LE SENEGAL NE TIENT PLUS LA ROUTE
TOURISME : LE SENEGAL NE TIENT PLUS LA ROUTE
La fréquentation touristique est en baisse constante.
Certains chiffres collectés récemment doivent nous alerter : dans un contexte de fortes augmentations des flux internationaux (en dix ans on est passé de 600 millions à 1 milliard de touristes internationaux), le Sénégal, avec moins de 800 000 arrivées touristiques enregistrées en 2009 est en baisse constante et stagne au même niveau depuis dix ans !, alors que la récente période (2007 à 2009) aura été celle de tous les records pour nombre de pays : Canaries 10 millions, Maroc et Tunisie 8 millions, Jordanie 8 millions, Liban 2 millions malgré les destructions infligées par Israël.
Les chiffres du Sénégal sont consternants à rebours de l’ambition proclamée d’accueillir 1,5 million de touristes d’ici 2012. Et le plus navrant dans tout cela c’est qu’on ne peut même pas donner de chiffres globaux précis car l’appareil statistique est déficient.
Pourquoi le tourisme au Sénégal, avec un marché potentiellement immense, diversifié et dorénavant multisaisonnier, considéré comme l’une des destinations préférées des Français et très « tendance » (comprenez branché) chez les Espagnols et les Italiens, souffre-t-elle d’une activité chaotique ?
Au problème récurrent du manque de compétitivité de la production touristique (avec un très mauvais rapport qualité-prix de l’hôtellerie) et d’un déficit chronique de promotion et de concertation, s’ajoute à présent l’impact dévastateur du renchérissement constant des taxes de toutes sortes. Une situation qui achève de ruiner la crédibilité de la destination : un matraquage en règle du secteur du tourisme qui risque de rendre le Sénégal infréquentable ! Parmi les multiples prélèvements, citons le renchérissement sans frein des redevances aéroportuaires dont l’accumulation peut représenter jusqu’à 50% du prix du billet, faisant de Dakar l’un des aéroports les plus chers du monde ! Le sentiment chez les voyagistes est que le secteur du tourisme est systématiquement la cible de mesures à la vision court-termiste qui l’affaiblissent, et la récente intention des autorités d’opérer un énième prélèvement sur les billets est vécue comme un racket déguisé ! C’est dire l’ambiance chez les tour-opérateurs.
Dans ce contexte bien terne, la bonne nouvelle nous vient du fait que l’activité touristique est atypique et hybride. C’est un secteur transversal sous l’influence de différentes variables : sociétales, démographiques, géopolitiques, économiques. Autant de facteurs extérieurs affectant simultanément l’offre et la demande. Pour preuve, de récentes études nous révèlent un phénomène croissant insuffisamment pris en compte dans les grilles d’analyse du tourisme international mais qui à terme peut modifier la donne au Sénégal : on constate en effet un flux prometteur d’une clientèle en provenance de France, d’Italie, d’Espagne, voire même des Etats-Unis, qui rend visite à des amis, de la famille, des proches et qui entretient en quelque sorte une relation socio-affective avec le pays : ce sont les touristes « affinitaires ». Cette tendance de fond de vrais-faux touristes, classés « non-internationaux », représente en réalité pour la destination Sénégal une importante source de recettes touristiques. Ces « affinitaires », mais non moins touristes puisqu’ils sont en voyage d’agrément donc en vacances, recherchent tout autant sinon plus qu’un « touriste international » un cadre de séjour très confortable, pour un « entre-soi » convivial, en groupe le plus souvent, dans un cadre de référence, voire un « pied à terre » haut de gamme. Ils disposent d’un solide pouvoir d’achat, de pratiques de consommation et de dépenses plus dispendieuses, parce que festives, qu’un touriste international lambda.
Aujourd’hui, ce tourisme affinitaire complète l’offre touristique traditionnelle.
Pour que le Sénégal confirme sa vocation touristique, il faut d’urgence que les pouvoirs publics :
1° - engagent des réformes structurelles (remise à plat de la formation des prix et des salaires, des taxes, etc...)
2° - un plan d’action en matière de formation professionnelle dans les zones touristiques (parent pauvre de l’économie touristique)
3° - se dotent d’un observatoire du tourisme : formé des acteurs de l’économie et du tourisme. Il centraliserait notamment les avis des professionnels du secteur et alimenterait la réflexion stratégique du gouvernement : avec des démarches d’observation par des tableaux de bord, sans engendrer des travaux de production complexes et surtout impliquerait dorénavant les opérateurs dans la production de chiffres et le suivi de l’activité. Cet observatoire garantirait ainsi le positionnement de la destination.
Voilà le minimum d’instruments efficaces pour définir une stratégie et une politique de développement et de promotion concerté et durable consacré à l’offre Sénégal dans sa globalité.
Cela peut être aussi un excellent levier de partenariat public/privé, et encouragerait les professionnels du secteur au demeurant très actifs (comme le confirme la tenue du 1er Salon International du Tourisme à Dakar, TICAA 2010) et qui tentent de s’organiser solidairement dans une démarche qui revalorise l’image d’un secteur très souvent traité d’artisanal. Il faut pour cela créer un environnement favorable aux investissements novateurs, rentables et compétitifs. Et pour donner encore plus de lisibilité à la destination, il s’agit de favoriser la reconnaissance du rôle économique et social du tourisme en structurant l’aménagement touristique de l’ensemble du territoire sénégalais et en validant le choix du patrimoine, des cultures, des hommes et des territoires comme levier principal de la filière touristique.
• Nouhad Bourgi,
• Consultant en Ingénierie du Tourisme