Trop d’impôts tue l’impôt
Trop d’impôts tue l’impôt
En cette année 2010, le gouvernement sénégalais semble avoir décidé d’utiliser
tous les moyens en sa possession pour pressurer sans états d’âmes les
utilisateurs des services de télécommunications. Ainsi, à peine la redevance
sur l’accès ou l’utilisation du réseau de télécommunications publiques (RUTEL)
a-t-elle soufflée la première bougie de son entrée en vigueur le 1er février
2010 que l’on apprend que le gouvernement a déposé un projet de loi devant
l’Assemblée nationale pour faire passer de 2% à 5% le taux de cette redevance
qui s’applique au montant hors taxes des prestations payées aux opérateurs de
télécommunications, sous prétexte de mobiliser des fonds supplémentaires pour
lutter contre la pauvreté. Pourtant, la mise en application de cette loi, votée
en catimini le 21 juillet 2008 par l’Assemblée nationale, adoptée par le Sénat
le 22 aout 2008 et promulguée le 3 septembre 2008, avait à l’époque provoqué un
tollé général chez les professionnels du secteur des télécommunications comme
chez les associations de défense des consommateurs qui, en signe de
protestation, avaient organisé une journée de boycott des services de
télécommunications. Non content de cette mesure, le gouvernement s’apprête a
accroitre encore un peu plus le niveau de taxation indirecte des services de
télécommunications en faisant appel à la société Global Voice Group pour la
gestion du trafic international entrant et sortant ce qui impliquera bien
entendu un surcoût qui sera à n’en pas douter à la charge du consommateur.
Jamais en manque d’imagination lorsqu’il s’agit de mettre en place de nouveaux
dispositifs de pressurisation, le gouvernement avait même envisagé à la fin de
l’année 2009 de taxer tous les appels reçus avec l’objectif de récolter par ce
moyen une centaines de milliards de FCFA. Si l’on ajoute à cela les impôts et
taxes diverses normalement payés par les trois opérateurs de télécommunications
que sont Orange, Sentel et Sudatel, il apparaît clairement que le secteur des
télécommunications est devenu une véritable vache à lait pour l’Etat. Pourtant,
les services de télécommunications ne sont plus un luxe mais une commodité
tellement banale que l’Union européenne a intégré l’accès à Internet dans le
service universel européen et que la France considère, dans son plan numérique
2012, l’accès au haut débit comme une « commodité essentielle » au même titre
que l’accès à l’eau et à l’électricité. Dans le même temps, l’Etat est
incapable de publier dans les délais la nouvelle lettre de politique
sectorielle du secteur des télécommunications alors que la dernière à avoir été
adoptée est caduque depuis le début de l’année 2010, sans tenir compte du fait
qu’à l’origine elle devait couvrir la période 2004-2008. Pire, le Sénégal ne
s’est toujours pas doté d’une stratégie nationale pour le développement du
secteur des technologies de l’information et de la communication et l’une des
explications avancées par les représentants de l’Etat pour expliquer cette
situation n’est rien de moins que le manque de moyens (sic !). Ainsi malgré,
les milliards de FCFA d’impôts et de taxes diverses prélevés sur les opérateurs
de télécommunications, les entreprises et les particuliers, tant par l’Etat que
par l’Agence de régulation des télécommunications et des postes (ARTP), il
serait impossible de trouver les quelques millions nécessaire à l’élaboration
d’une stratégie nationale d’où la nécessité de recourir à l’appui de bailleurs
de fonds étrangers pour accomplir cette tâche. Il est grand temps que le
gouvernement sénégalais cesse de nous rebattre les oreilles des sénégalais avec
ces multiples projets de lutte contre la fracture numérique, tous plus
mirifiques les uns que les autres, et qu’il s’attaque enfin concrètement à
jeter les bases d’un développement véritable du secteur des TIC. Quel meilleur
symbole de cet immobilisme inhibiteur de toutes les initiatives et
démobilisateur de toutes les énergies que le projet du Technopole adopté en
1996 et rebaptisé Cybervillage en 2004, qui jusqu’à présent n’a débouché que
sur bien peu de choses alors que dans le même temps la Tunisie, un de nos
concurrents directs en Afrique, a créé pas moins trois technopoles (Elgazala,
Sfax et Sousse) spécialisés dans le domaine des TIC. Plutôt que d’étouffer le
secteur des TIC par la pression fiscale, l’Etat ferait mieux de mobiliser à son
service les moyens financiers qui lui font tant défaut pour prendre son envol
d’autant que comme l’a démontré Arthur Laffer, trop d’impôts tue l’impôt.
Olivier Sagna Secrétaire général
BATIK
Bulletin d'analyse sur les technologies de l'information et de la communication
Lettre d'information électronique mensuelle publiée par OSIRIS
l'Observatoire sur les systèmes d'information, les réseaux et les inforoutes au
Sénégal
n° 130 Mai 2010