qui n’en finissent pas
Ces scandales qui n’en finissent pas.
Le naufrage du bateau Le Joola, l’agression du leader politique Talla Sylla, l’ouvrage de Abdou Latif Coulibaly et du débat qui s’en était suivi en 2003, l’affaire des antirétroviraux, le suicide du marabout Khadim Bousso et j’en passe… Au moment où je publiais l’ouvrage Les Scandales Politiques sous la Présidence de Abdoulaye Wade au Sénégal en 2005 aux Editions L’ Harmattan, j’étais à mille lieux de penser que ces scandales allaient foisonner à ce point au Sénégal en l’espace de neuf ans. D’emblée, il faut reconnaître que le Sénégal n’a jamais, de toute son Histoire politique, connu une si grave crise de la gouvernance, quelles que soient par ailleurs les protestations et autres tentatives de démonstrations fallacieuses servies par les tenants du pouvoir. Cette crise de la gouvernance est si grave qu’à rebours, il s’est installé tout naturellement un discours de la gouvernance au niveau de tous les segments de la vie : la presse, la société civile, les partis politiques, les syndicats, etc. Convenons que la gouvernance est quand même devenue un concept très en vogue et très vendeur, à tel point que les faiseurs de scandales eux-mêmes surfent dessus soit pour amadouer les partenaires au développement, soit pour faire affluer des financements, en créant des structures vidées de toute substance (je pense à la Commission nationale de lutte contre la corruption et à certaines institutions dédiée à la Régulation).
Les scandales foisonnent à souhait au Sénégal sans que cela n’émeuve plus le plus orthodoxe des gestionnaires de ce pays et ce qui est déplorable, c’est que ces scandales s’insèrent désormais dans un processus de banalisation, plus personne ne se scandalise de certaines pratiques. On assiste à une routinisation du scandale. Déclaration ne fut plus scandaleuse que celle servie par le Président Abdoulaye Wade lors des funérailles d’Oumar Lamine Badji, leader politique du Parti démocratique sénégalais sauvagement assassiné en décembre 2006 en Casamance. Le Président Wade lança un «wanted» à l’encontre des criminels, dignes de ceux des aventures de bandes dessinées qui nous ont accompagnés durant notre ten-dre enfance, «Tex Willer» ou «Mister No». Il promettait aux «délateurs» un montant substantiel et un visa pour l’Europe. Je ne sais pas si nous avons tous saisi la gravité de ce discours. Au delà du fait qu’il confortait la jeunesse sénégalaise dans cette croyance que le Salut est une «marque déposée» et «un domaine réservé» du Nord, son discours consacrait la faillite, l’impuissance de l’Etat, d’abord à mobiliser ses moyens pour traquer et punir les assassins de Oumar Lamine Badji, mais aussi et surtout à assurer une protection efficace de ses citoyens qui qu’ils soient. Cette déclaration est passée inaperçue, normale, on assiste à une banalisation du scandale.
Il est quand même étonnant que tous ces scandales finissent en «eau de boudin». L’étude du scandale permet de voir que la survenance d’un scandale peut profiter aux institutions et aux détenteurs du pouvoir à condition que ces derniers aient la claire conscience des responsabilités qui pèsent sur eux et une ferme volonté de punir toute pratique déviante. En effet, selon la thèse de l’inversion, un acte scandaleux permet de «rectifier le tir», de corriger les dysfonctionnements et permet également aux institutions de se renforcer en légiférant de manière plus efficiente et se dotant d’un cadre répressif plus adéquat pour les pratiques déviantes ayant concouru à la survenance de cet acte scandaleux. Mais encore faudrait-il une réelle volonté politique. Pour aucun des scandales survenus depuis 2000, on n’a assisté à un épilogue judiciaire, ce qui est une forfaiture, dans un monde aujourd’hui de la performance et de la compétition. Rappelons que pour une histoire de «Notes de frais», la presque totalité du gouvernement de Gordon Brown est tombée. Le Président Sarkozy, quelles que soient par ailleurs ses pratiques népotiques, a été obligé de rembourser quatorze mille euros pour avoir fait endosser aux services de l’Elysée des frais personnels, injonction qui lui fut servie par la Commission française de vérification des comptes. Quelques années auparavant, sous le magistère de Jacques Chirac, Hervé Gaymard, alors ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie présenta sa démission pour une affaire de logement de fonction dont le montant de la location dépassait de quelques milliers d’euros la norme alors indiquée. C’est ce que nous attendons au moins de nos gouvernants et des institutions qu’ils animent : transparence, responsabilité et déférence à l’égard des concitoyens.
A la place d’institutions utiles et performantes, nous sommes gavés de pratiques politiciennes dont le principal but est de faire diversion. Un Etat qui se respecte aurait apporté des réponses sérieuses aux informations fournies par Abdou Latif Coulibaly dans son ouvrage Contes et Mécomptes de l’Anoci si bien évidemment cet Etat n’avait rien à se reprocher. De même, un Etat responsable aurait fait la lumière à propos du tout nouveau et sûrement pas le dernier scandale, relatif à la tentative de corruption de l’ex-représentant-résident du Fmi au Sénégal, en l’occurrence Alex Ségura. Comme tous les scandales qui ont précédé, l’affaire Ségura ne sera nullement élucidée, en tout cas pas de la part de nos gouvernants. Il est certain qu’il n’y a plus rien à attendre de cet Etat qui préfère faire profil bas face à de telles situations, en attendant que «l’orage se passe». Mais l’Histoire retiendra que cet Etat et, par son truchement, ses détenteurs ont failli totalement à leur mission. Il ne faut surtout pas perdre de vue que l’on est désormais dans un monde où tout acte est susceptible de se payer, d’une manière ou d’une autre, tôt ou tard ; corruption, détournement, violence politique, vassalisation de la justice, népotisme, censure, etc. tout se paye. Rap-pelons juste, à titre d’illustration que Farouk Hosni, candidat malheureux au poste de Directeur Général de l’Unesco s’est vu coiffer au poteau par la Roumaine Irina Boukova. Entre autres facteurs pouvant expliquer sa défaite, il est accusé, à tort ou à raison, d’être un acteur central de la censure dans son pays l’Egypte, une pratique banale, routinière pourtant dans ce Sénégal des scandales. Ceci devrait susciter la réflexion chez nos dirigeants, si tant est qu’ils sont conscients du fait que le monde fonctionne désormais sous le prisme de l’ubiquité de l’information et qu’ils ambitionnent peut-être demain de servir la société mondiale. En effet, dans ce contexte de la globalisation, avec des outils tels que la toile mondiale, le câble, «tout se dit et tout se sait». Ce qui est certain, c’est que le Sénégal connaît désormais un discrédit au niveau international et qu’il a dilapidé tout le capital diplomatique, tout le capital de sympathie qu’avait suscité le changement politique en 2000. Notre pays a malheureusement touché le fond mais continue de creuser…
Mamadou SECK - Doctorant Science Politique Université Paris 1 Panthéon Sorbonne
Auteur de l’ouvrage Les Scandales Politiques sous la Présidence de Abdoulaye Wade au Sénégal,
Paris, L’Harmattan, 2005