d'une succession pour la postérité
Les enjeux d’une succession pour la postérité
Les élections présidentielles de 2012 seront fort probablement les plus disputées de l’histoire politique récente du Sénégal. Durant la courte période qui nous sépare de l’échéance, tout sera mis à contribution par les états-majors politiques pour occuper la meilleure position possible afin d’engranger le maximum de suffrages. Les données du problème sont complexes du fait de la collision des générations d’acteurs politiques qui seront en situation. Les sempiternelles transhumances politiques feront sans doute sombrer certains partis d’opposition avant le grand rendez-vous. La rude bataille déjà lancée pour la succession de Me Wade sera l’enjeu de taille, sans oublier les ‘pièges constitutionnels’ que ce dernier ne manquera pas de tendre à tous les prétendants à la couronne qui ne seront pas dans ses schémas pour la postérité de son action politique.
Les quelques années qui nous séparent des présidentielles de 2012 seront courtes pour l’opposition unie ou divisée ainsi que pour le régime en place. Pour s’être mis en marge du jeu politique durant toute la législature à venir, les partis politiques défaits lors des dernières présidentielles tireront difficilement leurs marrons du feu. Les discours sur les projets de sociétés qu’ils envisagent de réaliser rencontreront difficilement l’adhésion des populations de plus en plus habituées à apprécier, depuis l’alternance, du concret pour fonder leurs opinions. Les bonnes intentions, quoique bien formulées, seront pour beaucoup synonymes d’aventure et de risque.
La préoccupation la plus sérieuse de l’opposition est, sans doute, les départs massifs de militants de leurs partis au profit des formations politiques au pouvoir. Il est difficile de présager l’ampleur de la reconfiguration des forces politiques sur le terrain, mais l’effet du boycott des législatives et la place stratégique de l’argent dans le débauchage des militants, laissent croire que les pertes seront énormes pour beaucoup de partis. La dernière génération des grands transhumants ne se fera certainement pas prier pour se mettre à l’abri du rouleau compresseur des nombreux jeunes qui sont en train de faire irruption dans le jeu politique et peu disposés à entretenir, à perte, une clientèle versatile, coûteuse et en fin de carrière.
De tous les chefs d’Etat que le Sénégal a connus, le président Wade sera sans doute celui qui aura le plus à se soucier de sa succession. Pour le président Senghor, Abdou Diouf avait été, à ses yeux, un dauphin tout indiqué. Même s’il ne faisait pas l’unanimité, la discipline à l’époque dans les rangs de la famille socialiste ne s’accommodait pas encore de réactions séditieuses très marquées, de nature à gêner les décisions du chef du parti. L’imposante personnalité de Senghor et les dispositions constitutionnelles en vigueur confortant le choix porté sur Diouf avaient fait le reste.
Du point de vue de son bilan global, le président Senghor avait la certitude d’avoir donné le meilleur de lui-même, à savoir, l’accession de notre pays à la souveraineté internationale et la mise en place d’un Etat moderne avec de solides institutions. Le Sénégal de l’après-Senghor serait alors ce que son successeur en ferait. Il ne semblait pas intéressé par l’appropriation d’une postérité, sous pli fermé, d’autant plus que la jeune démocratie sénégalaise en marche devenait visiblement plus exigeante et l’avenir lourd d’incertitudes pour le poète président et homme de lettres qu’il était.
Pour le président Diouf, la situation était beaucoup plus compliquée. Un échec politique comme celui de 2000, laisse en effet peu de place à des préoccupations sur la suite des évènements qui l’ont si brutalement exclu du champ de la commande des opérations. Il appartenait tout simplement à son tombeur d’assumer l’avenir, y compris le passif du régime socialiste.
Les deux premiers chefs d’Etat du Sénégal ont eu en commun les nombreuses années qu’ils ont passées à la tête du pays, contrairement à Me Wade qui, même s’il termine son mandat actuel, en totalisera bien moins que ses prédécesseurs. Toutefois, si la tendance actuelle se poursuit, il sera celui qui aura le plus marqué le Sénégal par son pragmatisme, l’importance de ses réalisations et la renaissance de l’espoir qu’il suscite dans la défense de la place du continent africain dans le monde.
A la lumière de ce qui précède, la question de savoir si le président Wade devra s’impliquer dans le processus devant aboutir à sa propre succession peut avoir tout son sens. Dans le cercle fermé de la présidence, ce ne sont certainement pas les candidats qui manquent, mais plutôt celui qui saura mériter l’adhésion de la majorité des Sénégalais et qui sera en mesure de maintenir les acquis et poursuivre correctement l’œuvre de construction nationale déjà bien entamée.
Autant le président Wade a symbolisé la constance dans ses convictions tout au long du grand parcours du combattant qui l’a conduit à la magistrature suprême, autant c’est l’inconstance pour la plupart des gens de son entourage dans les rapports qu’ils entretiennent avec les sphères de redistribution de pouvoirs et de privilèges pendant toutes ces années. Si ces travers ne remettent pas en cause, dans l’absolu, la volonté et les dispositions des mis en cause à servir les intérêts du pays, ils n’en demeurent pas moins des paramètres importants à considérer lors de la sollicitation des suffrages.
Ceux qui proclament à tout bout de champ que Me Wade reste la seule constante ont certes pu payer leur ticket, en aller simple, et entrer dans ses grâces pour acte de fidélité sagement exprimé. La rivalité d’ardeur au début de l’alternance avait d’ailleurs, par moment, dépassé le seuil de l’outrecuidance au point que certains se sont vus retirer le portefeuille ministériel, semble-t-il pour excès de manifestation d’allégeance et de zèle gratuit. Ces attitudes visant souvent à sauvegarder des intérêts individuels risquent de desservir tous ceux qui prétendent conquérir la magistrature suprême, parce qu’elles tranchent nettement avec le sens des priorités, le pragmatisme et le franc parler du chef de l’Etat. En tout état de cause, certaines formes d’expression de fidélité qui ont déconcerté plus d’un Sénégalais ne sauraient être la rançon pour la succession, sur un plateau d’or, de Me Wade.
En s’entourant de tous ceux qui l’ont quitté ou combattu pendant la traversée du désert, au prix d’une vive désapprobation d’une bonne partie de l’opinion, le président Wade a donné une bonne leçon de dépassement et de générosité dans la gestion de l’adversité politique. Le fait que cette ouverture engendre malheureusement le choc d’ambitions tonitruantes secouant de temps à autre le palais et menaçant même la stabilité des institutions, renforce naturellement la dimension familiale dans la gestion du pouvoir et de l’après pouvoir. Dans un tel contexte, les réactions d’un chef d’Etat visant à préserver les acquis de son régime par tous les moyens dont il dispose, y compris logiquement la mise à contribution des compétences de son propre fils, ne devraient raisonnablement pas être assimilées à des dérives monarchiques.
Pour l’instant, le mystère qui entoure le degré d’implication du président de la République dans la bataille successorale gèle les ambitions des uns et des autres et diffère le départ pour le grand sprint, objectif 2012. Néanmoins, les moindres signes du palais sont sujets à des interprétations et présagent de véritables levées de boucliers contre les possibles intentions de Me Wade. En effet, au moment où les analystes politiques les plus chevronnés revoient sans cesse leurs schémas de décodage des profils robots des futurs présidentiables qui se signalent çà et là pour évaluer leurs chances, on commence déjà à cogiter sur l’équation Karim Wade.
Au regard des arguments avancés en sa défaveur, figure en bonne place la particularité de sa filiation maternelle, comme pour braquer une partie de l’opinion contre lui, afin de miner le terrain de la bataille médiatique qu’il aura forcément à livrer si ses ambitions présidentielles se confirment. Le fait qu’il soit le fils de l’actuel président de la République serait également un obstacle insurmontable aux yeux de certains.
Au cas où Karim Wade souhaiterait mettre ses compétences au service de son pays, nous ne voyons sérieusement pas en quoi sa citoyenneté et les valeurs qu’il incarne en tant que Sénégalais tout court, seraient moins éligibles et moins rassurantes que celles des autres candidats qui seront en lisse. Sans nous étendre sur ces considérations socioculturelles, nous pensons que l’invocation de critères relevant de canons anachroniques d’éligibilité, argués à chaque fois que des fonctions électives importantes sont en jeu, ne saurait faire recette. Nous souhaitons seulement que le débat s’élève et que les futurs candidats aux élections présidentielles soient départagés par les urnes et sur la base de leur valeur intrinsèque.
Ousmane NGUEME Inspecteur de l’Enseignement Ide Bakel Contacts : 640 49 71/983 51 04