La suppression du 2e tour de l’élection prés
Message à la nation du chef de l'Etat
II - La suppression du 2e tour de l’élection présidentielle en question
Dans son adresse à la nation, le chef de l’Etat dit : ‘Personnellement, je suis pour le maintien des deux tours, même si ce système est de plus en plus abandonné dans les démocraties modernes puisqu’il est source de dépenses inutiles et de tractations qui faussent l’expression de la volonté populaire et la remplace par des tractations politiques.’ Que le président de la République dise qu’il est ‘personnellement’ pour le maintien des deux tours à l’élection présidentielle, est une excellente chose. Mais, il est difficile de le suivre dans son raisonnement lorsqu’il affirme que le système des deux tours est de ‘plus en plus abandonné dans les démocraties modernes’. Loin de ‘fausser l’expression de la volonté populaire’, ce système, au contraire, renforce et crédibilise la volonté du peuple, en ce qu’il offre plus de légitimité à celui qui est élu sur la base de ce système.
Le chef de l’Etat, Me Wade, a fait 26 ans dans l’opposition, avant d’accéder à la magistrature suprême en février - mars 2000, à la suite d’une élection présidentielle à deux tours, qui s’est déroulée dans la transparence totale et qui n’a fait l’objet d’aucune contestation. Au premier tour, le candidat socialiste, M. Abdou Diouf, avait obtenu 51,30 % des suffrages contre Me Abdoulaye Wade, qui avait 31,01 %. Il a fallu un deuxième tour de scrutin qui a permis au candidat de la Coalition Sopi, d’avoir 58,46 % des suffrages contre Abdou Diouf qui a eu 41,51 %. C’est dire que s’il n’y avait pas eu les deux tours de l’élection présidentielle, Me Abdoulaye Wade ne serait pas élu chef de l’Etat en l’an 2000.
Au Sénégal, les deux-tours de l’élection présidentielle constituent un acquis démocratique de haute importance et irréversible. Par-delà la position personnelle du chef de l’Etat sur la question, et qui mérite d’être saluée, ce sont les déclarations des responsables libéraux de très haut niveau, proches de l’entourage présidentiel, qui s’efforcent de justifier le bien-fondé de la suppression du 2e tour.
Si l’on sait que la plupart des modifications unilatérales de la Constitution et de la loi électorale, qui ont rythmé la gestion libérale, ont été précédées de ballons de sonde du genre de ceux qui sont lancés actuellement, avant d’être votées mécaniquement par la majorité libérale au Parlement, il y a lieu d’être inquiet. Pour un pays qui a injecté 10 milliards dans la construction d’un tunnel qui n’est pas encore achevé, et près de 15 milliards dans la construction d’un monument dit de la ‘Renaissance africaine’, sans compter la mise en place d’institutions budgétivores, comme un Sénat de 100 membres, dont les 65 sont nommés par le président de la République, un Conseil économique et social, une Vice-présidence, sans compter la cinquantaine d’agences qui échappent à tout contrôle, (Ige, Cour des comptes, Règles de la comptabilité publique) est-il pertinent d’évoquer des problèmes de ‘gaspillage d’argent’ pour justifier la suppression du 2e tour de l’élection présidentielle dont la fonction est de départager les deux candidats arrivés en tête à l’issue du premier tour de scrutin ?
Notre pays est une vieille terre des urnes où on vote depuis 1848. La tradition électorale est solidement ancrée dans la société sénégalaise, à telle enseigne que la vitrine démocratique de notre pays lui a permis d’apparaître, depuis bien des années, comme un modèle par rapport à beaucoup d’autres pays du continent. C’est dire que le Sénégal n’est pas le Togo ou le Gabon qui viennent d’organiser une élection présidentielle à un tour, remportée par des dauphins constitutionnels. Ces pays viennent fraîchement d’arriver à la démocratie, ce n’est pas le cas du Sénégal.
Maintien du Code électoral en cas d’absence de consensus
Dans son message à la nation, le chef de l’Etat a dit : ‘Le Code électoral ne devrait pas être une pomme de discorde. Si un consensus global existe, nous appliquerons les accords. Dans le cas contraire, nous n’aurons qu’à conserver le code actuel, sans aucune modification, quitte à y revenir et à nous donner du temps après les élections’.
Le Code électoral, effectivement, peut ne pas être ‘une pomme de discorde’, à la seule condition que tous les acteurs politiques soient animés de la volonté d’avoir une attitude constructive, en recherchant des plages de convergence solidement établies. C’est dire que, dans une concertation, chacun vient avec ses propositions de départ et, au bout du compte, les protagonistes lâchent du lest afin de pouvoir sceller l’indispensable consensus qui constitue le terreau fertile de la matière électorale. Mais les partis de la Coalition Sopi pour demain ont fait preuve d’attitude figée lors de la récente concertation sur la réforme du Code électoral. Ils ont dit haut et fort qu’il y a des questions non négociables, car, quelle que soit la position des uns et des autres, des décisions sont déjà arrêtées sur ces questions. Dès lors, on ne se situe plus sur le terrain de la concertation, c'est-à-dire du dialogue, mais sur celui de l’épreuve de force. C’est cela qui est à l’origine du clash à l’Ecole nationale de police, avec le départ de Bennoo, suivi par la suite des ‘non-alignés’, lors de l’examen des points relatifs à la campagne électorale et au Conseil national de la régulation de l’audiovisuel (Cnra) qui gère les médias. Le camp présidentiel a clairement affirmé et réaffirmé sa position qui est que la campagne électorale devrait désormais durer 15 jours et non plus 21 jours, et que les médias ne devraient plus publier les résultats des élections avant 22 h. Pour les représentants de cette coalition, ce sont des décisions déjà arrêtées et ne pouvant faire l’objet d’aucune négociation. A partir de ce moment, à quoi servent les concertations, si ce n’est pour légitimer des décisions préalablement arrêtées, sur la seule base des intérêts du régime libéral. Une telle attitude est absolument inacceptable, et c’est cela qui explique et justifie la position de Bennoo Siggil Senegaal de quitter la table des concertations dès lors que les représentants du pôle présidentiel ne voulaient plus en fait de dialogue, mais plutôt de monologue.
Le chef de l’Etat a dit que si un consensus global intervenait, il appliquerait les accords. Mais pour qu’un consensus global puisse exister, il faut précisément mettre en place une Commission cellulaire composée de personnalités indépendantes ‘connues pour leur intégrité morale, leur honnêteté intellectuelle, leur neutralité et leur impartialité’, pour reprendre les dispositions de l’article L 4 du Code électoral. C’est cela qui nous a valu en 1992, en 1997 et en 2005, d’avoir des acquis importants qui ont permis d’ouvrir des pages nouvelles dans le renforcement et la consolidation de notre système électoral. C’est dire que nous sommes condamnés à trouver un consensus sur le Code électoral, car c’est ce dernier qui constitue l’instrument d’organisation et de régulation de la compétition électorale.
L’épine dorsale de celle-ci repose sur le principe d’égalité et d’équité entre les candidats et les listes en compétition. Dans une République, l’élection constitue le plus fort moment de la vie démocratique.
Le président de la République suggère qu’en cas d’absence de consensus, l’actuel Code électoral soit maintenu ‘sans aucune modification’ jusqu’après l’élection présidentielle de 2012. Mais, de notre point de vue, il est impossible de conserver le code électoral actuel jusqu’à la prochaine élection, pour plusieurs raisons. Citons les principales :
- La dernière réunion de la Commission technique de la revue du Code électoral, remonte à bientôt cinq ans (du 19 juillet au 4 août 2005). Depuis lors, il y a eu plusieurs modifications unilatérales du Code électoral de la part du régime libéral.
- Notre pays vient de boucler un cycle de quatre élections qui n’ont jamais fait l’objet d’une évaluation, ne serait-ce que pour tirer les enseignements, rectifier et corriger les manquements et dysfonctionnements constatés sur le terrain de la pratique électorale. Il s’agit de la présidentielle de février 2007 ; des législatives du 3 juin 2007 ; des sénatoriales du 19 août 2007 et des locales du 22 mars 2009. Aucun de ces scrutins n’a fait l’objet d’une évaluation critique par l’ensemble des acteurs du jeu électoral
- La charte fondamentale de notre pays a subi en 8 ans (2001-2009), 17 modifications soit en moyenne, d’après les constitutionnalistes, une modification tous les cinq mois. C’est le record absolu des modifications constitutionnelles dans le monde. Toutes ces modifications n’ont qu’un seul but sauver les intérêts du régime libéral.
- Suite au découpage administratif et territorial intervenu à la veille des élections locales de 22 mars 2009, la carte électorale qui est la géographie des lieux et centres de vote a été profondément bouleversée, en passant de 441 à 545 collectivités locales. Cette situation a favorisé le camp présidentiel et a porté un lourd préjudice à Bennoo qui n’avait aucune information fiable sur la nouvelle carte électorale qui détermine les investitures, la désignation des représentants et mandataires dans les centres de vote. La conséquence : Bennoo a été absent dans plus de cent collectivités locales, surtout en milieu rural, C’est pourquoi, la Coalition Sopi a remporté la victoire dans beaucoup de communautés rurales, parce que simplement dans la plupart de celles-ci, Bennoo était absent. Mais dans toutes les localités qui ont été moins touchées par le nouveau découpage, Benno Siggil Senegaal a remporté la victoire, surtout dans les grandes villes.
Ce n’est point à cause du fichier électoral qui demeure toujours piégé, mais c’est parce que Bennoo a su impulser une formidable mobilisation populaire et dresser un puissant dispositif anti-fraudes, qui a permis de boucher toutes les fenêtres et portes par lesquelles la coalition au pouvoir avait l’habitude de frauder. En remettant aux représentants des partis de Bennoo dans les bureaux de vote, la liste sur support de papier de tous les électeurs concernés par centre de vote, et en exigeant dans toutes les villes que la vote soit arrêté à 18 h, Bennoo a su déjouer et paralyser la machine de fraude des libéraux et de leurs alliés. C’est sans doute pour cette raison, que les partis du pôle présidentiel proposent que le vote soit prolongé bien au-delà de 18 h, et que la presse ne puisse pas communiquer les résultats des bureaux de vote, avant 22 h. Si l’on sait que la plupart des lieux de vote ne sont pas éclairés, surtout en milieu rural, on voit très nettement que le Pds et ses alliés veulent profiter de l’obscurité pour bourrer les urnes.
Aujourd’hui, certains cercles situés à un niveau très élevé du pouvoir libéral préconisent non seulement la suppression du 2e tour de l’élection présidentielle, mais également l’élévation de la barre de la caution à 100 millions, voire plus. Il y a lieu de s’inquiéter, si l’on sait que lors des discussions sur le montant des élections présidentielles et législatives de 2007, un consensus était trouvé pour 5 millions pour la présidentielle et 3 millions pour les législatives. Mais, au dernier moment, le président Wade a fixé le montant de la présidentielle à 25 millions et les législatives à 15 millions. Ainsi, le consensus a été rompu et piétiné par le régime libéral à quelques mois seulement de l’élection présidentielle. Pourtant, le protocole additionnel de la Cedeao sur la bonne gouvernance, signé à Dakar le 21 décembre 2001 et ratifié par le gouvernement, dit très nettement qu’au moins six mois avant les élections, on ne doit pas modifier les règles du jeu électoral ‘sans un consentement de la majeure partie des acteurs politiques’.
S’agissant de l’audit du fichier électoral, le chef de l’Etat avait suggéré qu’il se fasse avec la participation d’experts internationaux et nationaux. Bennoo réitère l’urgence et l’impérieuse nécessité d’auditer le fichier issu de la refonte totale, avant le scrutin présidentiel de 2012. Ce fichier est toujours piégé. La biométrie qui est censée être à la base de la refonte totale, n’existe pas. La ‘boîte noire’ dont on disait qu’elle renfermait les données biométriques des électeurs, n’existe pas. Jusqu’ici, personne n’a pu établir la traçabilité et l’unicité de l’électeur dans la base des données. Cette décision a été à la base de toutes les irrégularités constatées lors de l’élection présidentielle de 2007, en ce qu’elle a complètement jeté un épais voile de brouillage sur l’identification des électeurs. Par conséquent, cette procédure doit être absolument évaluée, avant la prochaine présidentielle de 2012.
Pour toutes ces raisons, et pour bien d’autres, il me semble absolument indispensable qu’un consensus soit trouvé sur les réformes à apporter au Code électoral parce qu’en tant qu’instrument de régulation de la compétition électorale, il doit obéir au respect des critères d’équité et d’égalité entre les candidats et les listes en compétition. Or, le code actuel n’est plus le code consensuel de 1992. Les nombreuses modifications qu’il a subies depuis l’avènement de l’alternance, ont profondément atterré son caractère consensuel. C’est la raison pour laquelle Bennoo Siggil Senegaal est favorable à l’instauration d’une Commission cellulaire composée de personnalités indépendantes des partis et politiquement neutres, en vue de rétablir le consensus salvateur qui permet d’élever très haut le flambeau démocratique de notre pays.
Dakar, le 14 janvier 2010
Ousmane BADIANE Chargé des Elections de la Ld Président de la Commission électorale nationale de Bennoo Siggil Senegaal
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