La fin de l’espoir
Par Idi FALL*
2009, c’est l’année de l’investiture du premier Noir à la Maison Blanche ici même aux Etats-Unis. C’est aussi l’année où le Président Abdoulaye Wade a choisi Washington D.C. pour déclarer sa candidature à la Présidentielle de 2012. Faire un état des lieux ou une rétrospective des événements est un exercice difficile pour le Sénégalais qui vit hors de son pays.
Des tragédies se vivent sans bruit. Les chemins du désespoir que sont obligés de prendre des Sénégalais en quête de vie meilleure. Combien d’entre eux ont été engloutis dans l’océan Atlantique ? Combien de cadavres desséchés sont ensevelis sous les sables du Sahara ? On ne les compte plus. Ce drame est banalisé jusqu’à devenir une norme dans un pays en mal de vivre.
Le Sénégal est un pays pauvre. Le dire, relève de la tautologie. Les millions de Sénégalais qui vivent de débrouille le savent. Les «goorgorlu» se battent pour ramener du pain à la maison mais le pain est devenu rare en ces périodes de récession. Qui s’en soucie lorsque la politique est devenue un moyen de promotion et de profit personnels ?
Après 26 ans de traversée du désert, maître Abdoulaye Wade est devenu Président en l’an 2000. Neuf ans après, l’espoir n’est plus ce qu’il était. Les rendez-vous manqués, les promesses jamais tenues, les scandales au sommet de l’Etat et les remaniements à tour de bras ont renforcé la désillusion. Littéralement, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Les pluies ont fait des dégâts énormes de Dakar à Agadez. Le réchauffement de la planète a bon dos lorsqu’on construit une autoroute traversant une zone marécageuse sans prévoir l’évacuation des eaux. Les inondés n’ont qu’à se référer au plan Jaaxay. Puis circulez ! Il y a rien à voir (sic). Les villes sont souvent plongées dans le noir par manque d’électricité. Face à ce malaise social, des imams armés de leurs chapelets battent le pavé. On aura tout vu dans ce pays. Gouverner c’est prévoir mais en 2009, on a épuisé tous les plans d’Alpha à Omega et le quotidien du citoyen va de mal en pis.
POUSSIERE
REDEVIENT POUSSIERE
Au début de l’année, les journaux sénégalais ont fait des supputations sur une éventuelle passation biologique du pouvoir. Karim Wade, fils du Président, venait de finir un tronçon de route sur la Corniche. C’était assez pour que des thuriféraires essaient de le placer à la mairie de la capitale. Ils n’avaient pas agi seuls car le candidat au Point E était bien placé sur la liste départementale du Pds. Ce n’était pas par hasard. Le scénario paraissait bien ficelé. Il ne restait qu’à battre campagne sous le regard du père. Qu’est-ce qui n’a pas été fait avant ces élections locales? Meetings en banlieue, bains de foule en campagne, beaucoup d’argent distribué et même des avions pour aller à la conquête de Boinadji au Fouta. Ce 22 mars, les résultats tombent comme un couperet. Le quartier Point E rejette la mise en scène. Les Wade sont battus jusque dans leur propre bureau de vote. C’est une défaite familiale. Puis Dakar, Saint-Louis et d’autres villes basculent.
Il s’est passé quelque chose ce jour-là et qu’il va falloir gérer. Ce fut d’abord par le silence de la Présidence abasourdie. Iba Der Thiam, ancien «député du peuple», tente d’arrondir les angles pour minimiser les pertes. Selon lui, l’opposition a remporté quelques villes mais les libéraux restent maîtres à bord de la pirogue. Le ministre de l’Intérieur ajoute que «c’est la preuve que le fichier électoral est fiable». La Génération du concret constate amèrement qu’elle n’a pas été bâtie sur du béton et va redevenir poussière. Ses idéologues rasent les murs. Avaient-ils jamais entendu le refrain de Samba Jabare Samb disant à peu prés : «Ce que tu gagnes par la sueur de ton front a plus de valeur que ce que ton père te donne.» Il faut être du Sénégal profond, parler wolof ou pulaar pour comprendre le sens.
LES TROMPETTES
DU RASSEMBLEMENT
Le Président fera son discours pour la fête de l’indépendance. Il dira tout sauf : «Je vous ai compris !» Pourtant, le message des électeurs a été clair pour qui veut entendre. Il procède à un énième remaniement. Le fils réel devient ministre «d’Etat, de la Terre et du Ciel». Echouer à un examen puis être promu en classe supérieure avec mention «très bien». Cela n’arrive que chez nous.
Ce dernier gouvernement, malgré ses incohérences, est un gouvernement de campagne. Ce n’est pas le sauve-qui-peut car des batailles perdues, maître en a connues bien d’autres. Mais la panique et le désarroi sont là. L’heure doit être grave pour qu’il sonne le rassemblement des troupes et rappelle au bercail tous ses enfants égarés. Cela permet de calmer les dissensions au sein de son parti et mettre à l’abri le fils réel qui subit des attaques notamment sur sa gestion de l’Anoci.
Ainsi, la dame qui boudait ou faisait des moues à Diourbel dit «oui» à l’appel. Mon homonyme qui s’était emmuré dans sa forteresse à Thiès formalise des retrouvailles. Idrissa Seck, n’avait plus rien à perdre. Accusé de tous les noms, jeté en prison avant d’être finalement blanchi, il revient prouver qu’il est une création de son maître. Tartuffe a perdu toute crédibilité. Il peut réciter des versets de Coran et attendre l’obole que son chef voudra bien lui jeter. Il reste une inconnue à ce rappel des troupes : Macky Sall, ancien président de l’Assemblée nationale, semble déterminé à faire de la résistance. Pour combien de temps ? Le Président mettra le prix pour son retour et certainement 2010 apportera des réponses.
L’OPPOSITION
DANS CE MELODRAME ?
2009 a été l’année des Assises dites nationales. Ceux qui ont pillé le pays pendant 40 ans, ceux qui ont fait boutique à part, une Gauche éparpillée dans des querelles de clochers ou de minarets, plus les déçus de l’Alternance, se retrouvent sous la présidence du premier des transhumants. Pour rappel, Amadou Moctar Mbow en 1966 avait fait un deal avec Senghor. Son parti le Pra, principal parti d’opposition a été digéré par l’Ups au pouvoir. M. Mbow devient ministre de l’Education et Senghor inaugure l’ère du parti unique.
Fermons cette parenthèse pour revenir aux Assises qui font un diagnostic des maux qui gangrènent le pays mais sans se donner les moyens de les résoudre. Comme des états généraux, on adopte des résolutions qui finissent dans des tiroirs. Cette opposition a aussi une part de responsabilité. Déjà en 2007 elle était partie en rang dispersé à la Présidentielle puis a été déstabilisée par Idrissa Seck ; et maître Wade a été réélu dès le premier tour. Le boycott des Législatives 2007 donnera à maître Wade les coudées franches. Il va disposer d’une Assemblée nationale démesurément bleue, plus un Sénat inutile mais taillé sur mesure. Lorsque maître Wade sonne le rassemblement de ses troupes, que fait cette opposition dite significative ? Elle parle de Bennoo ou Unité. Une partie est d’accord sur la candidature unique à la prochaine présidentielle. Mais autour de qui ? Les calculs d’intérêt, les rancœurs personnelles prennent souvent le dessus.
La situation dans le parti And Jëf-Pads, lanterne rouge de l’Alternance, est plus que révélatrice. Landing Savané et Mamadou Diop Decroix ont partagé plus de 40 ans de combat. Ils en arrivent à des batailles rangées et une guérilla judiciaire pour gagner la paternité d’un tout petit parti, un appareil à faire des marchandages pour s’offrir au mieux offrant. C’est honteux et lamentable.
Nous ne saurions terminer sans parler du limogeage du ministre des Affaires étrangères. Cheikh Tidiane Gadio avait battu le record de longévité auprès de Wade. Le Président avait même dit qu’il était le meilleur ministre des Affaires étrangères du continent mais s’en sépare sans explication et de manière peu élégante. Ainsi va le pays, au gré des humeurs du maestro.
Je passe sur ce monument de la nudité. Il n’y a pas besoin de polémique puisque la renaissance annoncée est aussi figée qu’une statue de Ceausescu. Il faudra rompre et reconstruire. Un vaste chantier, après tout le temps perdu mais l’espoir est permis.
Les Sénégalais ne sont pas dupes. Ils connaissent la valeur du bulletin de vote. Ils ont déjà renvoyé Abdou Diouf à ses études francophones. Ils ont peut-être donné une seconde chance à maître Wade en 2007. Mais ce 22 mars ils ont émis un signal fort, qui ne trompe pas, comme pour dire le Sénégal n’est pas le Gabon, ni le Togo, encore moins la République Démocratique du Congo. Leur vote a permis l’émergence de nouveaux leaders, une sorte de renouvellement partiel de la classe politique. En attendant, on peut donc rester dans son salon au milieu de ses courtisans pour échafauder des schémas sulfureux comme des élections à un tour, le relais à un vice-président ou à un président de Sénat ou alors, pourquoi ne pas créer la surprise avec des élections anticipées ? Une chose est sûre : le marasme est palpable. A quand le bout du tunnel ? Les Sénégalais sauront y répondre. Il suffit d’attendre. Happy New Year !
* Journaliste aux Etats-Unis, Idi Fall habite Arlington, en Virginie. Il exerce depuis 17 ans dans une radio internationale aux Etats-Unis, précisèment la Voix de l’Amérique, Idrissa Fall a auparavant vécu en France où il a été reporter pendant une bonne dizaine d’années, avec un bref passage à Jeune Afrique.
Marié et père de quatre enfants, cet originaire de Rufisque, grand amateur de jazz et de jeux d’échecs a porté sa casquette de citoyen sénégalais pour parler à ses compatriotes.