Sénégal victime de sa politique énergétique
Sénégal victime de sa politique énergétique
Dans les années 80, les bas prix du baril du pétrole n’encourageaient pas l’utilisation des énergies renouvelables. L’investissement était lourd et n’était pas compétitif face aux ressources fossiles. Les pays développés n’investissaient pratiquement pas dans la recherche pour l’amélioration du rendement des photopiles, mais se lançaient à contrôler le marché du pétrole. A présent, la réalité en est autre, les gisements d’énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz) et fissiles (uranium), ne représentent, quant à eux, que quelques dizaines d’années au rythme de leur consommation actuelle, et comme cette consommation ne cesse d’augmenter avec notamment les besoins énormes des pays les plus peuplés de la planète (Chine, Inde, Brésil), l’échéance de leur épuisement ne cesse de se rapprocher. La tyrannie du pétrole et les limites des réserves pétrolières à travers le monde poussent les gouvernements menant une politique énergétique cohérente à s’intéresser à des sources alternatives.
Nul n’ignore que la prospérité des pays du Golfe est bâtie sur l’or noir. Cependant, la fin proche des réserves pousse les souverains du Golfe à asseoir leur richesse sur des sources d’énergie renouvelables. ‘Nous n'avons encore aucun problème d'énergie’, affirmait le directeur de la société pour les énergies d'avenir à Abu Dhabi. ‘Mais nous pensons déjà à l'ère ‘post-pétrole’’. Chaque jour, leurs pompes extraient environ 2,5 millions de barils de pétrole. Les recettes sont investies dans des installations solaires et des éoliennes. Depuis août 2008, est planifiée une immense centrale solaire dans le désert, qui devrait coûter 350 millions de pétrodollars et devrait fournir 100 MW d'électricité. L'extension ultérieure des panneaux solaires à 500 MW est déjà prévue. Les Emirats Arabes Unis veulent produire eux-mêmes un total de 630 MW de modules solaires par an.
Le Maroc investit dans l'énergie éolienne : à côté de Tanger, se dresse depuis huit ans le premier grand parc éolien d'Afrique du Nord, comprenant sept générateurs éoliens. Une dizaine d’entreprises allemandes, dont le consortium Siemens, dans une fondation dénommée ‘esertec’, compte installer dans le désert du Sahara une centrale solaire thermique pour approvisionner de 15 % les besoins énergétiques des pays européens. Il est à rappeler que l’énergie solaire frappant les zones désertiques est si considérable que 1 % de la surface des déserts suffirait pour produire l’électricité nécessaire à l’ensemble de l’humanité. Des études ont montré qu’il suffirait d’installer des champs de collecteurs solaires sur environ 0,3 % des surfaces désertiques du globe pour couvrir l’ensemble des besoins mondiaux en énergie. Le bureau d’étude chargé de ficeler le financement de 400 milliards d’euros est déjà en place.
Au même moment, dans nos pays non producteurs de pétrole comme le Sénégal, l’Etat conduit une politique énergétique surprenante. Nous nous permettons d’entretenir et de construire des centrales à base de combustibles fossiles sans aucune maîtrise des prix du marché. Les difficultés quotidiennes liées à la défaillance de la distribution, les problèmes d’approvisionnements en combustibles, la défaillance du réseau et les pertes enregistrées devraient nous emmener à des solutions beaucoup plus réfléchies. Dans son document introductif de la huitième session du Conseil présidentiel de l’investissement (Cpi) en novembre 2008, Le directeur général de l’Apix faisait le même constat : ‘En dépit des efforts déployés par le ministère de l’Energie pour définir la stratégie de restructuration et de financement du secteur de l’énergie, un constat s’impose : les difficultés du secteur persistent et semblent s’aggraver. Ces difficultés ont un impact négatif profond sur la productivité des entreprises et des Pme en particulier. La situation devient extrêmement alarmante et il devient urgent de rassurer les entreprises et les usagers, en organisant des concertations régulières et en communiquant sur la question afin de faire le point sur l’état d’avancement de ce dossier.’
Cependant, ce ne sont ni la vente encore moins la segmentation de la Senelec en sociétés de production, de transport et de distribution qui régleraient le problème. Sur chaque cas de figure soulevé, le problème reste entier, car il s’agit d’option sur la source énergétique de base à produire et à commercialiser. Vous en conviendrez naturellement avec nous que ce sont des choix insensés guidés par d’autres intérêts que publics. La dernière crise pétrolière et le manque de ressources financières de nos pays devraient nous amener à planifier une politique énergétique de rupture et cela n’est possible qu’avec la source dont nous disposons à merveille, à savoir le soleil.
Avec une position géographique très privilégiée, un ensoleillement de plus de 10 heures par jour avec un éclairement avoisinant 1000 w/m2, la logique serait d’opter pour le solaire dans la production d’énergie. C’est en cela dont nous accusons du retard. Il est déplorable que le solaire ne représente que 0,1 % de notre production électrique. Au même moment, nous renseigne le Système d’information énergétique du Sénégal, la Senelec consomme 500 mille tonnes de pétrole par an et produit les 90 % de la production totale du pays. Elle dévore le budget à hauteur de 384 milliards mobilisés en moins de six ans rien que pour les besoins en combustibles. Malgré ce pactole qui représente plus de 46 % du revenu des exportations, la clientèle est loin d’être satisfaite.
Il est temps de penser à une centrale solaire thermique au Sénégal. Personne ne se douterait de la faisabilité d’un tel projet, contrairement à une centrale nucléaire. Il s’agit tout simplement de convaincre les partenaires sur la viabilité d’un tel projet et d’en faire une priorité pour pouvoir alimenter une bonne partie de notre industrie. Nous avons déjà des ressources humaines, dont l’expertise est sollicitée dans le cadre de la réflexion sur les opportunités de partenariat dans le domaine de l’énergie solaire entre l’Afrique et l’Europe (Solar Energy Partnership between Africa and Europe, Sepa). Le professeur I. Youm, directeur du Centre d’étude des énergies renouvelables et un des responsables du Laboratoire des semi-conducteurs et d’énergie solaire de la Fst et le Professeur A. C. Bèye, chef du département de physique, responsable de la filière Innovation et Technologie du Cur de Bambey ont eu à participer au second Sepa en juin 2009. Lors de cette rencontre, le Pr Youm soutenait récemment, dans une interview accordée à un organe de presse, que la question suivante a été soulevée : ‘Le Sénégal : exemple et pierre angulaire sur la carte Desertec ?’
Il est temps de repenser aujourd’hui notre politique énergétique, en s’affranchissant à un certain nombre d’obstacles listés par le Pr Youm, ‘une infrastructure et un cadre institutionnel inappropriés, une planification inadéquate, un manque de coordination et de liaison entre les programmes sur les énergies renouvelables,… un manque de main-d’œuvre qualifiée, un manque de connaissance de base et une faible capacité de maintenance’.Il est regrettable aujourd’hui de constater que le solaire est la base du commerce informel au Sénégal. Les ‘boutiques solaires’, propriétés de commerçants qui importent des panneaux et accessoires comme tout autre produit via la Chine ou Taïwan, proposent toutes sortes de modules sans un minimum de connaissance technique. Cette approche n’est pas sans inconvénient, car le solaire photovoltaïque nécessite un minimum de connaissance technique. Lors de la restitution d’étude dans le cadre de l’implantation de projets ‘microgrids’ au Sénégal confié au Cerer sous la direction de son ex-directeur, Professeur Mansour Kane en retraite, le rapport faisait état de la réticence des communautés quant à une électrification solaire de leur zone. Cela est dû principalement au fait que certains terroirs connus de leur localité ont eu à bénéficier d’installation solaire, mais aujourd’hui sombrent dans l’obscurité totale.
Il y a lieu de repenser à une politique énergétique cohérente dans le court, le moyen et le long terme avec des actions stratégiques dans chaque étape. De prime abord, nous proposons de procéder à l’évaluation des secteurs de consommation comme le transport, l’industrie, l’habitat dont les consommations sont très variées les unes aux autres. Pour le court terme, il s’agit d’envisager des solutions urgentes de sortie de crise, de faire disparaître les coupures intempestivement d’une à cinq heures par jour voir toute une journée dans certaine localité. Pour cela, il va falloir : - supprimer la loi sur le monopole de la Senelec pour ce qui est de la production et de la distribution,
- encourager l’indépendance énergétique en permettant aux particuliers qui le désirent et qui en ont les moyens, d’installer du photovoltaïque.
- lever toute taxe douanière assujettie aux matériels solaires - autoriser des connexions réseau pour acheter le surplus des particuliers et l’injecter dans le réseau de distribution de la zone.
- opter pour des mini-réseaux par zone. Il faut noter qu’il est inadmissible d’enregistrer des taux de pertes de plus de 21 %. C’est un énorme gâchis et cette perte est récupérable en fonctionnant avec des mini-réseaux autonomes. Ainsi, il est tout à fait possible de faire le maillage de grands centres urbains épousant le découpage administratif ou définir de nouvelles aires géographiquement cohérentes. De cette manière, il est facile d’évaluer les besoins en éclairage public et privé de chaque zone, de dégager les besoins en puissance crête et éventuellement étudier le potentiel des particuliers et de l’apport de l’Etat ou de la collectivité pour satisfaire les besoins des ménages de la zone cible.
- pour un niveau de consommation beaucoup plus importante, c'est-à-dire celle des industries, ou les petites et moyennes entreprises de fabrique, envisager un système hybride où, dans un même réseau, avoir un apport additionnel d’électricité de groupe électrogène, d’éolien sur les côtes sénégalaises ou les vitesses sont supérieur à 4m/s ou de petite hydraulique dans la zone du fleuve.
- dans le moyen terme, sous la conduite d’experts avertis, poser les jalons pour une construction de centrales solaires, ficeler le financement avec un apport consistant de l’Etat et le placer en priorité dans les investissements. Car tout autre investissement sans la maîtrise d’électricité engendre des conséquences non négligeables.
- à long terme, s’inscrire déjà présent sur le projet ‘Desertec’, en s’engageant au plus haut sommet de l’Etat à faire du Sénégal le pays pilote. Pour cela, maintenir la stabilité du pays qui passe forcément par une démocratie soutenue. Un engagement responsable des acteurs politiques pour continuer à faire bénéficier notre pays de cette image de marque de stabilité afin de lui faire bénéficier toutes les opportunités.
Dr. Oumar Absatou NIASSE Spécialiste en énergie solaire Lases/Fst/Ucad E-mail : omaraniasse@yahoo.fr