Faut-il dégraisser la fonction publique?
Je me souviens d’une contribution que j’avais faite en 2001 intitulé « Pour une administration de développement », dans cet article je proposais une rupture de paradigme pour rendre cette dernière plus performante. Dix ans après, le président de la république lors du dernier CPI (Conseil Présidentiel de l’Investissement) affirme sa volonté de vouloir diminuer le nombre de fonctionnaires dans notre pays au prétexte que les ministères consacrent leur budget plus au fonctionnement qu’à l’investissement. Analyse superficielle d’un phénomène plus profond et plus complexe ; Electrochoc ! ballon de sonde ! me diriez-vous. Profitons de cette posture opportuniste pour reprendre ce ballon au volet, mondial oblige.
Balle à terre, je dirai que ce débat est celui des années 80 lors que les Word Bank Doctors nous inoculaient cette pilule du dégraissage au nom de l’ajustement. Aujourd’hui l’épineuse question du sureffectif est reléguée aux calandres égyptiennes. C’est ainsi qu’en Afrique francophone, les agents permanents de l’Etat représentent en moyenne 1 % de la population. Le Sénégal est bel et bien dans cette fourchette pour une population d’environ 12 millions d’habitants, nous avons 120 000 fonctionnaires.
Le taux est de 9 % en France. Et encore certains pays affichent un ratio plus serré. Ainsi, 0,41 % seulement des Tchadiens émargent au budget de l’Etat, selon les dernières statistiques de l’Observatoire des fonctions publiques africaines (OFPA). Le ratio ne dépasse pas 0,50 % au Burkina Faso, 0,23% au Mali. Tous les observateurs sont unanimes sur ce constat : l’Afrique est sous administrée.
Aborder cette importante problématique sous le prisme du nombre me paraît peu pertinent, d’autant plus qu’il y a trente ans les WB doctors avaient imposé une purge et l’inefficacité de la fonction publique africaine est encore plus criarde. Le problème est donc dans le système de management, autrement dit comment rendre performante l’administration publique.
Le diagnostic est connu : démotivation, absence de pilotage des objectifs, absentéisme, je dirai plutôt présentéisme (l’agent fait un acte de présence le matin et disparaît), absence d’un système d’évaluation avec entretien, système de gestion des compétences inexistant, faiblesse des salaires, manque d’équité et de transparence, politisation de l’administration, incohérence organisationnelle…
De soldats du développement, ils sont devenus des parasites, des boucs émissaires de l’échec des politiques publiques, cette stigmatisation symbolique à contribuer à la fragilisation de leur statut social voire un trouble identitaire.
Si l’affirmation du Président de la république nous paraît fortement discutable, il est par contre souhaitable de s’interroger sur le rôle et la place du fonctionnaire dans un contexte (national et international) marquée par une très grande instabilité.
Il faut admettre que les analyses restent difficiles, car les principales caractéristiques de la fonction publique restent particulièrement opaques. Qui sont les agents de l’Etat ? Que font-ils ? Combien gagnent-ils ? Ces questions peuvent sembler triviales, mais à l’analyse l’observateur sera frappé d’étonnement.
La notion même de politique publique, (par exemple si l’Etat du Sénégal fait le choix d’affecter 60% du budget du ministère de la femme à l’investissement comme le préconise le Président), ne peut être pensée en dehors des individus qui constituent l’Etat en actes.
Dans son article sur les réformes à engager aujourd’hui pour améliorer la fonction publique africaine Oluwo fait le point sur son fonctionnement et son rapport au développement. D’après lui, la distinction entre service public et fonction publique ne coïncide pas toujours avec la définition de la fonction publique selon les Etats. Cette dernière est d’abord un système d’emplois et reste centrée autour des problèmes de recrutement, d’évaluation, de rôle fonctionnel et d’importance numérique. Elle se définit ensuite comme un instrument de gouvernance entre l’Etat et ses divers appareils administratifs.
Ainsi Dominique Dardon propose de substituer le terme « fonctionnaire » à celui de professionnel de l’action publique, non pas pour une simple facilité sémantique, ou à une ambition de réforme du référent idéologique de l’action publique. Mais pour indiquer tout d’abord les efforts de reconstruction des fonctions publiques autour des règles plus claires de recrutement et de gestion des ressources humaines, de mise à disposition des fonctionnaires des moyens nécessaires à leurs missions et d’évaluation individualisée de leur actions. Elle souligne aussi la différenciation considérable des métiers de l’administration, la diversification sectorielle et spatiale des modalités de cette intervention.
L’émergence des agences dans le jeu de l’action publique illustre la diversification des modes d’action, développe un pluralisme institutionnel qui modifie l’activité du fonctionnaire.
Cette transformation des administrations en agence est une tendance lourde de la nouvelle gestion publique. Sous nos tropiques, nous sommes au regret de constater qu’elles poussent comme des champignons sans apporter toujours une valeur ajoutée appréciable dans l’exécution des programmes de développement.
Cette gestion erratique de l’action publique aurait pu être évitée si notre pays avait conçu dés le début de l’alternance un pacte de bonne gouvernance de la fonction publique. Ce pacte serait la station de lancement d’une politique de changement à travers des initiatives concrètes, permanentes et prégnantes. Il serait la base d’une administration moderne, efficace et à l’écoute de son environnement.
Enfin, Monsieur le Président, il y a dix ans, j’écrivais que si vous voulez réussir, il fallait secouer l’énorme baobab qu’est l’administration. Je préconisais de procéder par homéopathie, maintenant vous préférez l’électrochoc en déracinant le baobab. Mais il me semble que les racines du mal sont trop profondes, En politisant l’Etat à outrance, ce dernier est devenu un objet purement politique et perd paradoxalement sa qualité de corps social normatif.
Baye Ibrahima DIAGNE
Drxuly10@yahoo.fr