Un candidat bien improbable et une kyrielle d
Avec l’élection présidentielle 2012 prochaine, le Sénégal va vivre un autre moment des plus importants de son évolution postindépendance. En fait, le pays se trouve engagé dans une séquence temporelle dont l’alternance du 19 mars 2000 ne constituait qu’un moment : la présidentielle en vue devrait confirmer ou infirmer l’ancrage durable du Sénégal dans la forme de société qu’a engendrée l’alternance, une société que l’on veut foncièrement libérale.
Abdoulaye Wade, en déclarant que son parti devrait régner durant 50 ans (deux générations de sénégalais), souhaiterait que le libéralisme qu’il prône marque durablement notre société. L’alternance intervenue en 2000 a été pour lui une occasion inespérée de mettre en pratique ses idées pour le développement économique du pays et il l’a saisie : les acteurs de l’alternance, aujourd’hui dans l’opposition, parlent encore de la « trahison » dont ils ont été victimes et de la « nature fourbe » du personnage. Il n’en a cure Wade.
En cette veille d’élection, l’arène politique grouille de prétendants à la succession du leader du « sopi » et, le parti libéral s’étant retrouvé dans une très mauvaise passe, Wade a été amené à très vite présenter (une fois de trop) sa candidature à la présidentielle. Une candidature bien improbable si l’on se fonde sur l’avis pertinent et indépendant des spécialistes les plus chevronnés du pays sur la question. En tout état de cause, le débat sera tranché par le conseil constitutionnel dont l’indépendance des membres ne saurait être remise en question sans leur faire injure.
Afin de rendre la plus probable possible l’alternance à la tête de l’Etat, la constitution votée en 2001 a consacré une règle qui rompt avec quatre décennies de gouvernance d‘un parti-Etat : pas plus de deux mandats pour le président de la république. Qu’il y ait une faille dans la rédaction du texte constitutionnel a également été reconnue, faille que le parti au pouvoir compte bien exploiter : c’est de bonne guerre …politicienne. Comment le conseil constitutionnel va-t-il statuer sur la candidature du leader du Pds ? Selon l’esprit de la loi ou selon la lettre de la Loi ? That is the question.
Cependant, s’il est vrai qu’en 2001 le peuple a voté cette nouvelle constitution pour qu’il y ait changement, -« sopi »-, afin que rien ne soit plus comme avant, et si tant est que les cinq sages sont partie intégrante du peuple et non des extraterrestres indifférents à nos problèmes de société, la validation de la candidature de Wade reste des plus improbables. Dès lors, il n’est nul besoin de se poser en « Cassandre » et de jouer à se faire peur. Wade l’a déjà répété et dit sur tous les toits : si sa candidature est invalidée, il respectera la décision du conseil constitutionnel…
Quant à la prochaine campagne qui se profile, une offre politique sous forme de double choix dans deux camps se présente d’ores et déjà aux électeurs : deux leaders libéraux se disputant l’héritage de leur parti originel, - la république de l’alternance-, d’une part et d’autre part, deux caciques du « socialisme » de l’Ups/Ps se disputant le leadership d’une nécessaire refondation de la République. La défunte république de …Senghor et Mamadou Dia est proposée pour restaurer la République « abimée » par l’alternance selon certains.
Derrière ces quatre candidats portés par de solides appareils politiques, se présentent trois jeunes leaders déjà rompus aux joutes présidentielles. Talla Sylla, Bamba Dièye, Mamadou Lamine Diallo constitueraient bien une alternative générationnelle crédible… Encore leur faudrait-il, pour espérer jouer un rôle de premier plan, construire chacun son offre politique propre bien lisible sur l’échiquier national et avoir le courage de « dégager » des aînés dont les appétits de pouvoir sont loin de s’émousser avec l’âge.
Ce premier groupe de politiciens chevronnés est suivi d’un groupe de candidats dits indépendants tous issus de la société civile. Il est remarquable d’y noter un fort contingent de candidats au profil de technocrates qui se veulent des patriotes sincères ayant en bandoulière leur jeunesse et leur « solution » aux multiples problèmes du peuple.
Aux côtés d’un duo d’universitaires, l’on peut noter deux arrière petits-fils des deux plus grandes familles religieuses du pays et …un chanteur : le roi du mbalax soi-même qui, pour rien au monde, n’aurait voulu manquer ça dit-il (fekkee ma ci boolé).
Pourquoi la présidentielle fait-elle donc tant courir ? C’est un des candidats qui donne la réponse : chaque sénégalais est convaincu qu’il saura mieux faire que Wade.
N’a-t-on pas là un parfait microcosme de notre Sénégal en devenir ?
NON… pas tout à fait.
Il y manque la candidature d’un « venant des daara », le type « ndongo daara », lettré issu des foyers d’enseignements coraniques du pays profond et non du système moderne de l’éducation nationale. Qui était estampillé « illettré » durant la coloniale et qui gère aujourd’hui des établissements coraniques de plusieurs apprenants dans la banlieue, bassin électoral très couru. Ou qui gère sa quincaillerie en attendant de brasser de grosses fortunes construites à partir de bric et de broc. Et qui rêve de devenir un grand patron d’entreprises ou un capitaine d’industries.
Il y manque ce bon sénégalais du terroir dont l’intelligence n’a pas été nourrie grâce à l’intelligence de l’Etranger francophone ou arabophone. Qui saura nous parler avec les langues du pays pour nous expliquer les réalités du pays profond et celles de la banlieue d’ici et d’ailleurs sans avoir recours aux gentils sociologues. Qui saura parler aux experts de Bretton Woods avec sa propre langue pour être mieux compris et respecté (ils n’auront qu’à se débrouiller pour le comprendre). Qui, dans les négociations engageant le pays, dira si souvent « NON ! » qu’il n’y aura plus besoin d’interprète pour être compris.
Ce bon sénégalais qui, une fois élu, ne parlera qu’une fois l’an « sou waxxee rén sou laa waxati déwén » pour faire l’état de la Nation « askane wi ». Et qui, lorsque sa parole sera remise en cause, saura tout simplement partir pour provoquer l’alternance en mettant fin d’autorité à son mandat.
Ce bon sénégalais existe bel et bien, c’est la modalité de l’élection présidentielle qui ne lui permet pas d’y participer. C’est la modalité du choix de ce leader qui est à inventer. Le leadership existe au sein du peuple, il n’y a pas besoin de le construite à coûts de séminaires animés par l’Etranger.
Momar Gassama
Dakar
Sénégal 2000-2012 : piqûres de rappel
Avec lui aussi la répétition est pédagogique
Quand les choses vont mal et que, de surcroît, des élections approchent, Abdoulaye Wade fait ce qu'il connaît le mieux : il reçoit, il parle (...). Pourtant, douze ans après son entrée en fonction, il se trouve exactement là où il devrait être : sur le fil du rasoir, sa côte de popularité hésitant entre plongeon et brasse entre deux eaux. Il était inévitable qu’un président suscitant une telle attente éveille aujourd’hui des interrogations sur ses chances de succès. Le défi était d’autant plus difficile à relever que le troisième président du Sénégal, avant même d’aménager, se trouvait confronté à une masse de problèmes comme son prédécesseur : le conflit casamançais et une crise économique menaçant de tourner à la dépression. La situation du Sénégal n'est pas mauvaise, elle est catastrophique. Tel devait donc être le thème de débat pour un constat honnête de ces années de liberté.
Le Sénégal est un endroit de ce monde où on arrive à provoquer des débats corneculesques sur des questions qui, elles, sont loin de l'être. Un espace de la planète où on adore lancer de petits conflits tournant à la guerre mémorielle des paroles par refus d'aborder les problèmes à temps et en urgence. Le lieu où on préfère l'étripage au dialogue, l'enlisement à la réforme, la parole aux gestes, l'hypocrisie à la franchise des convictions, l'abandon et l'insouciance à la recherche des solutions à nos soucis quotidiens. Pourtant, le Sénégal est un pays riche en couleurs (verte, jaune, rouge), mais seule la couleur de l'argent reste et demeure la plus visible. En rajoutant aussi que l'argent est la fumée qui nous endort.
Wade, sous l'ancienne opposition, ne ratait jamais l'occasion entre poire et fromage d'attirer l'attention du monde sur la manière des socialistes de dépenser l'argent du contribuable. Ces millions à l'époque représentaient une sérieuse hypothèque prise sur le mode de vie et l'avenir des Sénégalais, était-il dit en substance. Des années plus tard, avec l'avènement de l'alternance, la boule de neige a largement doublé. On ne parle plus que de milliards qui sont certes sympathiques et non négligeables, mais il devient urgent de tirer sur le signal d'alarme, de développer l'effet de pédagogie nécessaire afin de faire comprendre à nos compatriotes que chaque franc Cfa dépensé est utile au peuple, que le Sénégal n'est pas en mesure de vivre au-dessus de ses moyens, que les facilités et le laxisme d'aujourd'hui constituent les impôts de demain. Et pourtant les Sénégalais doivent doubler d'effort pour analyser, afin de mieux comprendre ce qui se passe actuellement dans notre pays.
Oui, le Sénégal, c'est le Sénégal, un pays avec une âme propre qui devrait faire de lui un porte-étendard du panafricanisme, des droits de l'homme, de la solidarité et surtout de la dignité politicienne. L'actualité est riche et sachons l'interpréter : la vie est chère, l'enseignement va mal, la santé à la traîne, la croissance languissante, le coût du logement au seuil de la tolérance et une grave épisode d'inondations venue encore s'ajouter à l'atmosphère de déprime dans laquelle se languit le pays. Rien n'indique à priori que 2012 sera meilleure que les 365 jours l'ayant précédé.
Car les conditions pour repartir d'un meilleur pied ne seront réunies que si la politique cesse de nous mentir. Les Sénégalais peinent à joindre les deux bouts s'ils ne sont pas anxieux face à la situation de l'emploi, de l'habitat social, de la sécurité, des transports et surtout de l'énergie. Dans leur détresse, les populations sinistrées ont eu au moins le réconfort de constater l'immense vague de solidarité. Une compassion qui tient sans doute plus pour les Sénégalais à un réflexe de ‘proximité’ envers des compatriotes brutalement piégés par un hivernage que par un souci de l'Etat coupable d'avoir laissé si longtemps des hommes, des femmes et des enfants vivre sur des terres d'eaux. Il faut se rendre à l'évidence que la fatalité n'explique pas tout et ne peut servir d'alibi face à l'absence de volonté politique, d'anticipation et d'organisation.
Encore faut-il accepter de braver, non pas l'opinion publique qui est acquise au principe d'une saine gestion, mais d'innombrables résistances émanant d'hommes nuisibles à notre société et que cessent les interminables promesses pour rendre la machine de l'Etat plus performante. Car la persistance de certaines méthodes a deux inconvénients au moins : elle hypothèque notre avenir, puisqu'il faudra bien régler la note, et elle empêche l'Etat d'être au service du peuple. Dans ce jeu dangereux auquel se livrent nos politiques, j'ai bien peur que ce soit là le vrai visage du Sénégal du XXIe siècle: un pays qui a peur, en manque d'ambition, incapable d'assumer son histoire et qui se renferme sur lui-même.
Cette manie bien de chez nos politiciens de tout faire passer par une loi que chacun s'empresse de nous imposer traduit surtout le niveau d'abaissement de l'institution parlementaire. Une reprise en main de notre destin serait de nature à panser bien des plaies et à revigorer quelques plans de carrières. Une économie qui tourne est le gage d'une situation politique apaisée. Et pour que la conjoncture prenne du muscle, il suffit que naisse cette confiance entre l'Etat et le peuple. Que les Sénégalais retrouvent leur fierté nationale, leur union autour de l'essentiel. Qu'ils sortent de la mélancolie et de l'auto-flagellation dans lesquelles se languit le pays. La mer nous prend notre jeunesse désespérée, l'insécurité routière avec plus de 800 morts par an est un bilan de guerre. Tous les jours des morts, des blessés. Combien d'enfants ne grandiront pas ou ne connaîtront pas l'amour paternel ou maternel?
Faut-il initier une union des cœurs Etat-Parents-Enseignants? Ce trio de choc contre l'insouciance et l'abandon qui n'ont fait que miner notre société scolaire est-il possible ? Toutes ces questions sans réponses au risque d'exploser, qu'Allah nous en préserve, sur la tête de nos descendants. Houleuse et mouvementée, l'histoire de notre pays démontre que c'est à chaud que des réformes et bouleversements d'ampleur sont en effet nécessaires pour revoir l'architecture des pouvoirs, leurs fonctionnements, et leurs manières de s'équilibrer les uns les autres. A froid, c'est compliqué comme le prouvent les états d'âmes des parlementaires de la majorité, juste soucieux de leur existence et qui ne cessent de nous démontrer une mauvaise foi éhontée. Le contexte doit évoluer, le Sénégal est comme frappé de sclérose institutionnelle.
Des propositions nouvelles doivent être retenues et mises en œuvre pour contribuer enfin à la séparation des pouvoirs dans un pays où nous devons tous cesser de croire que notre modèle séduit le monde. Le Parlement retrouverait ainsi sa dignité et l'Exécutif serait moins soumis à la tentation du hold-up des institutions dans lequel le président Wade s'est voluptueusement coulé après l'avoir si longtemps attaqué. Il faut se rendre à l'évidence ; la politique nous a toujours habitué à des comédies qui devraient être jugées avec autant de sévérité que de dédain et que c'est bien le sentiment de bazar que nous donne le système politique actuel. Ce qui, loin de nous réjouir, commence à nous inquiéter. Tout ceci est un véritable révélateur des contradictions qui minent la société sénégalaise, et de la crise d'identité qui la ronge.
Cette situation ouvre un boulevard à ceux qui se croient capables d'entrer dans le cercle restreint des présidentiables. Mais ils devront compenser une fulgurante ascension par un art surhumain de l'équilibre, en ne fautant pas aux yeux de l'opinion et en évitant de froisser un Wade qui n'a nullement envie d'être relégué au magasin des accessoires.
Pourtant ce dernier doit savoir que la fonction présidentielle a ceci de cruel : qu'à la surexposition liée à l'occupation du Palais succède un début médiatique frôlant la mort politique pure et simple. Avec son style si particulier, il risque de connaître le sort du président Diouf qui venu jeune aux affaires et désavoué en 2000 par les électeurs vit l'existence fantomatique d'ancien chef d'Etat. Surtout qu'il tarde à réagir notamment sur l'épineuse question du pouvoir d'achat et de la crise énergétique, sandwich ‘big size’, qui pourrait être pour lui ce que la facture sociale fût en son temps pour Diouf. Un boulet !
Mamadou Oumar WANE, Consultant Audits-Mesures qualité client réseaux télécoms et aériens- France Consultant en Stratégie (World Strategy Consulting) editocontribution@yahoo.fr