des prix,un libéralisme incontrôlé
La flambée des prix comme conséquence d’un libéralisme incontrôlé
Le Journal de l’Internaute | jeudi 24 mai 2007 | 243 lectures Commenter cet article Lire l
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1. Introduction : le libéralisme
« Libéralisme » est un terme polysémique dont le contenu dépend de la déclinaison qu’on en fait, c’est pourquoi il convient de dire qu’à chacun son libéralisme. Il s’agit d’un terme générique utilisé pour désigner un système où la liberté économique est le fondement de la création de richesses. Les libéralismes ont donc un dénominateur commun qui consiste à placer l’individu au cœur de la création de richesses et la propriété privée comme garante d’une plus grande efficacité économique. Socrates disait il y’a 2000 ans que « ce dont on se préoccupe le moins est ce qui appartient au plus grand nombre ». La propriété publique est ainsi indexée comme étant une source avérée de laxisme et d’inefficacité. C’est pourquoi, dans les systèmes libéraux, « le secteur privé est érigé en moteur du développement » et « le marché est considéré comme le meilleur régulateur du système économique ». On parle alors d’un système de « laisser faire, laisser aller » qui signifie que le système gère son propre équilibre et que toute intervention de l’Etat est exclue.
Libéralisme et socialisme sont alors deux systèmes antagoniques qui ont émergé des failles de l’un ou l’autre système. Le socialisme est né de la contestation et des luttes contre l’immoralité du capitalisme. Mais la faillite des modèles d’assistance publique a consacré les titubations du bloc socialiste et le triomphe du bloc libéral à partir des années 80. Le néo libéralisme est la version jugée moins sauvage du capitalisme. Ainsi, d’un point de vue empirique, deux libéralismes basiques peuvent être identifiés, le libéralisme hayékien qui correspond à une entière confiance au marché et le libéralisme régulé qui impose une surveillance et une résolution publique des défaillances du marché.
2. Le libéralisme du « tout au marché »
Il est défendu par l’aile dure des libéraux à l’image de Hayek. Gilles Dostaler (Université Paris VIII) relate ce ci de la pensée de Hayek : « Selon la conception kantienne adoptée par Hayek, l’ordre que nous trouvons dans le monde est donné par l’activité créatrice de notre esprit. La sensation est un mécanisme de décodage qui transmet de manière très abstraite l’information à propos de l’environnement externe. De ce fait, on ne peut tout expliquer complètement : il s’agit d’une position de rationalisme évolutif. Les connaissances de chacun sont nécessairement très limitées et aucun cerveau ne peut embrasser la totalité des connaissances à un moment donné. Un ordre spontané est le résultat de l’action humaine, sans être pour autant le fruit d’un dessein conscient, sans avoir été voulu et construit rationnellement. Telles sont les grandes institutions sociales : le langage, la morale, le droit, la monnaie, le marché. Aucun esprit humain n’a consciemment planifié ces institutions, qui sont le résultat d’une longue évolution historique. Cette évolution se fait selon un mécanisme de sélection, d’essais et d’erreurs, de disparition des structures inefficaces. Le marché est une institution fondamentale, non seulement de la société moderne, mais de la civilisation. C’est un ordre spontané, résultat non planifié de l’action humaine, fruit d’une évolution plusieurs fois millénaire ».
Selon une telle conception du libéralisme, l’inefficacité de l’Etat constitue un problème plus grave que l’inefficacité du marché. Le marché est alors le système de régulation spontané le plus efficace : toute intervention de l’Etat dans la sphère économique est exclue.
3. Le libéralisme régulé
Le libéralisme régulé est la configuration du marché que préconise l’école néolibérale. Il se veut aussi conforme aux aspirations de l’école de la régulation sociale. Il repose sur la certitude que le marché a des défaillances qui peuvent négativement impacter sur l’efficacité et la performance du système économique. Ce libéralisme est donc forgé à partir des limites de la pertinence du marché spontané et naturel défendu par Hayek. L’approche hayékiennne retient l’hypothèse de l’information incomplète mais oublie la rationalité des agents économiques dont les intérêts personnels peuvent aboutir à l’opportunisme, l’immoralité et déséquilibrer le marché : inégalités, externalités négatives, resquillage face à la production des biens publics… Toutefois, l’intérêt de la théorie de Hayek est qu’elle aura permis de légitimer l’intervention de l’homme, aussi imparfaite qu’elle puise être. Parallèlement, les néo libéraux reconnaissent qu’en cas de défaillances du marché, l’intervention de l’Etat est justifiée. Les défaillances du marché proviennent de situations qui peuvent affecter le bien être social, telles que les positions de monopole, la production des biens publics, du problème des externalités et la question de l’équité. Le monopoleur, parce qu’il domine le marché, peut fixer un tarif peu abordable pour la société et faire preuve de peu de qualité, donc l’Etat doit intervenir à sa réglementation. La production des services publics, elle, ne peut se faire efficacement sans l’intervention de l’Etat selon la défense de l’intérêt général. Une externalité existe quand l’activité économique d’un agent économique interfère soit positivement, soit négativement sur l’activité d’un autre : on parle d’externalités positives et d’externalités négatives. Par exemple la pollution de la mer par certaines industries est une externalité négative pour les pêcheurs d’où la nécessité d’un arbitrage de l’Etat. C’est le même contrôle que l’Etat doit exercer sur le fonctionnement de l’économie pour éviter que le macrocosme des affaires ne devienne une jungle économique régie par la loi du plus fort.
4. Sénégal et libéralisme
Un diagnostic de la différence des libéralismes peut s’établir sur le degré de surveillance institutionnelle appliquée au marché ainsi que le degré d’attention accordé à la question de l’équité sociale. La prise en compte de la question sociale est l’une des transformations inéluctables des dynamiques libérales au 21 ème siècle. Elle consacre la résistance des socialistes et la percée des idées alter -mondialistes. Les régimes socialistes sont actuellement tenus par l’obligation de s’adapter aux injonctions libérales et parallèlement, les régimes libéraux intègrent de plus en plus une dimension sociale dans la conduite du développement. C’est ce qui explique l’émergence des partis socio –démocrate telle que proposée par Dominique Strausskann pour la refondation du parti socialiste français.
Dès lors, l’application du libéralisme au Sénégal est recevable mais elle doit être conforme aux aspirations sociales des populations. En effet, la réussite économique que peut engendrer le libéralisme ne sera perceptible que si elle permet de vaincre les inégalités et la pauvreté dans toutes les couches de la société. La répartition des richesses n’est pas seulement une valeur socialiste mais elle est la suite logique d’une dynamique de développement fiable. John Maynard Keynes a démontré d’ailleurs que la répartition équitable des richesses est la clé de la croissance économique car elle permet la création d’une large demande solvable.
5. Conclusion : l’ARP et de la CAISSTAP comme instruments de maîtrise d’un libéralisme source de la flambée des prix
La flambée actuelle des prix est le résultat du libéralisme incontrôlé déroulé dans le pays à partir de 2000. Elle est directement et uniquement subie par le tiers -peuple sénégalais qui représente 95% de la population. En effet, une majeure partie des sénégalais ne bénéficie pas des augmentations formelles de salaires. Il existe plusieurs travailleurs indépendants dont les revenus stagnent sur plusieurs années (petits marabouts, maîtres arabes, maîtres coraniques, chauffeurs, taximen, petits commerçants…). Les nombreux petits exploitants du secteur informel ne profitent pas des flambées de prix dont les marges sont phagocytées par les gros affairistes. C’est ce qui explique la paupérisation progressives des populations et le creusement des inégalités.
La lutte contre les inégalités sociales et le rétablissement de l’équité sociale sont les créneaux qui doivent inspirer la politique économique du pays. L’Etat doit songer à redéfinir la mission de l’ARP (Agence de Régulation des Prix) et à assurer son bon fonctionnement. L’eau, le riz, l’huile, le sucre, le lait… sont des consommations incompressibles dont les sénégalais ne peuvent pas se passer. Les grands commerçants et industriels le savent et leur seule motivation est le profit maximum. L’ARP doit pondérer deux hypothèses fondamentales : 1) la flambée des prix peut provenir de l’opportunisme des commerçants qui fixent des prix anormaux en déclarant des coûts truqués pour capturer une rente informationnelle 2) il peut s’agir aussi, situation moins probable, d’une flambée normale que les pouvoirs publics doivent maîtriser par des subventions. Dès lors, l’ARP doit, d’une part, dérouler une stratégie de lutte contre les asymétries d’informations sur les coûts engagés dans chaque activité productive afin d’imposer légitimement la vérité des prix. D’autre part, il faut réhabiliter la CAISSETAP (Caisse de Stabilisation des Prix) ou la créer (s’il n’existe pas) et la cibler sur la subvention des aliments fondamentaux que sont le sucre, l’huile, le riz et le lait. La suppression du Sénat et le redéploiement des financements qui lui sont réservés auraient pu être une première source d’alimentation de la CAISSTAP. D’autres sources d’alimentations pourraient être trouvées notamment dans la réduction du train de vie de l’Etat.
NDIAYE Elhadji Mounirou, étudiant -chercheur en Economie Industrielle à Grenoble
Président d’ASAFRIQUE (www.asafrique.org). (elhmounir@hotmail.com)