Transformer nos universités en institutions d
L’enseignement supérieur au Sénégal : IV - Transformer nos universités en institutions de succès
Il ne s’agit plus non seulement de favoriser l’accès, mais aussi et surtout de transformer nos institutions d’enseignement supérieur en institutions de succès. Certains proposent un changement de référentiel. Il me semble que le problème n’est pas le référentiel, mais bien les contenus et la stratégie pédagogique. Au niveau international, il est accepté que le système d’enseignement secondaire des Etats-Unis d’Amérique qui est de six années, est un des plus mauvais au monde, mais on reconnaît que son système d’enseignement supérieur est un des plus efficaces, pour ne pas dire le meilleur au monde.
Il est clair que nous devons renforcer les liens entre l’enseignement supérieur et les autres segments du secteur, particulièrement l’enseignement secondaire. Nous devons mieux gérer les flux des formés en amont du Bac. Une attention particulière doit être portée sur les élèves des séries scientifiques. Nous devons, tout en gardant le référentiel, accorder aussi une attention particulière aux contenus, à leurs modes de transmission et aux évaluations des pratiques. La réforme en cours n’a de sens que si, par les formations aux standards internationaux, nous prenons en charge les atouts culturels, économiques et sociaux du Sénégal et de l’Afrique.
Aujourd’hui, quelles sont les formations pertinentes ? Une filière dans l’enseignement supérieur doit-elle avoir une durée de vie ? Comment bâtir en permanence des filières au sein des départements, entre les départements et entre les établissements ? Grâce à l’électronique, beaucoup de ressources pédagogiques sont disponibles sur le web. Il est possible de respecter les standards et de changer les modes de transmission. Les équipes pédagogiques des différents établissements, seules ou en réseau, peuvent mettre tous leurs enseignements en ligne. D’ailleurs, nous le savons, Mit a mis tous ses enseignements en ligne. Avec l’Unesco, dans le cadre du Campus virtuel africain, nombre de cours au standard sont en train d’être mis sur le web. Il est possible d’explorer à fond la co-diplômation pour asseoir davantage le respect des standards internationaux. Nous devons mettre en place un système de tutorat pour le premier cycle et, en rapport avec les doctorants, exploiter à fond le virtuel. Ce dispositif autorise la création d’une université virtuelle sénégalaise. Elle pourrait être celle de l’Ucad au départ, pour devenir sénégalaise tout simplement à terme. Sinon, elle peut être sénégalaise au départ et, à terme, chaque université aura son université virtuelle.
Il est toutefois urgent que nous changions de modèle pédagogique et de stratégies d’évaluation. Comment comprendre que des étudiants, au 21e siècle, apprennent par cœur les cours ? Je suis chaque fois choqué quand je vois des étudiants, documents en main, arpenter les couloirs de l’université pour en mémoriser les contenus. De nos jours, toutes les ressources sont disponibles en ligne ; nous devons travailler sur la capacité des étudiants à les rechercher et à les exploiter. Dans nombre de structures, les documents sont autorisés lors des évaluations.
Nous devons aussi, dans cette compétition mondiale, revoir notre grille de notation. Avons-nous la même grille que les Américains, les Japonais ou les Français ? Nous handicapons beaucoup nos étudiants, pourtant bons, dans leur mobilité internationale.
L’université, dans son essence comme dans ses visées, repose sur trois paradigmes : le savoir, le savoir-faire et le savoir-être. Si elle n’a aucun mal à prendre en charge les deux premiers, le troisième n’est pas très bien traité. Pourtant, le savoir-être est à la base de la transformation effective de la société par l’enseignement supérieur et ses produits. Pour une bonne prise en charge du savoir-être des étudiants, les universités rivalisent d’ingéniosité. L’orientation majeure est de mettre en situation les étudiants au cours de leur formation. Beaucoup d’universités mettent en place des emplois réservés étudiants.
Outre les ressources financières des apprenants, les résidences sont essentielles. Le rapport nombre de lits par étudiant est un déterminant essentiel pour les performances de l’enseignement et surtout pour lui permettre de mieux assumer sa fonction de transit social. Dans la plupart des grandes villes, le système d’hébergement des étudiants est largement déficitaire. A Paris, il est d’un logement pour cent étudiants. Il y existe toutefois un système d’hébergement alternatif même si les étudiants travaillent de plus en plus pour honorer les charges. Ceci, reconnaissons-le, engendre beaucoup d’échecs. Certains ne savent pas que le logement chez l’habitant existe à Dakar. Tous les étudiants américains qui font leur ‘studies abroad’ à l’Ucad, sont logés chez l’habitant.
Il est clair que les coûts d’hébergement ne sont pas à la portée de nos étudiants. Comment, par nos valeurs de solidarité, faciliter le logement des étudiants ? Certains diplômés, dans le cadre de la Fondation, peuvent-ils sponsoriser des étudiants ? En rapport avec les structures décentralisées et d’autres partenaires, nous pouvons créer des cités internationales dans toutes les villes universitaires du Sénégal. Les résidences des étudiants ne doivent pas être considérées comme de simples dortoirs. Des programmes sont élaborés pour aider les étudiants à mieux se préparer pour la vie, par le biais du sport, des activités culturelles, mais aussi de plus en plus par des services citoyens.
L’animation culturelle doit dépasser le seul volet musical en intégrant les conférences. Mais, est-ce que nos étudiants sont suffisamment curieux pour se bousculer devant les salles de conférences ? De plus en plus, les étudiants ne prennent en considération que les enseignements faisant l’objet d’une évaluation. Ils ne cherchent pas à élargir leur horizon. Pour asseoir le savoir-être des étudiants, beaucoup d’universités mettent en place des programmes dits de citoyenneté des étudiants. Ces programmes permettent aussi à l’université de mieux assumer sa responsabilité sociale. L’engagement citoyen de l’université renforce son efficience. A cet effet, l’Ucad a initié ‘Ucad en fête’ et les camps citoyens. Dans la perspective des Etats-Unis d’Afrique, l’Ucad organise annuellement ‘Ucad en fête’ ou la fête des nationalités. Avec 44 nationalités représentées, ‘Ucad en fête’ offre l’opportunité pour chaque pays de montrer ses atouts culturels et différenciés.
Les camps citoyens de l’Ucad ont donné des résultats exceptionnels. En effet, outre les campus satellites de l’Ucad à Pikine, Khombole, Mbour et bientôt à Rufisque, l’Ucad envoie des étudiants en milieu rural pour reboiser, alphabétiser, initier à l’informatique et mener des campagnes sanitaires. En 2009, 450 étudiants ont été mobilisés et répartis sur neuf sites. En moyenne, ils ont reboisé 100 hectares par site, consulté et donné des médicaments à 200 patients par jour pendant 12 jours, alphabétisé environ 500 femmes et initié à l’informatique 500 jeunes et certains élus locaux. Ces résultats, obtenus grâce au partenariat avec des ministères chargés de l’Environnement, de la Santé, l’Alphabétisation et l’Agence de l’informatique de l’Etat, ont une signification particulière pour notre institution. L’université retient que les étudiants reviennent aguerris et un peu plus conscients de leurs responsabilités et des tâches qui les attendent. Cette innovation est saluée par la communauté internationale. Et des jeunes d’Afrique et d’ailleurs veulent se joindre aux étudiants de Dakar. C’est aussi une occasion pour mobiliser les étudiants du monde entier dans la construction de la grande muraille verte. En plus de ce que cela représente pour leur devenir individuel, ces actions contribueront à la promotion de la paix dans le monde.
Les universités, en synergie avec les gouvernements, les privés et les Ong, peuvent mobiliser les moyens ad hoc. Cette approche participative est conforme aux orientations de la communauté scientifique internationale qui recommande la pluridisciplinarité pour traiter des questions complexes. Il nous revient que la démarche contribue fortement à la réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement. L’Ucad mène ses campagnes en partenariat avec les ministères techniques chargés des domaines ciblés, l’Agence de régulation des télécommunications et des postes, l’Agence de l’informatique de l’Etat, le Port autonome de Dakar, l’Iucn, Arcelor Mittal, la Fondation Sonatel. L’Ucad est disposée à partager cette initiative avec toutes les agences, sociétés publiques, privées, Ong, etc., désireuses d’assumer, sous cette forme, leurs responsabilités sociales.
Les populations ont bien apprécié la présence de l’Université à leurs côtés. C’est ainsi que la communauté rurale de Niakhène a octroyé 50 hectares à l’Ucad. Notre université devra répondre aux trois questions des donateurs : comment produire autrement ? Comment transformer localement les produits ? Et, comment avoir plus de parts de marché ?
En définitive, si l’université est l’élément de transformation, par essence, de la société, nous devons collectivement définir une déontologie, une éthique dans toutes les structures d’enseignement supérieur et des éléments d’identité de chaque établissement que la communauté locale met en place. La société doit définir les valeurs à promouvoir conformément à notre legs historique. La foi en la connaissance, le travail, l’éthique et la solidarité doivent y occuper une place fondamentale. La société, pour sa propre promotion et dans une mystique de la promotion sociale du plus grand nombre, doit mener le débat sur les valeurs à promouvoir par et dans les établissements d’enseignement supérieur. Le savoir-être est aussi au cœur de la reconstruction, particulièrement en Afrique et au Sénégal. Chaque institution, par un débat interne de toutes les composantes, doit aussi définir ses propres valeurs.
L’objet est bien de définir ensemble nos objectifs et finalités ultimes en créant une mystique du possible et en articulant notre savoir-vivre ensemble avec un bien-être partagé par le plus grand nombre. Tout ou presque est possible. Il nous appartient, en puisant sur nos propres valeurs, de définir nos objectifs et de travailler pour les atteindre. Les peuples diffèrent aussi par les objectifs qu’ils se fixent et leur engagement pour y arriver. La valeur la plus importante est ce que l’on apporte et non ce qu’on reçoit. Oui, beaucoup de choses sont possibles aujourd’hui dans des délais relativement courts. Si nous le voulons sincèrement, car si nous le voulons, nous le pouvons ! (Fin)
Prof. Abdou Salam SALL Recteur de l’Ucad