néo new-yorkais et ses «ami(e) s» ou la regrettée Doki Niass (Paix à son âme) seront plus des faits divers banals que symbole d’une société à ouvrir sur ses propres réalités d’aujourd’hui.
Enfin que la Diaspora s’implique davantage dans ce qui constitue un combat pour la quiétude des siens (qui ne passe pas seulement par Western Union) par le biais d’une communication internationale «agressive» et ciblée sur les dérives impunies. Sachant que les libéraux sénégalais sont plus prompts à réagir au questionnement d’un Béchir Ben Yahmed («Sénégal : y a-t-il un pilote dans l’avion ?» Jeune Afrique N° 2499 du lundi 1 décembre 2008) qu’aux protestations encore audibles de Kambel et Kara.
Les enjeux sont là. Réagir chaque fois que nécessaire sinon, comme le précise le président de l’Alliance Jëf Jël M. Talla Sylla : «Chacun aura son jour de malheur tant que l’impunité régnera en... Maître.» Les responsabilités sont situées. Que chacun prenne les siennes en se souvenant d eEdmund Burke rappelant que l’inaction des gens Biens est la voie royale pour le triomphe du Mal.
Papa Abdoulaye DIOP
Rouen- France
editocontribution@gmail.com
* Les prières de nos Saints Grands-parents garantissent Paix et Stabilité au Sénégal.