Au secours, mon pays a mal
Au secours, mon pays a mal
J’ai eu l’opportunité de pouvoir assister, aux premières loges, au tollé causé
par les poussées xénophobes de Nicolas Sarkozy qui veut ‘Karchériser’ la France,
menacée de mort certaine par la faute de citoyens ‘impurs’. Il propose en effet
de déchoir de leur nationalité les Français ’qui ne le sont que sur le papier’
(comprenez ceux qui ne sont pas nés français) s’ils commettent certains crimes.
Les parents (immigrés) d’enfants français devraient en outre, d’après Sarkozy,
être jetés en prison à la place de leurs rejetons caïds si ces derniers sont
trop jeunes pour être incarcérés. En temps normal, j’aurais relevé l’absurdité
juridique de ces deux projets nauséabonds. Mais non. Je n’en ai ni l’envie ni le
temps. Si Nicolas Sarkozy n’a certainement jamais lu une seule ligne de
l’immense œuvre de son compatriote René Girard sur la mythologie sacrificielle
(le besoin pour le groupe de refaire son unité sur le sacrifice d’un ‘bouc
émissaire’ afin de ramener temporairement la paix à l’intérieur du groupe),
c’est pourtant bien ce phénomène que l’on observe aujourd’hui en France. Mais on
ne peut en demander autant au plus insignifiant et plus inculte des présidents
français.
Mais après tout, que chacun balaye devant sa porte. Les Français (les ‘vrais’,
ceux qui ressemblent à Christophe Lemaitre et non aux mutins de Knysna) ont élu
leur président et, à mon avis, il ne fait qu’essayer de leur faire plaisir. Au
moins, lui, il essaie de répondre aux préoccupations de la majorité des siens.
Pendant ce temps, où en sommes-nous ? Je veux dire chez nous, au Sénégal ? Oh
mon Dieu !
Suite au mouvement de protestation de ses agents, l'Etat du Sénégal entendrait
infliger à la Sonatel une amende record. Pour quelle raison ? Il y a exactement
un mois, par la faute de l’opérateur téléphonique, la sûreté de l’Etat aurait
été ébranlée et le manque à gagner pour le trésor national considérable. Mais de
qui se moque-t-on ? A supposer que la Sonatel n'ait pas utilisé le bon moyen
pour dénoncer le cambriolage annoncé et organisé par une bande de rapaces quid
de la Senelec qui cause depuis plusieurs années des dégâts incommensurables à
chaque Sénégalais pris individuellement et par extension à l'économie
sénégalaise ?
Oh non, la Senelec, c’est différent. Ses gérants et la tutelle ne sont
responsables de rien. Les hôpitaux privés d’électricité ? Les Pme et artisans
qui mettent la clé sous la porte ? Les millions de ménages dans le noir avec
leur matériel endommagé ? Eh bien, il n’y a qu’à attendre que ça passe. Mais
justement, ça ne passe pas. C’est toujours la même rengaine. Un mois d’accalmie,
trois mois de ténèbres. C’est devenu insupportable. Qu’avons-nous fait pour
mériter ça ? Comme pour nous narguer un peu plus, Abdoulaye Wade (puisque c’est
lui qui décide de tout au Sénégal) trouve le moyen de défendre bec et ongle les
responsables de l’énergie et même de les promouvoir.
Si l’honnêteté intellectuelle nous recommande de saluer ouvertement les bonnes
actions du régime libéral (infrastructures, démantèlement des bases militaires
françaises…), elle nous enjoigne de dénoncer ses travers. Comment ne pas
s’indigner de la politique du deux poids deux mesures ? A certains, on ne
pardonne rien, à d'autres, on passe tout. Ce pays marche sur la tête et si nous
ne faisons rien, nous en porterons tous la responsabilité historique. Trop c'est
trop. Dénonçons chacun à son petit niveau la chienlit qui règne au Sénégal. Les
scandales se succèdent et l’incurie gouvernementale fait feu de tout bois. Trop
peu de monde en face pour lui dire stop.
Il paraît qu’il faut éviter de dire certaines choses parce qu’elles peuvent
faire mal ou choquer. Tant pis. Le courage, c’est de se dire les choses quand
l’heure est grave. Notre problème, à nous Sénégalais, est qu’on est un peuple
très fataliste.
Nous sommes également foncièrement égoïstes et attendons que les problèmes
soient réglés par d'autres, à notre place. Très peu se sentent concernés par la
chose publique. Pour l’écrasante majorité d’entre nous, seul l'intérêt immédiat
et personnel compte.
S'ajoute à cela la dévotion à des familles qui sont, dans leur écrasante
majorité, de connivence avec les gouvernants (quels qu'ils soient) et qui nous
suggèrent toujours de tout laisser entre les mains de Dieu. Or Dieu ‘ne changera
jamais un peuple tant que celui-ci ne prendra pas son sort en main’.
Pousser des cris d’indignation sur ce qui se passe chez l’autre ou essayer de le
sauver (xénophobie en Europe, Israel/Palestine, Clotide Reiss…). Pourquoi pas ?
Mais priorité à Sunugal. Si après avoir réglé nos mille et une affaires, toutes
aussi urgentes les unes que les autres, il nous restait assez de temps, alors
peut-être pourrait-on aller sauver l’opprimé, la veuve et l’orphelin lointains.
Abdou Khadre LO DG Primum Africa Consulting
Les taalibés et leurs marabouts victimes d’un État ségrégatif et brutal !
L’Etat sénégalais a décidé de traquer les taalibés et leurs marabouts. Les
marabouts, ces éminents éducateurs de la société sénégalaise, sont poursuivis
jusqu’à l’intérieur des mosquées, où on les trouve en train de transmettre à
leurs disciples les fondamentaux de la religion islamique, pour les mettre dans
des ‘paniers à salade’ de la police en direction des prisons. Cela, tout
simplement parce que certains de leurs élèves mendient. C’est à se demander si
on est au Sénégal, berceau de l’islam subsaharien, terre de naissance des grands
érudits de l’Islam, anciens taalibés ! Ces gens, qui ont servi cette Nation
corps et âmes pour la délivrer des mains du colonisateur et la préserver de
toute déviation culturelle !
Il y a lieu ici de s’interroger pour savoir si ces délinquants désignés, les
taalibés et leurs marabouts, ne sont pas plutôt des victimes d’un Etat
ségrégatif et brutal ! Mais il faudrait auparavant se poser des questions sur la
légitimité de l’Ecole officielle.
A) - L’illégitimité de l’Ecole officielle
En introduisant son système d’enseignement à Saint-Louis du Sénégal en 1817 par
Jean Dard et les sœurs de Saint-Joseph de Cluny en 1819, l’Etat français
colonisateur avait trouvé sur place une école bien structurée. Tenue par des
maîtres bien formés. Celle-ci, fondée sur la culture sénégalo-arabo-islamique,
convenait à l’écrasante majorité des Sénégalais. Ils y faisaient leurs humanités
sans aucun risque d’un mal vivre social éventuel. Ce qui n’était pas sans gêner
le colonisateur, qui voulait aussi répandre sa culture franco-judéo-chrétienne.
Dès 1844, l’Abbé David Boilat, inspecteur de l‘instruction publique du Sénégal
et Dépendances, préconisa ‘d’interdire, pour l’Intérêt de la civilisation
(française), les écoles coraniques et de forcer les parents d’envoyer leurs
enfants aux écoles françaises, en y établissant un professeur d’arabe…. ’ (1) Ce
que William Ponty, le gouverneur général de l’Aof, appuya en 1910 : ‘Nous ne
devons négliger aucun concours pour répandre l’usage de notre langue et diminuer
le nombre des élèves qui encore aujourd’hui fréquentent exclusivement l’école
coranique. Or, vous avez bien voulu me faire savoir qu’à Saint-Louis même, la
population scolaire des autres écoles communales ne serait que de 200 élèves
environ, tandis que plus de 1 300 garçons se groupaient autour des
marabouts-enseignants’. En résumé, le colonisateur est resté dans sa logique
dominatrice. Il a tenu par tous les moyens à étayer son établissement en
instrumentalisant l’Ecole.
L’Etat du Sénégal indépendant n’a jamais remis en question le plan ou l’œuvre
déstabilisatrice du colonisateur. Ses dirigeants, bien formés par les
missionnaires chrétiens ou laïques de l’Ecole nationale de la France d’Outre Mer
(Enfom), quand ils n’ont pas consolidé la politique éducative initiale du
colonisateur, l’ont bel et bien poursuivie. Ils ont, dès le début, décrété que
seule l’Ecole qui a adopté le programme d’enseignement légué par le colonisateur
est officielle. L’autre institution éducative traditionnelle, beaucoup plus
légitime, n’est pas digne de reconnaissance. Voilà le commencement de la
discrimination.
B) - La ségrégation de l’Etat sénégalais
En adoptant le projet éducatif de la France comme le seul qui vaille au Sénégal,
l’Etat ne peut pas en même temps accorder une quelconque considération à l’Ecole
sénégalaise antérieure. En effet, le modèle éducatif français était, dès
l’origine, exclusive. Il consistait à imposer dans toute la Gaule la laïcité
anticléricale et la langue de Louis XIV. Des siècles après, on a constaté que ce
modèle n’est pas payant. En effet, jusqu’à aujourd’hui, la société française
n’est pas laïcisée et l’hégémonie de la langue royale est contestée. Les sectes
se multiplient dans l’Hexagone quand les Corses et les Basques y revendiquent la
transmission de leurs langues et cultures dans l’Ecole de la vieille République
démocratique. Ajoutons à cela, que l’anglais y est maintenant enseigné dans les
classes primaires.
Voilà les tares que l’Ecole sénégalaise a héritées. Ce faisant, elle ne peut que
marginaliser l’Ecole sénégalo-arabo-islamique et mépriser ceux qu’on y forme.
Ces derniers, appelés marabouts ou Oustaz, sont écartés de la gestion de la
Cité. Quand les sortants de l’Ecole de Jules Ferry détiennent le pouvoir concret
(temporel) et jouissent de l’estime que leurs positions politico-économiques
confèrent, on confie aux produits de l’autre système éducatif le pouvoir
abstrait (spirituel). L’élite régnante ne reconnaissant à ces derniers aucune
compétence en dehors de la religion. Pour Senghor, la culture sénégalaise
d’expression arabe ne mérite aucune attention particulière. Les détenteurs de
celle-ci ne pourraient servir que dans les mosquées et dans l’enseignement
éventuellement. Abdou Diouf s’est toujours interrogé sur l’utilité des
arabisants. Le président actuel passe son temps à vouloir ‘moderniser’ les
daaras afin que l’Etat puisse au moins respecter son engagement de l’éducation
pour tous à l’an 2015.
Autrement dit, nos dirigeants n’ont jamais vu que c’est l’Ecole officielle qu’il
faut moderniser. En effet, celle-ci ne répond pas à l’attente de la plupart des
familles sénégalaises. La majorité des parents sénégalais cherche toujours à
compléter la formation scolaire de ses enfants en faisant appel au marabout ou
Oustaz du coin. Un bon nombre de cadres sénégalais retournent à l’Ecole pour
être à même de connaître les rudiments de leur religion.
Enfin, on voit bien où nous a menés cette approche dichotomique de l’Ecole.
L’Etat sénégalais, au lieu d’essayer de mettre en place un système éducatif
intégré, l’a disloqué. Il a marginalisé l’autre Ecole et n’a jamais voulu
valoriser la culture que la plupart des Sénégalais voudraient y partager. Ce qui
a créé cette fracture, engendrant d’une part des écoliers-talibés, de l’autre
des élèves bien protégés aux frais de tous les contribuables. La volonté de la
majorité des parents de préparer leurs enfants à mieux vivre leur religion,
n’est jamais prise en compte. Ils sont laissés à eux-mêmes dans un déchirement
profond. L’Etat, au lieu de faire adhérer à son projet éducatif par la
persuasion, use de la violence.
C) - La brutalité ou l’échec d’un Etat
Un Etat qui punit, là où il doit éduquer, est un Etat qui a échoué. La brutalité
ne confère aucune autorité à l’Etat. Celui-ci se fait respecté quand il remplit
pleinement ses missions, quand il élève le niveau de formation et de culture de
ses citoyens. Les taalibés et leur marabout pouvaient être traqués par l’Etat, à
juste titre, si leur Ecole était considérée comme une composante de celle de la
République. L’Etat n’a aucune raison de poursuivre des enfants pour qui il ne
veut ni construire de salle de classe ni payer des enseignants ou reconnaître le
programme et décerner de diplôme.
Enfin, l’attente forte des parents maintenant est que le Sénégal reconstruise
officiellement son El Azhar, afin de redevenir ce foyer ardent des sciences
islamiques rayonnant dans toute la région comme jadis. A cette fin, l’Etat doit
redistribuer équitablement les ressources qu’il collecte de tous les parents
sans distinction, en donnant sa part à l’Ecole traditionnelle. Sinon, tout ce
qu’il entreprend, relève purement et simplement de l’abus de pouvoir. Le droit
des enfants à une vie descente et à une éducation reconnue prime sur le droit
des étrangers et des riches citadins à ne pas subir leur pauvreté. L’Etat doit
privilégier l’application des lois anti-indigence (s’il y en a !) avant
d’actionner celles relatives à ses conséquences. Il est malheureux que les
organisations des droits de l’homme aient apprécié positivement une orientation
contraire !
Mamadou-Youry SALL Enseignant-Chercheur à l’Ugb
1 - ‘Saint-Louis. Une métropole islamique. Le patrimoine culturel et
architectural’ par Docteur Cheikhou DIOUF, enseignent à l’Ugb, Presse
Universitaires de Saint-Louis, 2008