Les défis d’un nouveau mode de gestion
Eau potable au Sénégal
II - Les défis d’un nouveau mode de gestion
a - Le défi de la production
Pour le moyen terme
D’ores et déjà, il est urgent de bâtir de nouvelles stratégies de mobilisation de ressources en eau dont les infrastructures correspondantes devraient être mises en service en 2015 au plus tard pour éviter toute rupture dans l'approvisionnement en eau. L’urgence est signalée dans la mesure où l’expérience a démontré que le délai moyen de réalisation d’un programme hydraulique, de sa conception à la mise en service des ouvrages s’y rapportant, est de l’ordre de 4 à 5 ans essentiellement du fait de la longueur des procédures d’approbation de marché, et surtout de mobilisation des ressources financières.
Pour le long terme, le défi d’une réforme de 2ème génération devra être de sécuriser la couverture des besoins en eau sur une durée d’au moins 15 ans, soit à l’horizon 2025. Pour être relevé, ce défi exige des financements encore plus lourds que ceux mobilisés par le passé. C’est sans doute de ce point de vue qu’il faut entendre la volonté exprimée par l’Etat de ‘faire faire’ les investissements par un opérateur privé apte à lever les fonds nécessaires sur les marchés financiers.
Les autorités de l’Etat penchent pour la formule de la concession globale. La concession, qu’elle soit dévolue à une structure publique ou à un opérateur privé, qu’elle soit totale ou partielle, présente l’intérêt d’impliquer le concessionnaire dans le risque que constitue l’investissement. Le concessionnaire détient la responsabilité totale des services comprenant aussi bien l’exploitation, la maintenance et la gestion, que les investissements. La durée de la concession correspond généralement au délai de récupération des fonds investis.
Dans le contexte actuel, cette option présente un intérêt évident, dès lors que le concessionnaire s’engage à mettre en œuvre des investissements massifs aptes à stopper la ‘course poursuite’ Offre/Demande d’eau potable pour donner au secteur une visibilité sur le long terme. Naturellement, compte tenu du caractère éminemment social du service, il ne devrait pas être exclu que l’Etat puisse accompagner l’éventuel concessionnaire sur le marché financier pour lui faciliter l’accès aux ressources longues à taux compatible avec un prix de l’eau ‘acceptable’.
b - Le défi de l’exploitation
L'Etat doit veiller à assurer une exploitation optimale permettant au concessionnaire de ‘se payer’ sur le tarif de l’eau tout en restant dans les limites de la capacité de payer des usagers. Cette capacité de payer est aujourd’hui mise à mal par la hausse du coût de la vie. Aussi, à notre sens, subventionner l'eau dans une telle conjoncture ne saurait être considéré comme une hérésie, d’autant qu’il s'agit d'un bien social et d'un service public ; cette subvention permettrait de faire supporter par la collectivité le différentiel entre le prix marchand de l'eau et le prix ‘supportable’ par les populations.
Le secteur de l’eau est devenu hautement consommateur d’énergie du fait des choix d’investissements effectués (exploitation d’une ressource en eau éloignée des centres de consommation, mise en place de station de surpression pour le transport rapide de l’eau traitée, mise en place d’unités de traitements spécifiques contre le fer, le fluor). Son poids actuel dans l’exploitation et les questions de santé publique liées aux traitements spécifiques sus évoqués, impliquent nécessairement l’intervention de l’Etat sous forme de subventions (tarif électricité préférentiel ou subvention directe).
Les acquis à préserver
a - La Sones et la gestion du patrimoine hydraulique
La gestion du patrimoine hydraulique est du ressort de la Sones via un contrat de concession avec l’Etat d’une durée de 30 ans. La Sones, qui a acquis beaucoup d’expérience en matière de maîtrise d’ouvrage, de passation de marchés, mais également en matière financière, a su relever le défi. En quinze années, nombre d’ouvrages d’infrastructures de bonne facture ont été réalisés et sont actuellement en état de fonctionnement normal.
Sous sa signature et avec la garantie de l’Etat, elle a pu lever d’importants fonds auprès des institutions financières nationales et internationales, qui lui manifestent une confiance à la hauteur de son professionnalisme. En 2008, elle a été notée ‘A+ Long terme’ par l’agence de notation Global Crédit rating Co. Cette notation a pour base essentielle le ‘développement substantiel de solides infrastructures de production et de distribution inscrites au bilan de la Sones pour un montant d’immobilisations de 213 milliards F Cfa, représentant 91 % de l’actif de la société en 2007’.
Cette appréciation, faite par un organisme indépendant, doit être perçue comme un encouragement pour un accès futur aux marchés financiers émergents de la région (Uemoa). Forte de la reconnaissance de ses partenaires, la Sones demeure une alternative crédible pour l’Etat en cas de défaillance des opérateurs privés. Dans cette perspective, elle devrait être renforcée dans son rôle de collecteur de ressources financières longues et à taux d’intérêt compatible avec un tarif de l’eau ‘supportable’ pour les usagers. Son expérience, la qualité de ses ressources humaines, la confiance de ses partenaires, et enfin son poids dans le secteur l'y prédisposent.
En 2008, ses fonds propres étaient évalués à 144 milliards de F Cfa, et son capital en voie de restructuration estimé à près de 32 milliards de F Cfa, ce qui la place dans une position non négligeable dans le secteur de l’eau en Afrique.
b - Le Partenariat Public/Privé
Le partenariat public privé a constitué un progrès dans l’histoire institutionnelle du secteur en ce qu’il a permis la stabilisation de la fourniture en eau des populations. Sa réussite tient également au soutien effectif de l’Etat qui a assumé son rôle dans le paiement régulier de ses factures, mais également pour assurer l’équilibre financier. Cependant, ce partenariat n’aurait pas pu prospérer sans l’appui financier déterminant des bailleurs sur les programmes hydrauliques majeurs réalisés sur cette période. En toutes hypothèses, l’Etat devrait poursuivre cette collaboration avec un secteur privé national et transnational engagé plus que par le passé à prendre sa part de risque dans le financement des infrastructures structurantes.
En conclusion
Le choix d’un mode de gestion étant du ressort exclusif de l’Etat, son contenu dépendra de la politique de l’eau que ce dernier décidera de mettre en œuvre au regard des besoins et attentes des populations, des contraintes liées au type de ressources en eau à mobiliser, des contraintes d’exploitation qui en résulteront, et enfin des apports escomptés d’opérateurs (publics ou privés) pour répondre à ces diverses préoccupations. Le mode de gestion futur pourrait revêtir diverses formes.
Il peut être unique sur l’étendue du périmètre à définir, ou pluriel selon les zones ou même le type de ressources.
A titre d’exemple, le dessalement d’eau de mer, qui s’impose de plus en plus du côté de la Petite Côte du fait de l’intrusion saline dans les forages actuellement exploités, pourrait conduire l’Etat à y définir un périmètre spécial et un mode de financement spécifique (Bot), et par voie de conséquence, un mode de gestion adapté : la concession. Cette option remettrait de facto en cause certaines dispositions contractuelles, telles : - Le privilège exclusif accordé à l’actuel opérateur de produire et de distribuer l’eau sur tout le périmètre affermé (contrat d’affermage Etat/Sde), - le droit exclusif accordé à la Sones de construire, d’acquérir et de réhabiliter le patrimoine de l’hydraulique urbaine sur l’ensemble du territoire de la République du Sénégal (contrat de concession de travaux publics, l’Etat/ Sones).
Le mode de gestion futur peut rompre d’avec la dichotomie organisationnelle de l’eau séparant l’hydraulique urbaine de l’hydraulique rurale En effet, il est anormal que certains centres comme Ourossogui ne figurent pas dans le périmètre affermé alors que Matam, dont l’activité économique est moindre, y est inclus. Touba, non plus, ne figure pas dans le périmètre. Au regard de sa spécificité, il pourrait devenir un centre d’expérimentation du transfert de la gestion de l’eau potable aux collectivités locales, comme c’est le cas dans certains pays d’Afrique comme le Burkina. C’est dire que les motifs qui militent en faveur d’un réaménagement du cadre institutionnel actuel sont nombreux et dépendent en priorité de l’orientation que l’Etat voudra donner à sa politique de l’eau.
Par conséquent, la fin du dispositif actuel devrait être l’occasion d’une remise à plat de l’organisation du secteur pour faire face au défi permanent de l’approvisionnement en eau des populations du Sénégal dans un contexte d’explosion démographique nécessitant des ressources financières en raréfaction pour répondre à la demande. Toutefois, quelle que soit la formule qui sera mise en œuvre, la question centrale demeurera celle du financement des investissements, donc du prix de l’eau.
Le blocage actuel du tarif/usager de l’eau induit un biais qui, à terme, peut faire perdre au secteur ce qui faisait sa force, à savoir son autonomie financière. Si la substitution de l’administration aux autres usagers pour le paiement du juste prix de l’eau est de nature à conforter les équilibres comptable et financier actuels du secteur, il reste que cette solution ne saurait se pérenniser au risque d’obérer la trésorerie de l’Etat dans un contexte sectoriel inflationniste, et de gêner la trésorerie de la Sones en particulier du fait de retards de paiements. De plus, ce blocage a comme effet pervers de renforcer les populations dans leur conviction que le prix de l’eau ne peut être que social.
D’autres solutions peuvent être mise en œuvre. En effet, un tarif bloqué depuis 7 ans alors que le coût des infrastructures et les charges d’exploitation sont en constante hausse, est source de déséquilibre. S’il faut protéger les usagers les plus démunis par le maintien d’une tarification sociale, il est également équitable de revoir la grille tarifaire pour faire payer l’eau à son juste prix aux gros consommateurs, aux industriels qui ont la possibilité de répercuter sur leurs prix, et enfin aux maraîchers qui bénéficient d’une quasi subvention de la Sones parce que payant l’eau à un tarif inférieur à son tarif moyen.
En ordre de grandeur, il est utile de rappeler ici, à toutes fins utiles, que le tarif moyen de l’eau du m3 d’eau (soit 1 000 litres) payé par les usagers est de 510,25 F Cfa (HT) pour l’année 2009, soit à peu près le prix d’une bouteille d’eau minérale de 1 litre, et que les maraîchers, quant à eux, paient l’eau au tarif moyen de 138 F Cfa/m3 (HT).
En conclusion et au-delà de ce qui précède, notre conviction profonde est que la question de l’approvisionnement en eau ne saurait être totalement résolue sans la mise en en œuvre d’une politique d'aménagement du territoire conséquente, seule en mesure de mettre un frein à cet exode permanent vers la région de Dakar qui, de ce fait, concentre l’essentiel des infrastructures sociales de base du pays.Dans cette perspective, la politique d’aménagement du territoire du président Abdoulaye Wade qui prend forme avec l’option résolue de déconcentration des activités socio-économique, jette les bases durables d’une bonne politique de l’eau.
L’autoroute à péage qui va relier par voie rapide divers pôles économiques, l’aéroport Blaise Diagne, les infrastructures scolaires, universitaires et sanitaires réalisées dans les grandes villes du pays, le projet de la nouvelle ville en gestation, et la promotion du développement industriel dans les régions, vont dans le sens d'une fixation des populations, et induisent de ce fait un rapprochement entre les ressources en eau et les centres de consommation, seule gage d’une politique de l’eau à investissements et coûts d’exploitation maîtrisés, pour le plus grand bénéfice des populations. (Fin)
Abdoul Aly KANE Président du Conseil d’Administration de la Sones