Polémique Wade-Imams
Polémique Wade-Imams : De l’opportunité du débat sur la renaissance africaine dans les religions révélées
Le Monument de la Renaissance africaine est parti pour être le symbole fort de la vision politique du président Abdoulaye Wade (pour autant qu’on arrive à l’en déposséder et à s’en approprier) malgré les souffrances, les faims, les soifs et toutes les contingences qui peuvent être brandies comme véto contre son érection. Une nation doit-elle seulement s’arc-bouter sur les affres de son quotidien et oublier de s’interpeller sur le sens de sa destinée ? Et peut-on pardonner à une ‘élite intellectuelle’ de ne s’adonner qu’au colmatage de solutions quand la vraie libération d’un peuple se fait par le haut, c’est-à-dire la compréhension profonde des problèmes et enjeux qui requièrent tout son élan vital ? L’opportunité de poser la problématique de la question ‘noire’ dans la Bible, le Coran et leurs systèmes institués est incontournable. Et dût-on vendre le Sénégal pour la poser éminemment, nul ne devrait trouver à y redire tant elle est centrale dans la définition de nos identités islamiques, chrétiennes et traditionnelles.
Spirituellement parlant, Abdoulaye Wade serait-il un signe de la post-modernité ? Aurait-il atteint ce degré de maturité et de consomption qui fait qu’un être migre spirituellement en ce méta-lieu supra confessionnel, où l’orthodoxie principielle seule importe, et où tout dogme se relativise nécessairement par la force même du sens et de la finalité de la Révélation ? Parce qu’être ‘profane’ et s’aventurer à défier des imams dans une sphère qu’ils estiment être la leur est osé et téméraire, mais la Jamatou Ibadou Rahmane, les imams et oulémas, les associations islamiques qui se dressent en face de Abdoulaye Wade, sont-ils sur la même longueur d’onde islamique que lui ? La légitimité dont ils s’estiment être le porteur ne leur est-elle pas déniée par leur protagoniste ? Ce débat n’est-il pas lancinant en Islam, où le face-à-face ésotéristes-exotéristes n’a eu de cesse ? Au-delà, n’est-ce point-là, qui se profile, la question tenace du discernement entre Islam, arabité et négritude ?
Il suffit en effet qu’Abdoulaye Wade se situe en Islam dans une vision holistique, inclusiviste et globale de la Révélation, qu’il considère que le texte coranique dans sa polysémie et sa sacralité échappe à toute appropriation, à toute interprétation individuelle et définitive et à toute réification, qu’il considère l’Islam comme cette parole divine que l’humanité a toujours connue et ne cessera jamais de connaître (coran, 4, 163-164), pour que le paradigme socle de l’intellection et la démarche change radicalement. Parce qu’à partir de cet angle d’approche, le président Abdoulaye Wade s’inscrit dans une théologie islamique de la libération, c'est-à-dire une apostrophe cognitive et spirituelle du sens même de l’Islam. Et sur ce point la téléologie foncière que postule la Révélation ouvre grandes ouvertes les portes pour un ré enchantement du monde.
Dans ses Futûhât-al-Makkiyya, Ibn Arabi, avec une lucidité froide déclare : ‘Absolument personne n’adore Dieu tel qu’en lui-même. Il n’est adoré qu’en tant qu’il est fabriqué par l’adorateur. Comprends donc ce secret, car il est absolument subtil’. Est-il nécessaire de rappeler que la diversité est foncièrement islamique. Shah Walli Allah, le soufi et réformiste indien, n’a-t-il pas proposé la contextualisation dans l’approche du saint Coran, développant la notion de Révélation progressive, c'est-à-dire de ‘l’interaction dynamique’ entre la volonté de Dieu, les réalités du terrain humain et les besoins propres à chaque communauté ? Abdennour Bidar n’est-il pas allé, dans ‘un islam pour notre temps’, jusqu’à proposer d’abroger radicalement les versets qui ne s’accordaient pas avec notre modernité, pour plus d’Islam, faisant ainsi écho à Mahmoud Mohamed Taa exécuté en 1985 pour avoir appelé à ne plus tenir compte des versets médinois, car ils répondaient à des situations historiques ponctuelles qui ne concernaient plus les musulmans contemporains ? Enfin les relais négro-africains de la Risâla Mohammadienne tel Cheikh Ahmadou Bamba, n’ont-ils pas grandement raison d’avoir substitué à l’initiative individuelle hasardeuse la remise confiante et sincère à une autorité spirituelle qualifiée pour inspirer cet amour du divin et cette prosternation intérieure réelle faite de contemplation, de crainte et d’adoration de la face du maître des mondes ?
C’est dire que gérer la complexité ne peut être affaire de vague sentimentalisme. Il s’agit d’être vigilant, mais d’être humble. Et en l’occurrence, il nous semble qu’à titre égal, Wade et les imams ont raison, le premier d’être ce qu’il est et les seconds d’être ce qu’ils sont. Cependant, tout est en Dieu… Seuls l’anathème exclusiviste et l’extrémisme inutile sont à déconseiller. Dénier à autrui le droit de promouvoir les symboles de sa religion, comme c’est le cas en Suisse, n’a rien à voir avec s’inscrire dans une démarche spirituelle particulière. Dans le premier cas il s’agit d’un rejet, dans le second d’une invite subtile au dialogue. Une statue en tant que telle est vide de sens. La charge qu’on y met, sa ‘portance’, seule est bannie par Dieu. La sagesse recommande de ne pas comparer la société singulièrement polythéiste de l’Arabie du 5e siècle avec ce que fut l’Afrique traditionnelle, la seule civilisation radicalement monothéiste du monde antique (qu’on nous permette de revenir plus tard sur cette question à laquelle nous avons consacré une partie de notre vie). Quant à l’islam noir, le vrai, nous pensons que c’est le seul aujourd’hui en mesure de porter le flambeau de la Révélation mouhammadienne (…)
Mais au-delà de Wade et des imams, ce qu’il faudrait à l’Afrique et au Sénégal, c’est réfléchir en priorité sur son identité et sa place dans le concert des sacerdoces humains. Savons nous, face à autrui, mais avec lui, pourquoi nous avons été faits noirs, sénégalais, après avoir partagé la condition humaine ? Toute religion appelle à cette introspection. On ne peut être soldat d’une cause dont on ignore la finalité et qui ne sait pas ce qui il est, erre, que ce soit en religion, en politique ou dans n’importe quelle entreprise terrestre.
L’opposition dans l’Islam entre ésotéristes et exotéristes, entre soufis et salafistes, entre littéralisme et inclusivisme, entre lectures contextualisées de la Révélation et lectures hors contexte auxquelles d’aucuns ont asservi la Religion, entre orthopraxie réductionniste et orthodoxie dogmatique, entre ce que Eric Geoffroy, après une lecture intelligente du Cheikh Abdel Wahid Yahya, a appelé dans son dernier ouvrage ‘l’Islam sera spirituel ou ne sera plus’, ‘un fondamentisme spirituel’ et un fondamentalisme religieux, est ce à quoi fait écho, il nous semble, le débat Wade-Imams, en même temps qu’il rend compte de la complexité de l’Islam noir et du conflit latent entre arabité et négritude quant à la légitimité islamique. Débat du reste très délicat et décisif, qui touche aux idiosyncrasies confrériques et à ce qu’elles incarnent d’authenticité, de vitalité et de témoignage islamique.
Que peut une statue contre Dieu, ici, au Sénégal ? Quel Sénégalais préférera ou ‘s’attachera’ à un monument plus qu’à Cheikh Ahmadou Bamba, Oumar Foutiyou Tall, Cheikh Ahmed Tidjâni ? Nul n’accepte de voir ses valeurs subverties, mais le comportement banni par Dieu à la sourate 51 V. 21 est loin de celui qui guette le peuple sénégalais dont l’attachement à l’Islam fondamental des vertus cardinales de soumission et de don de soi n’est plus à démontrer et ne trouve son pareil dans aucun peuple africain et dans aucun peuple sur cette terre, selon nous. Les seules idolâtries, les seuls absolutismes qui guettent ce grand peuple sont nichés au fond de la religion, où ils travaillent à faire de sorte que le facultatif supplante l’Essentiel. Dieu nous protégera de telle violation et spoliation de conscience.
C’est le cœur qui blasphème et c’est lui qui associe, au fond, avant de réfléchir sur l’esprit, quand piégé dans la dualité, il a perdu contact avec la plénitude de l’Unité foncière du Tout. Et-Tawhîdu Wahidûn, la doctrine de l’Unité est Unique. Rien sur terre et dans les cieux ne peut avoir la prétention de sortir du vouloir, du pouvoir et de l’avoir divins (coran 17 V.44). Si la multiplicité dans laquelle nous a plongés la contingence de cette existence terrestre nous rendait paralytiques et aveugles au point de ne plus envisager toute chose In Divinis, ne sera ce point nous les perdants ? ‘Les 7 cieux, la terre et leurs habitants proclament sa gloire. Il n’y a rien qui ne célèbre ses louanges, mais vous ne percevez pas cette incantation’ (Coran 17 V.44). Ce monument ne peut être, ne sera jamais autre chose que ce que nous en aurons fait.
Au-delà de cet exposé sommaire, il me semble qu’il faille de toute urgence œuvrer à la réimperméabilisation de l’Essentiel et de l’Espérance, de la foi véritable. La porosité de nos âmes est une gangrène mortelle. L’homme n’étant que ce qu’il cache en définitive, ce qu’il cache étant au demeurant ce qui déteint au travers de ses pensées, paroles et actes, que l’Esprit consume tout ce qui voudrait ou tendrait à nous rendre redevables d’autre chose que de Dieu et de comment il advient à nous, c'est-à-dire notre intrinsèquité radicale, notre idiosyncrasie céleste.
Louis Alphonse J. Sarr K.K.
Guide spirituel du groupe ToubaSalikhine Saromaadh.lajkk@yahoo.fr