Oui, le pays marche… sur la tête !
Pourquoi Cheikh Tidiane Sy doit démissionner
Le ministre de la Justice, Garde des Sceaux, Cheikh Tidiane Sy, a réveillé tous les Sénégalais le vendredi 18 mars 2011 vers minuit, pour annoncer une tentative de coup d’Etat initiée par les jeunes de Benno Siggil Sénégal et des fan’s de Wal Fadjri, à quelques heures de la célébration de l’anniversaire du 19 mars, date symbolique pour notre jeune démocratie. Une analyse de la déclaration dudit ministre démontre nettement un mépris souverain du droit et une absence de logique évidente, comme nous allons apporter la démonstration ci-après.
L’originalité du droit pénal réside, sans nul doute, dans son caractère répressif basé essentiel sur la notion d’infraction qui signifie un comportement qui transgresse la norme pénale. Ainsi, du fait du caractère particulièrement dangereux de la sanction pénale, tous les juristes sont unanimes à considérer que le droit pénal est le droit de la certitude et de l’évidence. C’est pourquoi, en cas de doute, le juge est même tenu de relaxer la personne poursuivie. Cela dit, le ministre Cheikh Tidiane Sy, porte-étendard de notre institution judiciaire, devrait, avant d’accuser les jeunes de Benno de fomenter un coup d’Etat, avoir au moins la certitude de ses allégations, constituée par des actes matériels ou par un commencement d’exécution. Cette exigence était d’autant plus nécessaire que les accusations formulées sont graves et sévèrement réprimées par le Code pénal sénégalais.
En effet, ‘l’atteinte à la sécurité’ (article 80 du Code pénal), la conspiration, le complot (article 72), l’incitation à la guerre civile (article 79), l’atteinte aux institutions, la manœuvre de nature à compromettre la sécurité publique ou à occasionner des troubles politiques graves (article 80) sont punies respectivement des peines de trois à cinq ans et d’une amende de 100 000 francs à 1 500 000 francs, des travaux forcés à perpétuité et de la mort. Les infractions sus-visées sont qualifiées d’infractions politiques parce qu’elles portent atteinte à un intérêt de nature politique ou constitutionnelle. En outre, un coup d’Etat signifie un renversement du pouvoir. Il va de soi qu’un tel acte nécessite l’intervention de l’armée, de la police, de la gendarmerie, ainsi qu’un dispositif précis de prise des bâtiments publics, télévision nationale, etc.
Chose bizarre, le communiqué de Cheikh Tidiane Sy parle en l’espèce de ‘brûler des pneus’. Monsieur le Ministre, permettez-moi de vous rappeler qu’un coup d’Etat ne se fait pas par des pneus, mais des armes. Votre communiqué laconique permet de dire que vous n’avez pas agi en bon père de famille, c’est-à-dire un homme prudent, diligent et avisé.
Il est heureux de saluer l’attitude du procureur de la République près le tribunal régional hors classe de Dakar et des autorités judiciaires de ce pays de leur diligence et professionnalisme dans cette affaire, qui sont conscients que le droit pénal est le droit de la certitude. Par conséquent, on ne peut mettre en mouvement l’action publique aveuglement. Car la liberté des citoyens est un droit fondamental que nul ne doit porter atteinte sans preuve.
Tout porte à croire que Cheikh Tidiane Sy a oublié sa casquette de ministre de la République pour porter celle d’un homme politique partisan usant de la machine étatique pour neutraliser des adversaires politiques gênants. Non ! Monsieur le Ministre, l’Etat n’est pas le parti. Non ! Monsieur le Ministre, nous ne sommes pas au Zaïre de Mobutu. Non ! Monsieur le Ministre, nous ne sommes plus au temps de l’ancien régime en France, caractérisé par l’arbitraire dans l’incrimination et dans la sanction. Non ! Monsieur le Ministre, la théorie de la justice retenue est révolue depuis la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789.
Aujourd’hui, Monsieur le Ministre, vous êtes devenu la risée du monde entier, votre propre gouvernement vous a contredit. Monsieur le Ministre, je vous demande de lire l’histoire de l’Egypte pharaonique, car vous y découvrirez que le pharaon avait le droit de vie et de mort sur tous ses sujets, mais il se gardait de l’utiliser arbitrairement, en accusant par exemple à tort ses sujets de complot ou coup d’Etat.
Monsieur le Ministre, votre accusation heurte même un esprit cartésien, car comment voulez-vous nous faire comprendre que des jeunes étudiants puissent fomenter un coup d’Etat ou des fans du groupe Wal Fadjri dont on nous dit que l’un est un tailleur et l’autre un vendeur de portable. Monsieur le Ministre, vous avez causé un dommage moral aux familles des accusés. Or, l’article 1382 du Code civil dispose que tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel, il est arrivé, à le réparer. Monsieur Cheikh Tidiane Sy, vous avez l’obligation morale de présenter des excuses à ces jeunes et à tout le peuple sénégalais. Monsieur le Ministre, votre gouvernement a l’habitude de porter des accusations sur d’honnêtes citoyens sans fondements et qui se terminent souvent par un non-lieu : Idrissa Seck, Macky Sall, Abdoulaye Sally Sall, pour ne citer que cela.
Enfin, Monsieur le Ministre, je vous demande sincèrement de vous inspirer de l’exemple du ministre allemand de la Défense, Karl-Theodore zu Guttenberg qui a quitté toutes ses fonctions politiques puisqu’il est accusé d’avoir usurpé simplement son titre de Docteur de l’Université de Bayreuth. Un juriste a, en effet, démontré que les deux tiers de sa thèse de droit public présentée en 2006 étaient constitués d’’emprunts’ à d’autres travaux auxquels l’auteur ne faisait pourtant aucunement référence. Fort de cette accusation, le ministre a rendu le tablier en tant que démocrate.
Monsieur le Ministre, après votre grosse bourde du vendredi 18 mars 2011, vous devez suivre l’exemple du ministre allemand de la Défense, en démissionnant. La démocratie sénégalaise en sortira grandie. Que Dieu bénisse notre cher Sénégal.
Ibrahima MAIGA
Oui, le pays marche… sur la tête !
Les événements pré et post 19 mars 2011 ont mis sur une loupe grossissante d’inquiétantes failles de nos gouvernants. Il y a eu des prises de positions incohérentes, des actes audacieux et désinvoltes qui illustrent à suffisance un manque de retenue doublé d’une manière approximative de gestion des affaires de la cité.
« L’importante déclaration » du ministre de la Justice, en pleine nuit, aux premières heures du 19 mars, est sans nul doute le point d’orgue d’une série de gaffes honteuses pour un Etat dont on a chanté ici et là la vitalité et la maturité. Dans la forme, cette intervention à la télévision nationale, laissait peu de place à la sérénité.
Une annonce écrite, l’attente, puis soudain, un visage renfrogné apparaît. Cheikh Tidiane Sy, s’invite dans nos demeures et nous parle directement. A pareils moments de cette journée historique, il ne pouvait que nous dire des choses graves. Et je m’attendais à tout. Je pensais naturellement au Palais de l’Avenue Senghor car une curieuse répartition des choses voudrait que ce lieu soit la tête et le cœur de notre existence, aujourd’hui plus qu’hier. Là où des citoyens angoissés se donnent la mort gagnés par le comble du désespoir.
Le Garde des Sceaux ne prit pas la peine de s’entourer de convenances d’usage. Il s’introduisit chez nous et cite des passages du code pénal que lui-même donnait l’impression de ne pas maîtriser. Il nous parle de coup d’Etat éventré et de complot avant de disparaître sans dire « merci, au revoir ». Le réalisateur de ce « Breaking news », a dû remettre l’élément. Peut-être lui aussi, il pensait à l’image de beaucoup de Sénégalais qui ont suivi en direct, que c’était un cauchemar.
Le plus désopilant et triste de cette grosse affaire de coup d’Etat inventé est lié à ces « acteurs » désignés. Un tailleur, des commerçants, deux étudiants sont cités par le ministre d’Etat. J’ai eu l’occasion de connaître l’un des « Putchistes » en l’occurrence Moustapha Ndiaré Faye. C’était à l’Université Gaston Berger de Saint Louis où on discutait souvent au village J. Il dirigeait à l’époque les étudiants socialistes de l’Ugb. Je peux témoigner qu’il traine une réputation d’un « homme sans histoires », audacieux dans ses prises de position mais courtois même face à ses adversaires les plus coriaces de la jeunesse estudiantine libérale. Les autres accusés sont moins marqués politiquement parlant et ont aussi des casiers judiciaires vierges, après constatation. Donc comment un Etat responsable avec tous ses outils d’information peut-il commettre une telle erreur flagrante en évoquant un coup d’Etat avant de se raviser quelques jours après ?
Nombre de citoyens se posent cette question. Les réponses peuvent être multiples. En principe, la déclaration nocturne du ministre de la Justice est faite après des renseignements issus de services professionnels qui recoupent toutes les informations avant de les livrer à la haute hiérarchie.
Dans ce cas précis, la bourde du ministre est d’abord celle des Renseignements Généraux (R.G). Au cas échéant, un tel état des choses signifie que nous ne sommes plus en sécurité car ceux qui sont censés être informés pour anticiper les choses ont des carences notoires. La situation devient plus grave si c’est avéré que ces manquements sont dus à une volonté manifeste de sabotage ou de paresse au point de donner des rapports « bidonnés » et biaisés. L’autre éventualité est celle d’un « court-circuitage » perpétré par les autorités, en marginalisant les « informateurs », pour décourager d’éventuels manifestants. Une méthode qui consiste à installer la psychose dans le pays. Ce qui est d’une irresponsabilité inquiétante. Une manière peu orthodoxe de gouverner par la peur tout en sachant que c’est peu efficace dans un pays comme le nôtre, avec des citoyens qui ont une capacité extraordinaire de faire la part des choses.
Dans l’une ou l’autre possibilité, le ministre de la Justice qui a osé franchir le Rubicon, doit prendre le premier la décision de démissionner pour sauver, au moins la face. Car, il lui sera très difficile de se remettre de cette bourde monumentale, lui le coutumier des « faits iconoclastes » qui avait accusé –sans aucune arrière-pensée diplomatique- un ancien Premier ministre de « blanchisseur » d’argent, en collaboration avec le défunt président gabonais.
L’histoire a déjà retenu de manière hideuse le nom de cet homme surnommé Mobutu, du fait de ses accointances supposées ou réelles avec l’ex-dictateur loufoque et sanguinaire de l’ex Zaïre, aujourd’hui République Démocratique du Congo (Rdc). Cheikh Tidiane Sy, ne doit pas être le seul à passer à la guillotine. Le ministre de l’Intérieur qui a été « en phase » avec lui, a une obligation morale de s’amender et de rendre lui aussi le tablier.
Certes, les fortes désapprobations sont allées contre le Garde des Sceaux, du fait de son rôle d’acteur principal, mais Ousmane Ngom, en voulant jouer la carte de la fameuse solidarité gouvernementale, est en plein dans le coup de son collègue. En tant que « premier flic » du pays, il a lamentablement géré ce dossier de « coup d’Etat inventé ».
Normalement, c’est lui qui devait être au premier rang, si un tel drame se produisait. Il a été obligé de pendre le train de malheur en marche. Il s’y est mal pris. Il est aussi responsable que Cheikh Tidiane Sy même s’il a adopté opportunément le profil bas, après que le fameux coup s’est avéré sans aucun fondement sérieux. Et la responsabilité des deux ministres entraîne fatalement celle du Président de la République qui n’a pas mis de gants pour accuser publiquement, devant des militants acquis à sa cause, l’opposition d’être impatiente et peu sûre d’elle, pour vouloir renverser le régime par la force.
Avec cette posture, Wade semble être de connivence avec les théoriciens du « complot contre l’Etat ». Il donne raison à ceux qui ont toujours cru en une subordination aveugle du Judiciaire à l’Exécutif.
Et le fait que c’est l’Etat qui contredit l’Etat après cette grosse affaire inédite est révélateur. Il dénote d’une incohérence et d’un pilotage-à-vue indignes dans une démocratie qui se respecte. Cela montre éloquemment qu’il existe plusieurs « centres de commandements » dans la République. Ce qui entraîne naturellement des guerres de positionnement pour s’imposer ou imposer ses vues.
L’erreur ou le malheur des uns constitue la réussite ou le bonheur des autres. Décidément, ce pays marche sur la tête. En pareille situation, c’est tout l’Etat qui se désagrège et les principes élémentaires volent en éclats. Heureusement que les Sénégalais qui sont « dans les fers », n’accepteront plus de se soumettre au bon vouloir d’un groupe d’individus « frères ennemis » ou d’un seul homme avec ses caprices de grand père de la Nation.
Ps : Nos Lions du foot gagnent, nos lutteurs nous occupent mais la situation du pays doit nous préoccuper d’abord.
Mame Goor NGOM, Journaliste
gorngom@yahoo.fr
Lettre ouverte à «Y en a marre»
Messieurs,
Beaucoup s’attendaient à ce que vous dériviez, que vous rythmiez ce 19 mars 2011 marquant les onze années de l’alternance politique au Sénégal par le verbe incendiaire et par une série de réactions inopportunes. Parce qu’en réalité, une certaine inconscience à tendance à associer le rap et le mouvement hip hop en général à la violence.
Au moment où vous teniez meeting à la place de l’Obélisque autour du slogan englobant, fédérateur et citoyen de «Y en a marre», on nourrissait quelque part, et de façon discrète, l’espoir de voir une masse de rappeurs et de sympathisants en ébullition dont la caractéristique première de la protestation serait un débordement émotionnel incontrôlé qui vous ferait apparaître comme des immatures et des inaptes au débat chez qui le verbe agressif et la violence sont la règle. La réalité a été tout autre : de toutes les chapelles qui ont commémoré ce 19 mars, «Y en a marre» a été celle qui n’aura pas joué à un jeu dangereux et contre-productif.
Nous avions entendu les différents orateurs qui se sont relayés sur le podium le rappeler tous : il faut s’en tenir à une attitude raisonnable quant à l’exposition des critiques et des points de vue. C’est là un réflexe de gens absolument lucides, parce que des esprits malins instrumentalisent toujours ce type de rencontres pour favoriser l’explosion de nature à jeter le discrédit.
Messieurs,
Loin des refrains fantaisistes qui font de l’autre le sujet exclusif de tous les maux du Sénégal, vous invitez à l’introspection et à la catharsis. Il est irresponsable et hypocrite, dites-vous, d’exiger des autorités qu’elles s’élèvent en conscience pour le bien du pays si on n’est pas soi-même habité par une éthique citoyenne. Votre message est clair et il vous honore : faire d’abord le procès de sa propre conscience avant de faire celui des autres.
«Marre des politiciens», aviez-vous sans cesse martelés. Mais aussi et surtout «marre de certains marabouts», représentants silencieux du système et idéologues d’un absolutisme fondé sur deux principes didactiques : enseigner la soumission et imposer la religion du pouvoir établi. Ainsi, tel chef d’Etat se comporte en théocrate et manifeste des vélleïtés d’attacher son peuple à un ordre transcendant, à mater le doute et à enchaîner la raison, ils montent au créneau pour ancrer l’évidence de son autorité. Toutes les voix qui refusent de considérer l’esprit comme une prison mentale se mêlent au concert des vôtres pour dire : «Assez !». Votre slogan auquel j’adhère parfaitement est sans équivoque ; il est clairement une invitation à l’indiscrétion critique et à l’impiété militante.
Messieurs,
Nous le savons tous : l’homo senegalensis est racorni et dévitalisé par des pratiques odieuses et par des promesses mensongères. Notre combat à tous consiste à travailler, comme vous l’avez d’ailleurs fait savoir, à l’émergence d’un Nouveau Type de Sénégalais. A déconstruire - pour l’en émanciper - le cadre religieux et idéologique dans lequel politiciens et marabouts véreux l’ont emprisonné ; à le soustraire de l’ascendant des dogmes personnels et à lui restaurer sa substance vitale.
Ce qui est charmant dans la démarche qui est la vôtre, messieurs, c’est l’esprit affiché de la fidélité à des principes impersonnels et transcendants. Mais votre engagement ne sera pas une sinécure. Intimidation, achat de conscience, corruption, désinformation…
Ceux qui n’ont pas intérêt à ce que vos idéaux prospèrent useront de toutes les voies pour casser la dynamique. Toutes les dictatures fonctionnent ainsi, or nous sommes bien dans une dictature qui s’abstient bien de dire son nom. Restez fermes, lucides et citoyens.
Je termine en rappelant qu’il n’y a de vérité que dans la réalité des actes et dans la longévité des choses. Vive donc «Y en a marre !» Et que tous ceux qui font dans le folklore patriotique soient très vite rattrapés par l’histoire.
Félix NZALE - Journaliste
nzalef@yahoo.fr
Tél : 77 633 60 80