incapable face aux contracditions
Pourquoi le Sénégal va-t-il si mal ?
Par les temps qui courent, parler des difficultés énormes que vivent les populations sénégalaises dans leur majorité, c’est exprimer des lapalissades ou courir le risque de lasser les gens par du déjà entendu. Les grandes et graves questions qu’il faut poser, c’est d’abord pourquoi notre pays se trouve dans cette situation, et comment nous pourrons nous en sortir.
Tous les maux que nous connaissons en ce moment dans notre pays ont pour cause essentielle la mal gouvernance dont il est l’objet. Autrement dit, notre cher Sénégal est très mal gouverné ! Ce sont ceux qui nous gouvernent, ceux qui ont entre leurs mains le pouvoir, qui nomment aux différents postes, qui décident des politiques à promouvoir, qui gèrent l’essentiel des ressources (humaines, matérielles, financières) qui sont les premiers responsables de faits graves comme la dégradation de notre système éducatif, la baisse continue du pouvoir d’achat, l’augmentation pour ne pas dire la généralisation de la pauvreté, la perte de nos valeurs religieuses et morales, les délestages sauvages, les inondations endémiques, des nombreux et graves accidents de la circulation, etc. Et ce n’est pas fini. La liste serait longue. Personne ne peut nier ces faits que nous vivons au quotidien.
Qu’on ne nous dise pas que l’Etat ne peut tout faire ou que ce n’est pas seulement dans notre pays ! ‘Da fa yomb ! Taxawul !’. Je ne sache pas que les pays qui nous entourent, aient par exemple un système éducatif aussi perturbé que le nôtre ou qu’ils soient soumis à des délestages et inondations aussi récurrents que chez nous. On nous dira encore que, dans ce pays, il y a au moins la démocratie, la liberté de la presse ! Démagogie ! Mauvaise foi ! Quelle démocratie avec des institutions manipulées à souhait, des journalistes qu’on n’hésite pas à mettre en prison quand on veut, des marches qu’on interdit pour des prétextes parfois ridicules!
Combien de pères de famille, courageux, soucieux du devenir de leurs enfants sont aujourd’hui découragés, peinés et anxieux devant l’avenir sombre de cette jeunesse ? Combien d’enseignants compétents, consciencieux se sont découragés et ont préféré déserter les classes, car leurs efforts pour une école d’excellence ont été réduits à néant ? Combien de chefs d’entreprise, pleins de talents et porteurs de bons projets pour le pays, ont vu leurs ressources gaspillées, dilapidées ? Combien de jeunes filles s’adonnent à la prostitution pour parfois subvenir aux besoins de familles démunies ? Combien d’entre elles abandonnent chaque année leurs études à cause de la pauvreté ? Combien de croyants se livrent aujourd’hui aux nombreux jeux de hasard pour joindre les deux bouts ? Combien de jeunes gens ont, dans un passé récent, laissé leur vie au fond des mers ou des océans, car dans le désarroi du chômage, ils ont préféré tenter l’aventure vers un eldorado inconnu ?
Depuis lors, beaucoup de salive et d’encre ont coulé. On s’est, comme à l’accoutumée, dépêché de lancer des idées, de clamer des ‘visions’. Mais nous le savons, les mêmes causes sont encore là qui s’aggravent. Heureusement, le phénomène de la lutte est là, qui ouvre des perspectives d’emplois, donc de revenus pour de nombreuses familles. Alors, merci à Yékini, mon lutteur préféré, merci au docteur Alioune Sarr pour la hauteur que vous voulez apporter dans ce milieu pour que la force brutale, la recherche irréfléchie du gain ne créent pas dans ce milieu des dérapages regrettables. Ne verrons-nous pas bientôt des jeunes gens qui auraient pu devenir de brillants cadres ailleurs, délaisser ces facultés où ils peinent à réussir, pour embrasser la carrière de lutteur ?
Pendant ce temps, que voyons-nous autour de nous ? Des individus que nous côtoyions tous les jours, devenir ‘subitement’ très riches et vivre dans une opulence insolente. Et comment ? Parce que tout simplement, ils ont opté pour une politique sans éthique, fondée uniquement sur la recherche effrénée et par tous les moyens de l’intérêt personnel. Avec comme arme maîtresse, l’art d’être proche du ‘chef’ de lui plaire, de lui apporter des voix des ‘clients’. Ce sont de tels comportements aux antipodes de toutes considérations éthiques qui sont hélas le fait de beaucoup de nos compatriotes. Alors, ne nous étonnons pas de ce qui nous arrive. Des citoyens couchés (au sens de soumis) ne peuvent avoir que des dirigeants pour qui ils sont taillables et corvéables à merci. ‘Nit ni noo war a am fulla ! Kenn juddu wul ngir jiite. Lu Yàlla di indi la, te da fay am sabab. Ku réére lii, ak koo mën doon, juum nga’. Et il faut savoir que dans un pays de droit, le chef est élu par ses concitoyens qui l’ont investi de leur confiance dans l’espoir qu’il fera de son mieux pour régler leurs problèmes. De la même manière que l’enseignant recruté et affecté doit faire de son mieux pour bien former les enfants qu’on lui a confiés. Bu nu dee waxante dëgg, lii rekk la, du la neen !
Dans toutes ces difficultés, invoquer la responsabilité des pays du Nord, avec la traite de Noirs, la colonisation, la détérioration des termes de l’échange, relève d’une simple mauvaise foi ! Ceux qu’on doit accuser, ne sont personne d’autres que nos dirigeants qui, après plus de 50 ans d’indépendance, gouvernent nos Etats par la gabegie, l’incompétence avec de mauvais choix dans tous les secteurs de la vie nationale. Avec les manteaux trompeurs de la démocratie de façade, des discours de circonstance, et pour la galerie lors des rencontres internationales. Mais de plus en plus, les dirigeants de pays du Nord comprennent que la plupart des peuples africains n’ont pas encore les dirigeants à la hauteur. Ainsi, les présidents Sarkozy et Obama n’ont pas tort. Les peuples africains n’entreront dans l’Histoire de l’Humanité, tant qu’ils n’instaureront pas chez eux la bonne gouvernance, la véritable démocratie, la gestion fondée sur la concertation et la participation responsable. Ces mots ne sont pas des vocables à la mode. Ils traduisent de véritables outils de développement. Le véritable pouvoir se partage avec le peuple qui en est le véritable détenteur. Son exercice conduit inéluctablement, vers l’échec, avec ses corollaires de gaspillage, de pauvreté et aussi de violence. Regardons ce qui se passe au Niger par le fait d’un seul homme qui s’acharne vaille que vaille à perdurer au pouvoir. Mais heureusement, le peuple nigérien est debout et résiste, assuré du soutien des Etats du Nord. Il faut faire confiance à ces pays qui, quoi qu’on dise, ne cessent de nous soutenir. Il faut les aider à nous aider, en faisant d’abord nous-mêmes face à ces dirigeants qui n’ont pas compris la leçon Mandela.
Il y a des pays de la sous-région qui, sans tambour ni trompette, lentement mais sûrement, posent des actes de bonne gouvernance et tendent vers l’émergence. Au Sénégal, les seules ‘réalisations’ que nos gouvernants brandissent (à la face du monde plutôt que du peuple), sont les infrastructures de ‘nouvelles générations’ qui n’ont pas encore fini de poser des problèmes par l’opacité qui a entouré leur réalisation et par la pertinence de leur existence. Leur coût (déclaré) surprend par leur ampleur, leur pertinence technique se pose. Améliorent-elles vraiment les conditions de vie des Dakarois. Des priorités n’étaient-elles pas ailleurs ?
Les raisons d’un impossible dialogue
Pour tout observateur lucide, notre pays va de plus en plus mal. Alors que, dans tous les secteurs, il y a des difficultés qui s’accumulent, il n’y a pas encore de perspectives claires pour envisager de véritables solutions. Pour des raisons nombreuses et évidentes, dans le camp qui nous dirige, il y a des senteurs de fin de règne. Ce dialogue crié sur tous les toits, et dont l’entame prend déjà des tournures saisissantes, ne surprend guère ceux qui connaissent ce régime dont le style est fait d’arrogance, de ‘maa tey’ et même de provocation. Le véritable dialogue, dans ce Sénégal en crise, devrait avoir pour seul objectif la sortie de cette crise qui, si on n’y prend garde, risque de prendre des tournures imprévues. Mais il ne faut pas se faire d’illusions ! Et on peut courir deux lièvres à la fois. Le camp présidentiel a aujourd’hui une préoccupation majeure : comment faire pour réussir sans trop d’accrocs la difficile mutation que le contexte lui impose ? D’autant que dans ce camp, tout a toujours fonctionné par et à partir d’une entité. Cette dernière, quelle que soit son habileté, par le passé, à nouer et à dénouer à son unique profit, a atteint aujourd’hui des limites ‘objectives’ qui s’imposent à elles. Dëgg rekk mooy mujj te li ci kanam rawwulii bët.
L’opposition, aujourd’hui incarnée par l’entité que constitue le front Bennoo Siggil Senegaal a, de son côté, beaucoup mûri. Les leaders des différentes forces qui le composent, ont pris claire conscience que séparées, elles ne pourront rien contre le bloc rigide du camp présidentiel. En prenant l’initiative heureuse des Assises nationales, en y associant toutes les forces vives de la nation, et surtout en responsabilisant pleinement leurs représentants, les forces politiques du Bss ont posé un acte majeur. Et les conclusions de ces Assises constituent, quoi qu’on dise dans le camp adverse, un document unique dans les annales de l’histoire. S’il est vrai que les parties prenantes à ces Assises ne sont pas tout le Sénégal, cela ne diminue en rien la valeur et surtout l’opportunité de ces importantes conclusions. Surtout, que dans le camp présidentiel, tous les projets sont pratiquement les ‘visions’ indiscutables d’une seule entité.
Dans le camp présidentiel, dès la convocation des Assises nationales, on a montré une réticence épidermique, comme si des Sénégalais n’avaient pas le droit en tant que citoyens de participer à une réflexion commune pour résoudre les graves crises qui secouent leur pays. On a même, à l’époque, fait des tentatives regrettables pour dissuader de prendre part à ces rencontres. Si ceux qui ont la lourde responsabilité de diriger ce pays se souciaient véritablement de l’intérêt supérieur de la nation, ils auraient saisi l’opportunité de ces Assises avec souplesse et cela n’aurait, en rien, nui à leur légalité. Cette opposition, qui n’est pas bête, aurait alors pris la juste mesure de cette ‘compréhension’ dont ils auraient preuve. Ainsi, dès le départ, les détenteurs du pouvoir ont confirmé le style de ‘jaay doole’ qu’on lui connaît et, dès lors, ce qui s’est par la suite ne peut surprendre.
Si les responsables du camp présidentiel étaient surs d’eux et voulaient vraiment dialoguer, ils auraient interdit de parole les faucons et les extrémistes. Mais quand son premier responsable se laisse aller à des ‘états d’âme’, comment un dialogue est-il possible ? Ce qu’on a appelé les conditions de l’opposition, qui ne sont en fait que des ‘précisions’ compréhensibles pour beaucoup de raisons…, ne devait pas constituer des motifs de colère pour réduire à néant toutes les chances de tenir ce dialogue plus que nécessaire.
Un mauvais usage de la religion et de la politique
Mais il faut aussi dire que dans cette impossibilité de tenir ce dialogue, les facteurs de blocage ne sont pas seulement le fait de la majorité présidentielle. Il y en a aussi du côté de l’opposition. C’est ce qu’Aly Haydar dénonçait l’autre semaine, en parlant de l’insuffisance du soutien d’une partie des populations lors de certaines actions de résistance initiées par les leaders du Bss. Ce fait ne signifie pas du tout, comme on veut le faire croire du côté du pouvoir, que ces populations ne cautionnent pas les revendications de l’opposition. Cette situation déplorable qui fortifie, hélas, le camp adverse, a pour origine les pesanteurs socioculturelles qui plombent les efforts des principaux leaders de l’opposition pour créer la mobilisation nécessaire pour créer le rapport de forces qu’ils auraient pu imposer. Ces pesanteurs sont le fait d’une perception négative de la religion et de politique par beaucoup de compatriotes. Beaucoup de chefs religieux qui sont, en fait, de véritables alliés du régime, détournent les consciences de nombre d’adeptes peu éclairés. Si bien que l’Islam qui devrait être une force de libération, constitue souvent un facteur d’aliénation culturelle et politique. Ainsi beaucoup de compatriotes s’adonnent à une politique où l’éthique n’a aucune place. Ainsi les responsables politiques, surtout dans les partis du camp présidentiel, sont courtisés plus pour les profits qu’ils peuvent procurer que par leur compétence ou leur intégrité. Ainsi la démocratie est dévoyée et les élus ne sont pas toujours les meilleurs. Dans ce cas, ce sont les populations qu’il faut condamner dans leur majorité.
Il y a aussi d’autres compatriotes qui ne s’investissent pas politiquement comme il le faudrait, car ils sont découragés. Cela ne fait que conforter la position de la médiocrité au pouvoir. A ce niveau, il faut que, dans les partis politiques, on privilégie la formation des militants en renforçant leur capacité sur le plan du véritable civisme qui exige aujourd’hui l’engagement politique. C’est aussi une forme de résistance pour dire non à l’arbitraire. Par exemple, il est maintenant impérieux d’introduire dans les programmes scolaires une formation citoyenne intégrant la dimension politique. Pas la politique partisane, mais celle qui prépare nos enfants à l’art véritable de gérer les affaires de la cité. Afin que, plus tard, ils s’adonnent à une politique propre, loin des magouilles et de la transhumance sordide.
Il n’y a pas longtemps, la Mauritanie voisine a réussi ‘son’ dialogue et est sortie de sa crise. Les crises au sens de problèmes sont inhérentes à l’existence des individus et des sociétés. Chaque fois que l’individu ou le groupe trouve en lui-même assez de ressources pour s’en sortir, il a fait preuve de sa vitalité. Sinon l’individu ou le groupe est malade. Ainsi, dans notre pays, la société est encore incapable de résoudre par elle-même ses propres contradictions. Alors, il n’est pas exagéré de dire que la société sénégalaise est malade !
Babacar BARRY Enseignant retraité à Meckhé babacar_barry@yahoo.fr